On l’attendait avec impatience et curiosité depuis des mois, elle vient enfin d’ouvrir au public, l’exposition Rock! Une histoire nantaise a surpris, pour ne pas dire impressionné, ses premiers visiteurs, à commencer par les journalistes et les artistes eux-mêmes. Au départ de l’aventure, il y a un homme, Laurent Charliot, un passionné de la première heure connu sur la scène musicale nantaise pour y avoir contribué dans les années 80 avec son groupe de new wave Iena Vox mais aussi pour les multiples livres qu’il a depuis écrit sur le thème. Nous avons pu le rencontrer sur les lieux mêmes de l’exposition à quelques heures de l’ouverture au public. Interview…
Le rock, Laurent Charliot connaît ! Très bien même. Dans les années 80, « il y a un million d’années » s’amuse-t-il, il a monté son propre groupe, Iena Vox, un groupe aujourd’hui considéré comme mythique, « on dit mythique en général quand on n’a jamais été connu », et que certains d’entre vous ont peut-être (re)découvert à l’occasion d’une reformation éphémère pour Les Rockeurs ont du cœur en décembre dernier.
Si le groupe n’a pas dépassé les trois années d’existence, ni même les frontières de notre région, la passion de Laurent Charliot pour le rock est encore aujourd’hui intacte. Après plusieurs livres sur le sujet, il est aujourd’hui commissaire de l’exposition Rock! Une histoire nantaise ouverte depuis le 24 février au château de Nantes. Une exposition étonnante, foisonnante qui illustre la très grande diversité du genre. Du Floride à Stereolux, des Atomic Boys à C2C, en passant par Katerine, Dolly, Cambouis, Elmer Food Beat, Dominique A, Sexy Sushi ou encore Elephanz, Rock! Une histoire nantaise offre un voyage extraordinaire au cœur de l’histoire musicale de la capitale ligérienne. Tout un patrimoine…
Bonjour Laurent. L’exposition s’appelle Rock! Une histoire nantaise mais elle est assez universelle finalement ?
Laurent Charliot. Oui complètement. C’est l’histoire du rock en France par le prisme de la scène nantaise mais effectivement cette histoire s’est passée de la même manière un peu partout. J’ai eu l’occasion de parler de l’histoire du rock dans d’autres villes, les groupes de bal qui font des kilomètres dans leur minicar, ça s’est passé dans toutes les villes de France, les premiers groupes qui s’émancipent et commencent à faire des créations, ça s’est passé au même moment dans toutes les villes de France, un disquaire qui éduque les amateurs de musique et les musiciens, il y en a toujours eu un dans chaque ville de France. C’est ça qui est intéressant, même s’ils ne viennent pas de Nantes, les gens qui aiment la musique vont aussi s’y retrouver, c’est l’évolution de la musique dans une ville.
Je ne suis pas nantais, j’ai moins de vingt ans et je connais mal le rock, est-ce que je peux tout de même venir voir l’exposition ?
Laurent. Oui, parce que déjà c’est pour toute la famille, ce n’est pas que pour les amateurs de rock, ce n’est pas pour les vieux ou les jeunes, c’est pour tout le monde. Le but est de faire prendre conscience de choses qui se sont passées qui se passent encore aujourd’hui, de la grande diversité. Ensuite, il n’y a pas que du rock. On a appelé l’exposition rock! Une histoire nantaise parce que c’est le mot le moins imparfait pour réunir tout le monde. Mais le rock c’est quoi ? Tous les soirs, le rock mort et tous les matins il renaît. C’est plus une attitude, plus une famille musicale. Certes, on ne parle pas de variété mais on va jusqu’à Jeanne Cherhal, on ne parle pas de l’électro ou du hip hop purs mais on parle de C2C, on ne parle pas de jazz mais on parle de Mukta…
Une expo sur le rock. Quelle drôle d’idée tout de même. Comment vous est-elle venue ?
Laurent. En fait, ce sont les gens du château qui m’ont appelé. Ils voulaient faire une expo sur le rock, d’abord parce qu’on a la chance à Nantes d’avoir une scène très vivante et bien représentée au niveau national, ensuite parce que la musique fait partie du patrimoine. À Nantes, c’est plus que dans le patrimoine, c’est dans les gènes de la ville. Donc, ils voulaient retranscrire cette histoire.
Ce qui explique le lieu. Une expo au château c’est quand même curieux ?
Laurent. Oui mais quand on sait que le château de Nantes a pour vocation de mettre en valeur le patrimoine, finalement ça coule de source. Et puis c’est quand même classe, le rock au château, tu rentres par le pont-levis !
Que peut-on y voir et y entendre ?
Laurent. On peut y voir et entendre énormément de choses. Sans tout dévoiler, il y a une véritable scénographie, une véritable mise en scène avec des décors. On pouvait se le permettre parce que l’expo dure assez longtemps, plus de 18 mois, ce qui fait qu’on est entre le musée et l’expo, entre le permanent et le temporaire, on a pu se permettre de faire du dur, on va déambuler un peu comme chez Ikea où on passe de la cuisine à la salle de bain. Là, on va enchaîner les périodes musicales de manière chronologique mais on va se retrouver tout d’un coup chez un disquaire, dans un local de répétition, dans la chambre d’adolescent d’un musicien, on va pratiquement se retrouver dans les loges d’un artiste. Et puis bien sûr, il y a énormément de photos et de sons. Très important le son, on ne peut pas imaginer une exposition sur le rock sans le son. Je ne voulais pas de casques qui enferment le visiteur. C’est une exposition qui doit se commenter, se partager et donc on a développé un système d’écoute original, un gobelet de concert aux couleurs de l’exposition qu’on pose sur une cellule et se transforme en cornet. 120 titres à écouter, des vidéos aussi un petit partout dans l’expo. 150 points d’écoute à peu près au total.
Il y a plusieurs mois, vous avez lancé une collecte d’objets liés à cette histoire auprès des Nantais. Comment s’est-elle déroulée ? Les Nantais ont-ils joué le jeu ?
Laurent. Oui très bien. J’avais deux types de collecte. La collecte chez les artistes stars, je les connais, je les ai appelés et suis allé chercher les objets chez eux. C’était réglé. Pour le reste, j’avais envie de récupérer des affiches, des disques. On a donc fait des point de collecte deux ou trois fois sur Nantes, les gens venaient déposer leurs objets. C’était drôle, certains venaient avec ce qu’ils pensaient être un trésor, un disque de Dolly que j’avais déjà 20 fois, d’autres arrivaient avec des affiches, des photos très rares, des instruments. C’est plein de petites briques cette expo, des briques qui ont permis de construire ce grand mur solide. Après, il a fallu tout noter, enregistrer, entreposer, assurer…
Est-ce qu’il y a un groupe qui vraiment symbolise à lui-seul cette histoire nantaise ? Ou une locomotive peut-être ?
Laurent. Il y a eu des locomotives, c’est certain. Il y a eu plusieurs fois des groupes qui ont donné envie de faire de la musique à d’autres. Je l’ai pas mal entendu de Tequila, des Ticket, d’EV. Ce qui est certain, c’est que depuis 1991, il y a énormément d’artistes qui pointent au top de la scène nationale. Je pense à Dolly, Elmer Food Beat, Dominique A, Philippe Katerine, Jeanne Cherhal et aujourd’hui Elelphanz, Pony Pony Run Run, C2C ou Christine and the Queens. Eux ont joué les locomotives, tiré tout le monde. Il y a aujourd’hui un label de qualité pour la scène nantaise. Ça ne veut pas dire que les groupes ne doivent pas bosser, que ça vient tout seul, non il faut du travail et du talent.
Pensez-vous qu’il y a une spécificité nantaise, une marque de fabrique ?
Laurent. non, je pense que les médias ou toujours cherché un esprit à une ville, ça s’est fait deux ou trois fois dans l’histoire de la musique, on pense à Rennes bien sûr, tous les groupes étaient à un moment donné dans le même moule new wave mais ça n’a duré que trois ans. Depuis à Rennes, comme ailleurs, il n’y pas d’école. Il y a eu Le Havre, Rouen, Toulouse… et même Nantes à un moment quand la presse nationale a trouvé Katerine, Dominique A, Cherhal, The Little Rabbits… on parlait de nouvelle chanson française mais je pense que ce n’est pas suffisant, il y a une qualité à la nantaise mais il n’y a pas un style à la nantaise.
Vous suivez la scène nantaise depuis des années et des années, vous en avez même fait partie avec votre groupe Iena Vox dans les années 80, quels souvenirs en gardez-vous en tant que musicien ?
Laurent. C’est forcément un très beau souvenir parce qu’on idéalise toujours ces moments là où on a 20 ans. C’est un début de style de vie et puis c’était un moment, dans les années 80, où on commençait à ressentir cet esprit d’équipe dans la scène nantaise. Au tout début, quand je me suis lancé dans la musique, il y avait encore des castes, les metalleux étaient avec les metalleux, les jazzeux avec les jazzeux, les new waveux avec les new waveux… et puis petit à petit ça s’est atténué, grâce notamment à des gens et des lieux comme Michenaud Musique, un magasin d’instruments de musique qui accueillait tout le monde. On s’y retrouvait tous pour boire un coup le soir à la fermeture du magasin. Et puis il y a des souvenirs rigolos. Dominique A me confiait récemment que lorsqu’il est arrivé sur Nantes avec ses parents en 1984, il passe le premier samedi soir devant un bar, le Michelet, La Scène Michelet aujourd’hui, a entendu de la musique, est rentré, c’était un concert de Iena Vox, mon groupe. Il s’est dit : « c’est cool, j’arrive dans une ville où il y a de la new wave. c’est un fan de Joy Divison ».
J’imagine que vous avez dû collecter aussi pas mal d’anecdotes à l’occasion de ce travail sur l’exposition ?
Laurent. Plein. Une que j’aime bien. On parlait tout à l’heure des artistes majeurs que j’ai appelés afin de récupérer des objets, ici un disque d’or, là une victoire de la musique, un costume ou un instrument. J’appelle Dominique A, Jeanne Cherhal, pas de problème, puis Philippe Katerine à qui je demande, comme à tous les autres, s’il peut me confier quelque chose. Et Philippe me répond avec sa voix inimitable. « Tu sais Laurent, ce serait avec plaisir mais je ne garde rien, je jette tout. Moi je suis un voyageur, je déménage en permanence et je préfère voyager léger ». J’en ai parlé à son producteur et à Gaëtan Chataigner qui fait ses vidéos, il me l’ont confirmé. Lorsqu’il quitte un appartement, Philippe Katerine vide le frigo, met tout dans la poubelle en bas de l’escalier et si il y a un disque d’or qui traîne, il le dépose à côté et s’en va. Heureusement, il n’y a pas qu’un exemplaire des disques d’or et des costumes, j’ai donc pu récupérer quelques petites choses grâce à son entourage. L’esprit rock !