25 Jan

INTERVIEW : Moon Gogo, laboratoire de plaisir

C’est l’un des projets les plus singuliers et les plus audacieux de la scène nantaise, un mariage qu’on pourrait juger contre nature et pourtant. Entre le rock de Federico Pellegrini et la musique traditionnelle de la Coréenne E’Joung-Ju, entre la guitare et la voix de l’un et le geomungo de l’autre, c’est une affaire qui roule jusque dans leur nom : Moon Gogo. La preuve, ils viennent de mettre au monde un beau bébé, le deuxième en trois ans, il s’appelle Joy, trois lettres de bonheur…

Oh là là ! Mais que nous fait Federico Pellegrini, ont pu se demander un temps ses admirateurs ? De la musique du monde ? Du trad ? Non non, l’ex-chanteur guitariste de Little Rabbits et toujours French Cowboy n’a pas entamé une reconversion, aucunement renié ses origines, pas plus cherché à enfouir ses influences. Moon Gogo est l’histoire d’une rencontre, certes inattendue, avec la Coréenne E’Joung-Ju, et d’une exploration musicale sans retenue qui peut élargir notre horizon à tous. Après International, Joy sort le 26 janvier en version cd et digital. Interview…

© Moon Gogo

© Moon Gogo

On a découvert votre projet Moon Gogo en 2015 avec un premier album intitulé International. Pour tous ceux qui vous connaissaient du moins musicalement, ça a été une sacrée surprise. Qu’est-ce qui vous a pris ? Un besoin urgent de changement ? Une envie d’explorer de nouveaux territoires ?

Federico Pellegrini. Rien de tout ça, c’est une collaboration que nous a proposée Pierre Orefice qui nous connaissait individuellement, pour un évènement unique, et une fois lancés, on a décidé de continuer. Après, une sacrée surprise, je ne me rends pas compte. Je n’ai pas l’impression que ça ait totalement bouleversé ma façon d’écrire, ça emmène ailleurs bien sûr, à cause du geomungo et de l’univers traditionnel dont est issue Joung Ju, mais au final, les chansons restent des chansons, dans un format assez convenu. Disons qu’il faut ajuster l’angle d’attaque, mais en fin de compte, ce sont des chansons qu’on peut fredonner.

Je ne suis absolument pas un expert en matière de musique traditionnelle, j’en écoute très peu et je n’ai jamais eu ce fantasme de mélange des genres.

L’alliance entre vous et E’Joung-Ju était-elle si évidente que ça ? Comment se sont déroulées vos premières répétitions ?

Federico. Pour Pierre Orefice oui. Quand il a entendu Joung Ju pour la première fois, il s’est dit, tiens, c’est du blues qu’elle nous fait avec son instrument. Pour moi, beaucoup moins. Je ne suis absolument pas un expert en matière de musique traditionnelle, j’en écoute très peu et je n’ai jamais eu ce fantasme de mélange des genres. D’autant plus que je ne suis vraiment pas le bon numéro quand il s’agit d’accompagner qui que ce soit. J’ai un niveau de guitare (et je ne parle pas du clavier), très limité, disons qu’il se limite à se mettre au service de mon song writing, c’est surtout ça qui m’intéresse, je travaille toujours sur peu d’accords, et mon expression est finalement très codifiée et basique, mais c’est ce qui me plait justement, un cadre restrictif. Donc, les premières répétitions, on a pataugé jusqu’à ce que j’ai l’idée de brancher mon looper sur le geomungo, ce qui a permis de faire une boucle de basse, et de réduire le champ des possibles. Tout à coup, j’étais dans mon jardin.

Sur votre compte Facebook, vous parlez à propos de votre répertoire d’une musique de chambre pas très bien rangée. Qu’est-ce que vous entendez par là ?

Federico. C’est une formule trouvée par Laurent Mareschal, du label, très juste à mon goût. Personnellement, j’y vois une musique planante, un peu contemplative, mais avec un diable toujours prêt à sortir de la boite. Genre méfions-nous de l’eau qui dort.

Je crois savoir que vous êtes ou vous avez été un grand fan de Violent Femmes. En quoi ce groupe a t-il pu marquer votre façon de composer et de jouer ?

Federico. Oui, je le suis toujours même si j’écoute beaucoup moins aujourd’hui, mais je me suis construit là-dessus, entre autres, donc forcément, inutile de réécouter à outrance, ça fait partie de mon patrimoine, de ma palette. Je crois que la musique qu’on écoute, disons entre 13 et 25 ans, constitue le socle à partir duquel on va inventer plus tard, le fondement, je ne dis pas qu’on ne peut pas faire quelques escapades mais bon, c’est l’ossature, ça fait partie de, on est marqué à vie. Parce qu’il y a de la nostalgie dans la musique, comme dans la vie, donc forcément, on en revient toujours à sa jeunesse.

Plus largement, quels groupes vous ont inspiré dans votre vie de musicien et peut-être plus précisément pour le projet Moon Gogo ?

Federico. Pour le projet Moon Gogo en particulier, tout et rien. Rien, parce que le geomungo se suffit à lui même pour le côté pittoresque et unique en son genre, tout parce qu’à partir de ce postulat, tout est ouvert. Après, quoique je fasse, je me nourris de tout ce que j’entends, écoute, ai écouté, mais en bloc, comme une grosse benne de matière première. A quinze ans, on plagie, à 50, on ne sait même plus plagier. La musique que je fabrique ne ressemble pas tellement à celle que j’écoute, je trouve les autres souvent plus talentueux.

Quand je mets un vinyle sur la platine, je peux l’écouter pendant des mois, juste retourner la face.

Quel album tourne en boucle sur votre platine actuellement ?

Federico. Les albums qui tournent en boucle, c’est vraiment mon truc. Quand je mets un vinyle sur la platine, je peux l’écouter pendant des mois, juste retourner la face. Dernièrement, c’était Sleaford Mods, celui d’avant, c’était Jay Z. ..

Hier International, aujourd’hui Joy, qu’est-ce qui s’est passé entre les deux albums ?

Federico. Pas mal de concerts. Les Transmusicales par exemple, un gros soutien de Jean-Louis Brossard, soutien qui me tient à coeur tellement je considère le bonhomme. Lévitation aussi, à Angers. Plutôt chouette de se retrouver dans un festival psychédélique, c’est justement la place de Moon Gogo, même si sur le papier, les programmateurs peuvent en douter. Disons qu’on est passé d’intimiste à un peu plus hargneux, un peu plus rentre-dedans. Disons qu’on jongle entre les deux. Et puis l’écriture du deuxième disque, très chronophage.

Aujourd’hui, je trouve qu’il faut un peu se forcer pour être joyeux, parce que le monde ne l’est pas. Ça rit jaune. Ça laisse sceptique

Pourquoi ce titre Joy, joie en bon français ? C’est l’expérience Moon Gogo qui vous met dans un état de plénitude  ?

Federico. Non, joie, c’est un pied de nez. Déjà, c’est le titre d’un des morceaux, c’est un petit mot, trois lettres, ça peut fédérer. Personnellement, je l’entends comme Joie malgré tout. Aujourd’hui, je trouve qu’il faut un peu se forcer pour être joyeux, parce que le monde ne l’est pas. Ça rit jaune. Ça laisse sceptique. Et puis surtout, dans le morceau Joy, c’est plutôt un appel à ce qu’elle revienne, cette joie, on ne sait pas trop où elle est partie, si elle profite encore à quelqu’un.

On dit qu’un deuxième album est toujours plus difficile à réaliser, est-ce que ça a été le cas pour vous ?

Federico. Je dirais que les deux ont pris leur temps. Pour le deuxième, j’avais des envies de live, d’épure, ça a été le cas sur quelques morceaux, disons qu’on a changé de cap plusieurs fois. Ça reste deux instruments, deux façons de faire, aux antipodes, trouver le terrain commun prend parfois du temps, après, le temps, c’est rien, on peut le prendre, ça n’est pas un handicap, il y a tellement de champs possibles, Moon Gogo c’est un laboratoire. D’un côté, j’ai tendance à marcher plutôt à l’instinct, de l’autre, Joung Ju vient des musiques savantes, elle a tout un bagage. Il faut jongler.

Qu’est ce qu’on peut vous souhaiter pour les mois à venir ?

Federico. Je ne sais pas trop. Être vivant, en bonne santé, c’est bien ça. Comme on dit, la santé avant tout et pour le reste, quand le bâtiment va, tout va.

Merci Federico, merci Moon Gogo

Interview réalisée le 25 janvier 2018 – Eric Guillaud. Plus d’infos sur Moon Gogo ici et

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