18 Déc

Interview. Les Olivensteins bougent encore !

On aurait pu les croire perdus à jamais pour le rock, disparus de tous les écrans radars pour l’éternité, fiers de ne pas avoir fait grand chose et pressés de laisser travailler la légende. Mais non, Les Olivensteins ont repris du service et sortent leur premier album 40 ans après leur apparition aussi céleste qu’éphémère…

Olivensteins 2018. 8bis

Jamais groupe aussi éphémère n’aura peut-être autant marqué l’histoire du rock en France. Les Olivensteins débarquent sur la scène rouennaise à la fin des années 70, en 1978 précisément. Les Dogs occupent déjà le terrain depuis quelques années, viennent de sortir deux EP et s’apprêtent à publier leur premier album, Different. Pourquoi je vous parle des Dogs ? Parce que les deux groupes sortent du même moule, du label Mélodies Massacre, label mais aussi mythique magasin de musique de la capitale normande, et que l’un et l’autre vont à leur manière laisser une empreinte indélébile sur le rock des années 80.

Avec une différence de taille tout de même, tandis que les premiers chantent en anglais, les seconds balancent des textes en français qui égratignent la bonne morale de ces années-là. Fier de ne rien faire, Euthanasie, Je hais les fils de riches… Tout y passe, la société n’a plus qu’à bien se tenir…

Entre 1978 et 1980, Les Olivensteins donnent quelques concerts qui partiront parfois en vrille et participeront à faire d’eux une légende. Reformés en 2013, il reprennent la route, font quelques dizaines de concerts un peu partout, dont un particulièrement remarqué à Nantes avec les Buzzcocks, et décident de casser leur image de groupe mythique en sortant un album, oui Les Olivensteins ont enfin leur album disponible en vinyle, comme à l’époque, mais aussi en digital et en cd.

Tout ça méritait bien une interview de Gilles Tandy, chanteur leader du groupe. Un coup de fil, quelques échanges de mail, la voici la voilà, mordante à souhait…

Mais… pourquoi donc ce retour ? Vous aviez oublié de dire au revoir vous aussi ou d’éteindre la lumière, ou peut-être de dire tout le bien que vous pensez des fils de riches ?

Gilles Tandy. Il y a quasiment cinq ans, jour pour jour, j’avais donné rendez-vous au troquet en bas de chez moi à un type qui voulait m’interviewer pour Teknikart sur mes turpitudes d’antan. Evidemment, l’article n’est jamais paru. Ce jour-là, j’en avais profité pour railler ces vieilles carnes sur le retour qui reformaient leur groupe. Le résultat étant presque toujours atroce.

Le lendemain, Romain Denis (frère de Vincent et batteur de la formation originale du groupe) nous demandait à Vincent et à moi de répondre à une sollicitation d’un de ses potes pour un one-shot prévu l’été suivant lors d’un festival à Tournan en Brie (77). Eh bien, après une courte mais mûre réflexion dont la teneur n’était pas vraiment liée à des considérations musicales, on s’est retrouvé à répéter dans un local le samedi suivant. Rien n’était prémédité et j’éprouve toujours le même scepticisme à l’égard des reformations.

Sortir un premier album 40 ans après la création du groupe, ça fait quoi ?

Gilles Tandy. Comme pour n’importe quel groupe, parvenir à sortir un album procure un immense plaisir, le reste, on s’en fout totalement. Le passé des Olivensteins n’a jamais fait partie de nos préoccupations, le but n’était ni de célébrer un jubilé ni de fêter des retrouvailles en famille.

Vous aviez disparu des écrans radars, vous faisiez quoi au juste les uns les autres ?

Gilles Tandy. Après les Olivensteins, on a continué à faire de la musique jusqu’en 96, Vincent avec les Coolies et avec Eric Tandy, moi avec les Gloires Locales puis en solo accompagné par les Dogs pour l’album « La colère Monte », Vincent et moi ensemble avec les Rythmeurs puis avec Gilles Tandy et les Rustics. Ensuite j’ai totalement arrêté, tandis que Vincent avait repris avec son groupe Bring That Noise.

De nouveaux visages ont rejoint l’aventure. Vous pouvez nous les présenter ?

GIlles Tandy. On a redémarré avec la formation originale puis Didier Perini qui jouait avec Vincent Denis dans Bring That Noise nous a rejoint à la basse début 2014, ensuite Clément Lagrega a remplacé Romain Denis quand celui-ci a arrêté ; après le  départ d’Alain Royer le 2eme guitariste – qui ne jouait pas sur le 45 tours mais qui faisait partie du combo de départ…vous suivez ?- on a évolué à quatre (vx guitare basse batterie) jusqu’à l’été dernier. Outre Didier, Vincent et moi, la nouvelle formation comprend aujourd’hui Jérôme Bordage à la batterie et France Vitet, qui nous accompagnait déjà sur plusieurs morceaux du disque, aux claviers.

Musicalement, si je vous dis que cet album s’inscrit finalement dans la continuité de votre mythique 45 tours, j’ai tout bon ?

GIlles Tandy. Je pense que tu es dans le vrai, d’ailleurs, certains titres (Catalogues, Né pour Dormir et les Fils de riche) datent de la première époque, sans avoir cherché à reprendre l’histoire là où elle s’était arrêtée. C’est dans cette direction qu’on allait avant la séparation et c’est ce qu’on a continué à faire Vincent et moi avec les Rythmeurs et avec les Rustics.

c’est devenu un repère de vieux cons. Il y a même des colloques autour du punk, certes ça permet à quelques-uns de ressortir du bois avant de plonger dans la sénilité

L’esprit punk est toujours là ?

Gilles Tandy. Ça, on n’en a absolument rien à secouer, le terme punk a été utilisé à toutes les sauces ces derniers temps pour les besoins du quarantenaire d’un truc qui abhorrait les célébrations. Aujourd’hui, c’est devenu un repère de vieux cons. Il y a même des colloques autour du punk, certes ça permet à quelques-uns de ressortir du bois avant de plonger dans la sénilité, mais entendre des universitaires déblatérer sur l’influence qu’a eu ce mouvement dans la  société, il y a de quoi pisser de rire. Laissons le punk là où il s’est arrêté, ça évitera à certains de raconter tout un tas de conneries.

Est-ce que ça a été difficile de faire cet album ?

Gilles Tandy. Lorsqu’on a repris, nous avons vite compris que les standards avaient changé. Fini le temps où après avoir enregistré une maquette, tu attendais en vain l’avis éclairé du guignol d’une maison de disque. Il était clair qu’il allait falloir se prendre en main.

On a profité des subsides générés par la compile Born Bad et par les droits de  passage de « fier » et de d’ »euthanasie » dans le film « Je suis mort mais j’ai des amis » réalisé par Guillaume et Stéphane Malandrin, ainsi que du maigre pécule qui nous restait des concerts pour faire une maquette dans un petit studio parisien, puis, une fois réuni le matériel disponible, enregistrer ces dix morceaux en cinq jours de prise ; ensuite nous avons suivi le processus qui mène à la finalisation d’un album (mixage, mastering, pochette) ; jusqu’alors nous n’avions jamais pris en charge l’intégralité de la production, ça s’est avéré un peu plus long que prévu. La plupart des groupes tend à présent vers cette forme d’artisanat. En ce qui concerne le label –toute la partie fabrication, logistique, commerciale et administrative – le choix s’est vite imposé.

On retrouve la signature d’Eric Tandy (frères de Gilles, ndrlr) sur vos paroles mais pas que. Vous en signez vous aussi, en français bien sûr. C’est essentiel pour vous ?

Gilles Tandy. Je crois que ce vieux débat est clos depuis des années, pour nous c’est une question de confort.

il me semble que Bernard Tapie qui avait une approche du business autrement plus aiguisée que la nôtre n’a sorti que deux 45 tours.  Rien n’est évident dans ce milieu.

Retour en 1978. Un 45 tours, quelques concerts, quelques bagarres…. et puis bye bye. C’était un peu dur non ?

Gilles Tandy. À deux reprises, on a eu de gros problèmes avec des videurs qui étaient le bras armé d’organisateurs malveillants, ce qui était très courant à l’époque, mais Il n’y a jamais eu de bagarre pendant les concerts des Olivensteins, tous ceux qui nous suivaient peuvent en témoigner. Pour le reste, il me semble que Bernard Tapie qui avait une approche du business autrement plus aiguisée que la nôtre n’a sorti que deux 45 tours.  Rien n’est évident dans ce milieu.

Le groupe est devenu une légende dès les années 80, un groupe dont tout le monde parlait mais que finalement peu de gens avait vu ou même entendu. C’est confortable d’être une légende ?

Gilles Tandy. Nous avons toujours trouvé ça grotesque, nous préférons concourir dans la catégorie « découverte ».

Quel(s) souvenir(s) gardez- vous de ces débuts sur les scènes rouennaises et parisiennes ?

Gilles Tandy. Tout ce qu’on a vécu durant cette période est déjà relaté dans le livret de la compile Born Bad sortie en 2011;  je ne vois pas ce que je peux rajouter de plus. Ça a été une post-adolescence plutôt heureuse, j’ai d’ailleurs connu des moments très marquants avec tous les groupes dans lesquels j’ai joué.

D’autres ont certainement vécu une effervescence similaire en d’autres lieux et à d’autres époques.

Aujourd’hui,  des mères de famille fredonnent avec nous « Patrick Henry est innocent » lorsqu’on le joue mais on ne sent pas chez elles une envie soudaine d’étrangler leur môme….

On dit que vous vous êtes splité à cause de votre nom emprunté à un médecin éminent qui luttait contre la drogue et qui n’aurait pas du tout apprécié la plaisanterie. Mais je crois savoir qu’il y avait aussi toute la polémique autour du titre très provocateur « Pétain Darlan c’était le bon temps » qui n’avait pas été compris par tous de la même manière…

Gilles Tandy. Aujourd’hui, certains se focalisent sur ce titre qu’on a finalement assez peu joué parce que jugé rapidement assez mauvais. Au départ, Eric l’avait écrit en réaction aux crétins qui arboraient des croix gammées en gueulant « Anarchy » et peut être en pensant à David Bowie débarquant dans sa Mercedes décapotable à Victoria Station au printemps 76 ; de mon côté,  je me faisais une joie de pouvoir rafraîchir la mémoire des anciens ; les anglais pratiquent souvent cette forme de second degré et de dérision dans leurs chansons, mais c’est plus compliqué à faire passer en français.

Je n’ai pas souvenir de problème particulier causé par ce morceau ;  les gens dans la salle gueulaient le refrain à tue-tête avec nous sans donner pour autant l’impression d’adhérer aux thèses de la révolution nationale – Aujourd’hui,  des mères de famille fredonnent avec nous « Patrick Henry est innocent » lorsqu’on le joue mais on ne sent pas chez elles une envie soudaine d’étrangler leur môme…. je me trompe peut être ?

A de très rares exceptions, tout le monde se marrait et chacun trouvait son compte dans ce foutage de gueule général mais c’est vrai que le contexte n’était pas le même. Il n’y a pas eu de polémique à l’époque, ce n’est que bien plus tard lorsque le climat s’est alourdi qu’il a fallu remettre les choses en place, auparavant, nous n’avions jamais eu besoin de nous lancer dans une explication de texte.

En matière de provocation, on pouvait pratiquement tout se permettre, jeter de la bidoche sur le public, chanter à la gloire d’un tueur d’enfant ou de ces deux salopards, prôner l’euthanasie pour les vieux, narguer les mecs qui partaient bosser etc… ça ne portait pas à conséquence vu que notre champ d’action se  limitait à Rouen et sa périphérie et plus tard sur une partie de la Normandie

Par contre, il est exact que l’apparition des skins et des punks à chien lors nos derniers concerts annonçait un basculement des mœurs ; ces nouveaux compagnons de route plutôt encombrants couplés avec les embrouilles causées par le toubib ne nous laissaient pas des perspectives très enthousiasmantes. On a préféré arrêter les frais.

Vous le regrettez ? Jouez-vous toujours ce titre sur scène ?

Gilles Tandy. On n’était pas devins, on ne pouvait pas imaginer en 1979 que les héritiers putatifs de ces duettistes feraient deux finales et un podium à la présidentielle et que leurs idées pourries seraient si présentes au cours des décennies suivantes. Bien entendu, on ne la joue plus, on écarte la rime facile…

Et le bon médecin, il est mort ? Aucun risque aujourd’hui ?

Gilles Tandy. On n’en sait strictement rien. Nous nous sommes bien gardés de lui poser la question.

Quand même, Rouen à cette époque, Mélodie Massacre, L’Exo 7, Les Dogs, Les Olivensteins, c’était le bon temps ? 

Gilles Tandy. Heureusement qu’il y avait tout ça sinon qu’est-ce qu’on se serait fait chier à Rouen !

si l’écoute des chansons des Olivensteins permet à certains de repousser l’arrivée d’Alzheimer, c’est tant mieux

Ça vous arrive d’être nostalgique ?

Gilles Tandy. Le rock devient une affaire de vieux, c’est indéniable et si l’écoute des chansons des Olivensteins permet à certains de repousser l’arrivée d’Alzheimer, c’est tant mieux, mais tous ces mecs qui s’épanchent sur leur jeunesse perdue, ça me gonfle prodigieusement. Je n’ai pas encore l’incontinence d’un ancien combattant, ni l’éloquence d’un conteur.

Que reste-t-il de toute cette époque ?

Gilles Tandy. Quelques paquets de disques achetés au cours ces années, bien lourds à trimbaler lors de mes déménagements successifs.

Je vous ai vu sur scène à Nantes à l’occasion de l’événement « Fils de punk » organisé pour les 40 ans du mouvement punk. J’ai été très agréablement surpris par votre concert, très carré, très pro. C’était un concert important pour vous ?

Gilles Tandy. On a une forte connexion avec cette ville. Nous y avons joué dès 1983 avec les Rythmeurs et ensuite à plusieurs reprises avec les Rustics dont deux membres-Philippe et Jean Michel Daniau (Leo Seeger) étaient nantais. Ce concert nous tenait spécialement à cœur ; aujourd’hui, ça reste pour moi un moment particulier car c’est malheureusement la dernière fois que j’ai pu croiser mon ami Vincent Twistos (guitariste des Elmer Food Beat disparu cet été).

Le public est aujourd’hui plus avisé, les nouvelles générations ont amené une technique et un savoir-faire qu’on n’avait pas à l’époque, on ne peut plus se contenter de faire n’importe quoi. Sur scène, on s’efforce d’être généreux et à l’usure, on a fini par se mettre en place musicalement, on y gagne en sérénité.

Quel regard portez-vous sur le rock aujourd’hui ?

Gilles Tandy. Je n’ai pas un avis bien tranché là-dessus et la position du vieux sage qui ramène sa fraise ne me sied pas vraiment.

Je viens d’écouter « Brutalism » l’album de Idles c’est pas mal ; le chanteur a fondu les cendres de sa maman dans un tirage limité ; voilà une pièce qui pourrait trôner dans les conventions du disque au côté du 45 t des Olivensteins.

Quels sont vos projets ?

Gilles Tandy. Continuer à en profiter. On aimerait pouvoir jouer un maximum et de préférence, dans des endroits où on n’a pas encore mis les pieds, et qui sait ne pas traîner trente-neuf ans pour enregistrer un nouvel album…

Propos recueillis par Eric Guillaud le 17 décembre 2017

Plus d’infos sur les Olivensteins ici

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