27 Mai

« Ça n’est pas adapté »

Je ne sais plus à quand remonte mon dernier billet sur ce blog. Longtemps. Trop longtemps. Tellement de choses sont arrivées depuis : le – difficile – premier confinement, les vacances d’été, la rentrée scolaire et tout un tas de bouleversements dans ma vie et dans celle de ma tribu que j’en ai perdu la notion du temps. Il a fallu gérer de lourds changements, des adaptations, des réorganisations et la nécessaire restructuration que tout cela implique sur des personnes comme mon Bouchon et moi.

On s’en est sortis. Non sans deux ou trois crises à l’école, quatre ou cinq lancers de matériel en classe et l’angoisse que l’on m’appelle un jour pour me dire « on ne peut plus prendre votre fils en classe ». Heureusement, Mademoiselle, la psy qui vient travailler chaque semaine avec Bouchon, est passée par là et a tout remis bien droit juste en déplaçant la table de mon petit autiste en classe. Comme quoi ! On n’est pas des gens compliqués !!

Et nous voilà fin mars et le moment de l’orientation. Bouchon est censé passer dans la classe de son niveau d’âge. Mais les difficultés des derniers mois font douter l’équipe enseignante de sa capacité à rester scolarisé en milieu dit ordinaire. S’il doit y rester, il n’ira pas en CP. La perspective de voir Bouchon végéter en troisième section de maternelle m’a violemment étreinte et m’a fait éructer un « hors de question qu’il reste en maternelle ».

D’un commun accord avec l’école, j’ai demandé à la Mdph, et obtenu, une notification pour une scolarisation dans une Ueea : une Unité d’enseignement élémentaire adapté. Une classe de moins d’une dizaine d’enfants atteints de TSA intégrée dans une école classique avec éduc spé, orthophoniste, psychomotricien etc dans la classe. C’est un dispositif encore peu répandu et novateur parce qu’il est rattaché à un Sessad où travaillent non pas des pédopsychiatres mais des psychologues spécialisés dans la prise en charge de l’autisme. Autant vous dire que les places sont chères. L’Ueea, c’était mon super plan A : j’avais rencontré l’institutrice de l’Uema (le même dispositif mais pour les maternelles) qui m’avait assurée que Bouchon avait toute sa place dans cette classe spécifique. La commission devait se réunir mi-avril.

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Nous voilà mi-avril. J’appelle pour savoir si Bouchon a été accepté dans cette super classe. Non. Des gens, autour d’une table, ont décidé, sur la base de renseignements datant de ma demande, soit plusieurs mois auparavant, qu’il ne sera pas scolarisé dans cette unité. Sans jamais l’avoir rencontré. Ni lui ni les autres enfants qui ont aussi été refusés. Soit. Ok. C’est le jeu, ma pauvre Lucette. Sauf que l’avenir scolaire d’un enfant de 6 ans dit « à besoins spécifiques », ce n’est pas un jeu.

Qu’importe. Je dégaine le plan B : l’Ulis. L’Ulis est un dispositif de scolarisation mis en place il y a déjà plusieurs années : les enfants atypiques sont accueillis dans une classe avec un.e enseignant.e spécialisé.e, en petit nombre, avec un programme et une organisation adaptés. Et seulement en matinée. Là où le système Ulis diffère de l’Ueea, c’est que l’après-midi, ces petits écoliers sortent de l’école pour aller en hôpital de jour. C’est là, dans cette structure chapeautée par un.e pédopsychiatre et rattachée à l’hôpital psychiatrique de la ville (ouais je sais), qu’ils font des ateliers adaptés à leurs troubles avec des éducateurs.rices spécialisés.ées, des orthophonistes, des psychomotriciens.nes. La commission – encore une – qui attribue les places en Ulis se réunit début mai.

Me voilà début mai, la fleur au fusil, au téléphone pour savoir si Bouchon ira en Ulis à la rentrée prochaine : « mais le nom de votre fils n’a pas été évoqué. Son dossier n’a pas été étudié. Il n’était même pas dans la liste ni dans la pile ». Ah. Zut. C’est ballot. Surtout que mon petit autiste a une notification de la Mdph pour une inscription en Ulis Ted, je l’ai sous les yeux. Son dossier aurait dû être examiné. « Ah ben oui mais non. On n’a pas parlé de lui et là, c’est trop tard : la commission a déjà attribué les places. » 

J’ai senti l’angoisse monter dans ma gorge comme une aigreur d’estomac. Du coup, maintenant c’est quoi la solution ? J’avais beau essayé de réfléchir, de me raisonner, j’étais submergée par l’angoisse et la peur : à l’instant T, sur une conversation téléphonique de 7 minutes 34, tous les schémas possibles que j’avais élaborés dans mon esprit d’ordinaire si prévoyant venaient de s’écrouler les uns après les autres. Et je n’avais pas de solution de rechange. On était un mercredi. Et comme tous les mercredis, ça avait été une grosse journée. J’étais épuisée. J’ai appelé en larmes la directrice de la Mdph. En lui parlant entre deux sanglots, je me suis surprise à me balancer d’un pied sur l’autre – tiens ça revient souvent en ce moment… Deux jours, et deux nuits à essayer de ralentir la vitesse de fonctionnement de mon cerveau, plus tard, c’est l’inspectrice d’académie en charge des enfants en situation de handicap qui m’a rappelée : « on ne comprend pas ce qui s’est passé et pourquoi le dossier de votre fils s’est égaré mais il va être examiné ». Une chose est sûre : ce n’est pas mon autiste à moi que j’ai qui me donnera les bons numéros pour gagner au Loto. Mais avant qu’on examine son dossier, il faut que Bouchon et moi rencontrions la cheffe de service de l’hôpital de jour en lien avec la classe Ulis. Ok. Pas de problème.

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Nous voilà donc, mon petit autiste et moi un mercredi matin pluvieux (il ne pleut pourtant que rarement là où nous vivons !) devant ce bâtiment où nous sommes déjà allés une fois quand il était plus petit. La cheffe de service a déjà reçu mon Bouchon par le passé. Mais qu’à cela ne tienne. C’était il y a longtemps. Elle ne se rappelle plus de lui. Ce bâtiment, je ne l’aime pas. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Peut-être à cause du préfabriqué gris foncé qui le prolonge. Ou des blouses blanches que portent tous ceux qui y travaillent, même la secrétaire. Nous sommes entrés et avons attendu que l’on vienne nous chercher. J’ai chanté parce que Bouchon était stressé : plus d’une fois, il s’est levé calmement de mes genoux pour aller ouvrir la porte. Une porte fermée par un système de sécurité électronique. Il voulait clairement partir. Finalement, la cheffe de service est arrivée, avec une autre dame dont j’allais savoir un peu plus tard qu’elle est éducatrice spécialisée. Toutes les deux avaient une blouse blanche : longue pour la pédopsychiatre, plus courte pour sa collègue. Elles nous ont emmenés dans une petite pièce, avec un bureau à la perpendiculaire de la fenêtre. D’un côté, une chaise pour la cheffe de service, de l’autre, deux. Je m’assois sur l’une d’elles : mes genoux touchent le bureau. Il y a contre un mur une étagère avec des jouets et contre le mur d’en face, une table et une chaise d’enfant.

L’éducatrice spécialisée s’assoit à terre et essaye d’entraîner Bouchon dans un jeu. Elle lui parle comme s’il avait deux ans. La cheffe de service le regarde et ne dit rien. Je sens bien qu’elle se demande ce que lui et moi faisons là, pourquoi nous sommes venus. Finalement, elle se lance dans une explication du dispositif Ulis. Je lui dis que je sais ce que c’est. Que la scolarisation en petit groupe, c’est ce qu’il faut pour Bouchon. Je ne dis rien sur la prise en charge en hôpital de jour : je ne suis plus si convaincue que ça va convenir au petit garçon de 6 ans qui est en train de passer son stress en claquant les portes du placard de l’étagère. Personne ne me pose de questions sur lui, ses forces, ses lacunes, ses progrès. Mais on me demande quelles sont ses prises en charge. J’énumère. « Ah oui. Il est quand bien pris en charge… En libéral ». Les soins médicopsychologiques en libéral n’étant pas remboursées par la Sécurité sociale, le sous-entendu sur ma capacité financière à payer moi-même la même prise en charge que celle qui est gratuite en hôpital de jour est à peine voilé. Je ne relève pas. Je suis terrorisée par ce que je vois inévitablement arriver : après 20 minutes dans une pièce minuscule, avec des gens qu’il ne connaît pas, dans une situation que je lui ai expliquée mais dont il n’a pas saisi la portée – et c’est normal -, avec son point de repère, à savoir moi, qui transpire la tension, mon petit autiste se met à crier, à lancer les Playmobils qui lui tombent sous la main, à se balancer d’un pied sur l’autre et à secouer la poignée de la porte. Il fait une crise.

C’est le moment que la cheffe de service de l’hôpital de jour rattaché à l’Ulis Ted où j’espère scolariser mon fils choisit pour me dire : « quand je vois son comportement, je peux vous dire que le dispositif Ulis n’est pas adapté pour cet enfant. En plus, à l’école, il a une Aesh avec lui tout le temps. Et à l’Ulis, il n’y a qu’une Aesh collective. Ça ne va pas être possible. » Toujours assise à terre, l’éducatrice spécialisée acquiesce. J’apprendrai plus tard qu’il est possible qu’un enfant ait une Aesh individuelle en Ulis. Elles le savent mais ne m’en parlent pas. En moins d’une demi-heure, dans des conditions difficiles même pour un enfant neurotypique, cette pédopsychiatre a scellé l’avenir scolaire d’un enfant de 6 ans : « l’Ulis n’est pas adaptée, il n’ira pas. En revanche, l’hôpital de jour toute la journée, ce serait mieux ». Elle ne veut pas de mon fils. Enfin, si. Mais comme elle l’a décidé, elle.

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Je n’ai pas senti monter mes larmes. Elles sont arrivées tellement vite que j’ai eu l’impression de les vomir. J’ai vomi des larmes de désespoir. De désarroi. De tristesse. De douleur. De peur. De solitude. De colère. De rage. « Je peux comprendre que ce soit douloureux pour vous », a-t-elle cru bon d’ajouter. Non Docteur. Vous ne pouvez pas comprendre. Vous ne pouvez pas comprendre parce que ce que j’exprime en parlant fort et en sanglotant, ce n’est que le quart de la moitié du tiers de ce que je souffre. Je souffre que vous refusiez de donner sa chance à cet enfant. Je souffre que vous refusiez d’essayer. Je souffre que vous le rejetiez. Et je souffre que vous puissiez penser que son seul avenir à moyen terme est de passer ses journées dans ce bâtiment que lui et moi n’aimons pas, avec des gens qui portent tous des blouses blanches, dans de petites pièces où passe à peine la lumière du jour et fermées par des portes électroniquement sécurisées.

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J’ai remis son manteau à Bouchon. J’ai pris la petite main qu’il m’a tendue et j’ai dit « viens on s’en va ». On a quitté la pièce. J’ai eu vaguement l’espoir d’entendre un « attendez madame. On va voir ce qu’on peut faire ». Mais non. Aucune des deux ne nous a raccompagnés à la porte que mon autiste s’est empressée d’ouvrir une fois que la secrétaire a eu actionné le bip. J’ai marché 10 mètres sur le parking. Et je me suis effondrée, accroupie. Je n’arrivais pas à m’arrêter de pleurer. Je voulais faire demi-tour. Leur dire « regardez-le. Laissez-le passer ses bras autour de votre cou. Laissez-le vous sourire : faites-lui confiance, donnez-lui une chance. Il va vous surprendre. Déjouer vos pronostics. Il n’a que 6 ans. C’est un enfant, pas un dossier qu’on survole, qu’on referme et qu’on remise dans un tiroir « . J’étais tellement paumée que j’étais prête à les supplier de faire un essai en Ulis. J’ai même pensé qu’en m’entendant pleurer, quelqu’un allait venir. Mais non. Personne.

J’ai alors senti une petite main serrer la mienne et me tirer vers l’avant. Et ce « iii » sec et court qui veut dire « viens ». Bouchon m’a tiré le bras plus fort. Et à nouveau ce petit « iii » : « viens Maman. Allons-nous-en. Je ne veux pas rester là. Partons ». Il a encore tiré sur mon bras. Ok mon Bouchon, on s’en va. La voiture n’est pas loin. Mais jusqu’à ce qu’on y arrive, Maman va encore pleurer un peu d’accord ? Maman va encore pleurer de désespoir. De désarroi. De tristesse. De douleur. De peur. De solitude. De colère. De rage. Et peut-être d’un peu d’orgueil aussi. Le reste, mon Bouchon, ce seront des pleurs pour te dire merci : merci de m’avoir été aidée à me remettre debout. Merci de ne pas vouloir de gens qui ne veulent pas de toi. Merci d’avoir suffisamment confiance en toi et en moi pour me « dire » que tu n’as rien à faire là. Laisse-moi pleurer encore un peu en appelant Mamie. On est en mai. Septembre, c’est loin hein. Et puis la solution, le temps d’arriver à la maison, je l’aurai trouvée. Promis.

En rentrant, Numéro 3 a vu que j’avais pleuré : « ah mince…Ils t’ont dit non c’est ça ? » J’ai fait une petite moue pour lui dire que oui, ils avaient dit non. Il a aidé son petit frère à enlever ses chaussures et son manteau. « C’est pas grave, t’inquiète pas. T’es une Amazone maman. Tu vas y arriver ! Allez viens Loulou on va jouer dans ta chambre ! «  Mon blondinet de 10 ans a suivi son frère en courant dans l’escalier. Il s’est arrêté et m’a demandé : « qu’est-ce qui s’est passé ? » J’ai allumé une cigarette, eu un petit sourire en coin et bu une gorgée de café en regardant mon jardin : « rien de bien grave, mon Chat. Juste une autre bataille à venir ».

Nous voilà fin mai. J’ai un plan C. Reste à le faire accepter. Et même s’il l’est, ce n’est pas gagné. Bouchon va devoir faire ses preuves et montrer de quoi il est capable. Mais pour le moment, je ne sais toujours pas où mon petit autiste va aller à l’école dans 3 mois. Mais ce que je sais, c’est que, quoiqu’il arrive en septembre, ce bâtiment, lui et moi, on aura eu raison de ne pas l’aimer.

 

24 Déc

« Ah oui…C’est impressionnant »

Je n’ai pas écrit depuis plusieurs mois. Tant de choses sont arrivées depuis le printemps. Ou plutôt, tant de choses me sont tombées dessus depuis le printemps.

Comme prévu, Bouchon a passé l’été au centre de loisirs. Et moi aussi. Deux mois, 5 jours par semaine, de 9h15 à 17h, entourés de 90 gamins de 4 à 12 ans. Avec une pause de 3 heures à la maison pour le repas et la sieste. Très sincèrement, ce ne fut pas tous les jours d’une joyeuse fluidité. Pour lui comme pour moi. Bien des soirs, aucun de nous deux ne filtrait plus quoique ce soit. Mon petit autiste entrait dans des crises difficilement gérables. J’ai ainsi découvert qu’il lance plutôt loin son assiette pour son âge. Il est également assez performant dans le dégommage de portes et le claquage du hublot du sèche-linge. Il en a réussi à le fendre. Sans parler de sa rapidité à vider n’importe quel placard ou tiroir et de la force avec laquelle il est capable de secouer n’importe quelle tuyauterie, jusqu’à parfois la casser. Il y a des soirs où je ne savais plus ce que je devais faire pour l’apaiser.

J’étais éreintée, à bout de fatigue. Heureusement que 2 et 3 étaient là. Pour prendre quelques minutes le relais. Et pour s’occuper de la logistique quotidienne. Je n’avais pas mesuré que passer les mêmes journées que mon Bouchon produirait sur moi les mêmes effets. Toutes les portes de mon cerveau étaient grandes ouvertes. Et avec l’hyper-stimulation sensorielle de la journée, amplifiée par les crises de mon fils, je n’arrivais plus à les fermer. Je n’avais même pas la force d’en avoir l’idée. Même pas la force d’essayer. Les crises de mon petit autiste bousculaient complètement le séquençage de mes journées à moi. Au point que je ne savais plus organiser les douches, le rangement, le repas. « T’inquiète pas , Maman. Ca va aller ! On va manger des sandwiches !! »

Une bonne nuit là-dessus et c’est reparti, me direz-vous ! Sauf que les gens comme nous ne fonctionnent pas comme ça. Quand nous sommes dans cet état, il nous est impossible de fermer l’oeil. Et dans mon cas précis, quelques petites choses tout à fait insignifiantes sont venues s’ajouter à la barque déjà bien chargée. Quelques petites choses qui mettaient encore un peu plus mon cerveau en ébullition…

Au milieu des autres enfants, j’ai rapidement compris que faire des coloriages, coller des paillettes sur un dessin de château ou peindre un bateau, ça n’allait pas le faire pour Bouchon. J’ai alors eu l’idée saugrenue de lui apprendre l’alphabet. C’est de son âge non ?? Et c’est là que la situation a pris une tournure inattendue et passablement étourdissante. En moins de 15 minutes, mon autiste de 4 ans m’a montré qu’il connaissait les 26 lettres de l’alphabet. Majuscules. Minuscules. Scriptes. Elles sont toutes passées comme une lettre à la poste. Comment il a appris tout ça ? Aucune idée.

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Bon. 2 et 3 savaient ça aussi à son âge. Mais du coup maintenant, on fait quoi pour occuper ses journées ? « On essaie de voir s’il sait lire ? Moi, je crois qu’il sait. Parce que je lui ai dit tout à l’heure : si tu sais lire, mords mon doigt ; si tu ne sais pas, tape-moi le bras. Il m’a mordu le doigt ! » Ce qui est parti d’une plaisanterie de Numéro 2 s’est avéré bien réel. J’ai ainsi découvert avec étonnement qu’à 4 ans, Bouchon sait lire. Il ne déchiffre pas. Il lit vraiment. Il comprend ce qu’il lit. Montrez-lui la photo de la lune, demandez-lui la carte sur laquelle, parmi d’autres, est écrit le mot « lune » et il vous la donne. En majuscules. En minuscules. En scripte. Comment il a encore appris tout ça ? Toujours aucune idée. Je ne savais déjà pas qu’il savait lire. Mais qu’il sache ce qu’est la lune…

Tous les jours, 3 fois 30 minutes, nous avons travaillé ensemble pour que je puisse voir où il en était. Et ça ne s’est pas fait facilement : il m’a fallu lutter, parfois physiquement, contre lui pour qu’il accepte de restituer ce qu’il sait. Il m’a griffée, mordue, tiré les cheveux (c’est son nouveau truc !), pincée… Et je me sentais mal de l’obliger à faire quelque chose dont il ne voyait pas l’intérêt. Quelque chose dont moi-même, pour être comme lui, je ne vois pas non plus l’intérêt : montrer que l’on sait juste pour montrer que l’on sait.

Aujourd’hui, 5 mois après avoir pris en pleine figure les capacités hors normes d’apprentissage de mon fils de 4 ans, j’ai l’impression d’avoir jeté un caillou dans un puits et que je ne l’ai toujours entendu atteindre le fond : Bouchon sait compter jusqu’à au moins 100, composer des nombres de 4 chiffres, faire des additions et des soustractions à deux chiffres, les couleurs (même le mauve !), composer des mots comme « escalier » ou « loin », différencier un rectangle d’un carré ou d’un trapèze et « réciter » les tables de multiplications jusqu’à celle de 9. « P****n ! Il sait que des trucs que je ne sais même pas !! ». Numéro 1 est en Terminale et plein d’autodérision. Et comment Bouchon a appris tout ça ? Je n’en ai absolument, strictement pas la moindre idée. Le mystère complet.

Ce petit garçon qui, à bientôt 5 ans, ne sait pas tirer dans un ballon, ne parle pas, n’est pas propre, ne sait pas pédaler, ne mange pas seul, fait glisser dans ses mains tout ce qu’il peut, ce petit garçon a le niveau de connaissances d’un enfant 9 ans.

Inutile de vous dire que la rentrée en moyenne section de maternelle a été un chouya compliquée. Et que l’équipe enseignante, pourtant prévenue, s’est vue envoyer bouler plus d’une fois avec ses exercices d’escargot vert et de poisson bleu. Il a frappé, mordu, lancé, crié. L’institutrice et l’AVS ont dû adapter leur enseignement. Bouchon a tenu quelques semaines. Mais en cette fin d’année, les choses se sont à nouveau compliquées. Au point, qu’à la faveur d’un nez qui collait, j’ai préféré ne pas mettre mon fils à l’école la semaine avant les vacances de Noël pour laisser l’AVS souffler. Elle était à bout.

Mais à la reprise, comment faire pour adapter davantage le temps de scolarisation à ses capacités ? « Ah moi, je me suis arrêtée de compter jusqu’à 20 avec lui », a un jour avoué la maîtresse à Nounou qui lui disait que la table de 9, ça passait facile. Ma demande de prise en charge par un Service d’éducation spécialisée et de soins à domicile a bien été acceptée. L’intervention d’un enseignant spécialisé aiderait beaucoup. Mais Bouchon est sur une liste d’attente. « Quels sont les délais ? – Impossible de vous donner de date Madame…

Les vacances de fin d’année m’offrent un répit. Mais à la rentrée, je sais que chaque jour je vais à nouveau prier le Ciel pour que l’AVS ne raccroche pas son tablier et que mon fils ne soit plus accepté à l’école.

En attendant, je fais quoi et comment avec ce petit garçon qui ne se calme qu’en écoutant la description technique d’un Mirage 2000 ? « Moi, je dis qu’il faut attaquer la grammaire et les conjugaisons. Tu crois qu’il pourra m’aider en orthographe ?!! ». Numéro 2 a le sens pratique.

Aucun des praticiens avec lesquels j’évoque les capacités de mon autiste n’a de solution à me proposer. Mademoiselle, la nouvelle psy qui remplace Monsieur, a juste dit « ah oui… C’est quand même impressionnant » quand Bouchon a composé à ma demande le nombre 2796…

Et évidemment, pas de Jedi sans côté obscur de la Force. Bouchon recommence à frapper, à mordre (le chien ET les chats !), à lancer. A ouvrir et fermer frénétiquement les portes. Il est à nouveau ultra sensible à la frustration. A l’hyper-stimulation. Je n’avais pas pris de coup de tête depuis un moment. J’y ai eu droit le week-end dernier, pile dans le nez. J’ai saigné. (Je me suis renseignée : ce n’est pas un motif suffisant pour que la Sécu prenne en charge une rhinoplastie.). Il s’immerge tout habillé dans la baignoire et fait couler l’eau. Monte les deux pieds dans la cuvette des toilettes (avec ses chaussures, sinon c’est moins drôle). Disperse dans la maison la terre des plantes ou les croquettes de animaux. Retourne le sac de litière pour jouer…à la litière. Vide la poubelle. Repeint le canapé et les murs avec les cendres de la cheminée. Renverse volontairement son verre d’eau sur lui. Envoie valser un à un les livres de la bibliothèque. Je n’ai même pas le temps d’enlever mes chaussures qu’il a déjà enchaîné plusieurs de ces « bêtises ». Et quand je trouve le moyen de l’empêcher d’en faire une, il en imagine une autre aussitôt. Il n’arrive à plus à se calmer seul.

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Le poste « sommeil » en a également pris un coup. Les difficultés d’endormissement sont réapparues. Il faut maintenant près de trois heures que mon petit autiste accepte de lâcher prise et sombre dans les bras de Morphée. Trois heures durant lesquelles il faut rester à côté de lui si on ne veut pas qu’il se lève toutes les 10 minutes. Soirée pourrie pour soirée pourrie, autant que ce soit en lisant à Bouchon l’histoire de la conquête spaciale.

Là où il dormait jusqu’à 7h du matin sans problème, il se réveille maintenant plusieurs fois quasiment chaque nuit. Et à chaque fois, il ne peut se rendormir qu’avec une présence dans sa chambre. Une nuit, il s’est levé à 2h du matin. il est venu me chercher dans mon lit pour que je le recouche. Il n’a pas voulu me laisser sortir de sa chambre. Il a mis deux heures à se rendormir. Et moi autant de temps à lutter contre le sommeil. Re-belote le lendemain : à 3h12, j’ai traversé la maison tenant mon petit bonhomme d’une main et traînant ma couette de l’autre. J’ai ouvert les yeux à 6h26, allongée sur sa moquette, la tête sur un gros ours en peluche. Je ne sais pas lequel de nous deux s’est endormi avant l’autre…mais je crois bien que c’est moi. « Maman, j’ai mis un petit matelas sous le lit de Bouchon. Tu seras mieux qu’à terre… ». Numéro 3 a le sens du confort.

J’ai l’impression qu’il me faut tout recommencer. Y a-t-il un rapport de cause à effet avec le fait qu’on lui demande d’exprimer ses connaissances ? De montrer ce qu’il sait ? Je le pense, oui. Mais je dois tenir bon. Car si certains jours, je suis découragée, profondément, épuisée, terriblement, me revient alors en tête le large sourire de mon fils autiste quand nous le félicitons d’avoir écrit « maison » ou donné le bon résultat de 37 + 12. Et son regard bleu foncé planté dans le mien, plus clair. Ce regard pétillant qui semble dire « je suis heureux de te rendre heureuse ». Et pour lire ce bonheur dans les yeux de mon fils, j’affronterais sans problème tous les affres de ses troubles. Je réviserai même les racines carrées et les probabilités. Je vais vérifier aussi s’il sait écrire le mot « répit »...

 

 

 

24 Juin

« Vous avez un diplôme d’éducatrice spécialisée ? »

 Samedi dernier, Bouchon a participé à sa première fête de l’école. Et objectivement, il s’en est sorti comme un chef.
Je vais être honnête : ce n’était pas gagné. Quand on l’a amené à l’école le matin même, il s’est mis à pleurer à grosses larmes. Quand je l’ai laissé dans sa classe avec sa maîtresse, il a pleuré l’équivalent d’une année de pluie dans les Hauts-de-France (aucun racisme météorologique dans cette comparaison : je suis originaire de Lille et nous vivons près d’Amiens). L’inquiétude est montée, tempérée par le fait qu’il avait juste pleuré : il n’avait pas fait de crise, pas refusé d’aller jusqu’à sa classe ni tapé sa maîtresse en la voyant. Il a juste eu la réaction typique d’un enfant typique qui se dit : « je me tape déjà l’école toute la semaine, c’est pas pour y retourner le week-end ».
En voyant arriver l’AVS de Bouchon, j’ai espéré que ça allait rouler. Et effectivement ça a roulé. 30 minutes plus tard, il est arrivé avec ses copains de classe déguisé en petit poisson. Il ne cherchait pas à se carapater ni à enlever le bonnet de son costume. Il suivait le mouvement. Bravement. Et il est monté sur la petite scène installée dans la cour. Le bruit, la musique, le monde, la situation inhabituelle. Il a géré tout ça royalement. Il a même imité son AVS quand elle tapait dans ses mains. Il se fondait parfaitement parmi les autres enfants. Bon ok : il ne semblait pas super concerné par le truc. Il faisait ce qu’on lui montrait et point barre. Il a quand même eu un ou deux élans d’enthousiasme : il a sauté sur place en riant. La mission était accomplie. Et j’étais fière de lui comme jamais. A la fin de sa danse, 2 et 3, qui étaient aux aguets derrière un arbre, ont fondu sur moi : « t’as vu ça Maman ??!! Il a été super de chez super !! Il faudra le féliciter !! »
Ce qu’on a fait. Et il semblait content de nos applaudissements.
Depuis plusieurs semaines, Bouchon a passé un cap. Et cette fête d’école en est la matérialisation. Il s’intègre de plus en plus de lui-même au cercle familial. Il se met de moins en moins à l’écart. Il joue. Imite. Communique. Interagit. J’ai l’impression de le voir éclore. Beaucoup de choses restent compliquées, je ne vais pas le cacher. Juguler sa passion pour le claquage de portes m’oblige à toutes les fermer à clé même les portes intérieures. Nous sommes contraints de vivre une partie de la journée dans le noir : Bouchon est tellement obsédé par l’idée de jouer dans le jardin qu’il irait à n’importe quelle heure du jour. Il refuse même de manger quand il sait qu’il peut aller dehors. Pour éviter les crises parce que je refuse qu’il sorte, je dois fermer les volets.

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Mais les choses avancent. Et l’inclusion avec des enfants typiques n’y est pas étrangère. Je suis convaincue que c’est la clé.
Mais les vacances d’été sonnent la fin temporaire de cette inclusion : plus d’école, plus d’éveil musical, plus de psychomotricité, plus d’orthophoniste. En deux mois, Bouchon peut perdre ce qu’il a acquis en dix. Et c’est hors de question. Revenir en arrière n’est pas une option. Mon petit autiste ne sera pas en jachère parce que ce sont les vacances. Alors j’ai préparé un programme pour cet été. On travaillera tous les jours tous les deux. (J’irai me reposer au boulot à la rentrée) Et j’ai décidé qu’il irait au centre de loisirs comme son frère et sa sœur.
Quand j’ai téléphoné au directeur du centre pour savoir si je pouvais inscrire Bouchon en dépit de son autisme, il m’a répondu que ses animateurs n’étaient pas formés pour prendre en charge des enfants comme mon fils. « C’est pas grave : je viendrai avec lui toute la journée. Je sais comment faire ». « D’accord, mais j’ai besoin que vous m’envoyez une photocopie de vos diplômes d’éducatrice spécialisée dans la prise en charge d’enfant en situation de handicap »… Euh… Comment dire ?… Je suis sa mère. J’élève cet enfant tous les jours depuis 4 ans. En terme d’expérience en la matière, ça devrait suffire. « Ah ben non Madame. Il faut des personnes diplômées et spécialisées pour encadrer des enfants notamment ceux en situation bla bla bla »... Je n’ai pas hurlé. Je suis restée calme au téléphone (si je peux… parfois) et j’ai insisté (ça aussi je peux…souvent). « Je vais voir et je vous rappelle ».
La réflexion de cet homme a fait remonter en moi un questionnement qui me titille depuis la détection de l’autisme de Bouchon : est-ce que je m’implique assez dans sa prise en charge ? Ne devrais-je pas faire plus et cesser mon activité professionnelle comme le font tant de mères dans ma situation pour me consacrer entièrement à mon fils ?
Et la réponse a été celle qui est apparue à chaque fois que je me suis interrogée à ce sujet : non.
Je suis sa mère pas son éducatrice spécialisée. Pas son AVS. Je suis celle qui se couche contre lui quand il ne va pas bien. Celle qui chante à tué tête Pocahontas en pleine rue et dans les magasins pour l’aider à gérer le trop plein de sollicitations. Celle qui reste allongée sur le parquet à côté de lui quand il se focalise sur un petit caillou. Celle qui le chatouille pour l’entendre rire à gorge déployée. Celle qui plonge toute habillée dans son bain parce qu’il me tire par la manche. Celle qui tape de la main en même temps que lui sur le sol quand on arrive dans un lieu nouveau . Celle qui s’endort contre lui. Celle qui saute avec lui au lieu de marcher. Celle qui se balance d’un pied sur l’autre à son rythme quand il est face à une situation inédite pour lui. Celle qui remet en place ceux qui font des réflexions.
Les raisons de ce positionnement sont simples. La première est que je dis souvent aux aînés que je ne veux pas, que je ne dois pas être le centre de leur vie, leur principale référente. Ce qui me semble incontournable quand on s’occupe a plein temps de ses enfants. Autisme ou pas, ça marche aussi avec Bouchon. Surtout avec lui. J’écoutais un jour le témoignage d’un autiste devenu adulte qui était parvenu à entrer dans le monde typique. Il ne cessait de dire « c’est grâce à ma mère ». Sa mère qui avait arrêté de travailler pour ne se consacrer qu’à lui Je ne veux pas entendre ça dans la bouche de mon fils un jour (si toutefois cette jolie tête de mule daigne accepter de parler un jour). Quand les choses seront ce qu’elles doivent être, ce sera grâce à lui. Je suis juste là pour monter le moment venu sur scène et aller récupérer le prix Nobel qu’il a intérêt à gagner d’ici peu…!!

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La deuxième raison est que j’ai toujours dit à ses frères et sœur qu’ils ne sont pas continuellement le centre de ma vie. Et m’impliquer à temps plein dans la prise en charge de Bouchon serait renier cela. Et ce ne serait ni juste ni équitable pour les 3 premiers. Les petites bizarreries de cet angelot ne sont pas et ne doivent pas être une excuse pour changer de projet éducationnel. L’adapter oui. Mais ça s’arrête là. Il faut être cohérent dans ses comportements. Ce que je leur enseigne également. Je suis la première à devoir montrer l’exemple. Malgré la situation particulière à laquelle nous sommes confrontés.
 La dernière raison est plus pragmatique : passer mes journées avec mon petit autiste risquerait fort de faire remonter à la surface mes propres troubles. C’est déjà arrivé. J’ai eu tant de mal à dompter la bête que je n’ai pas d’énergie à perdre à repartir au combat contre elle. Et ça n’aiderait pas mon fils. Ce serait même contre-productif.
Le directeur du centre de loisirs m’a rappelée : je vais pouvoir être l’accompagnatrice de Bouchon. Je serai « personnel encadrant non diplômé » de la mairie. Quand j’ai demandé quel serait le salaire, il y a eu un blanc à l’autre bout du fil. J’ai cru bon préciser qu’évidemment je plaisantais.

04 Mai

« Je ne suis pas sûr que ça suffise… »

Ca fait des semaines que je prépare le dossier de Bouchon pour la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Et ça fait des semaines que j’ai de la peine.

Ce dossier va conditionner la prise en charge à venir de mon petit autiste. Il a 4 ans, va à l’école tous les matins avec Morgane, son assistante de vie scolaire. Mais il faut que d’autres spécialistes s’occupent de lui pour le faire progresser. Et il faut demander leur intervention à la MDPH. Ce sont ses agents qui vont décider, sur la foi des comptes-rendus des praticiens que voient mon Bouchon chaque semaine, si oui ou non mes demandes sont justifiées. Ce sont eux qui vont décider de l’avenir quasi immédiat de mon fils. Je dois monter un projet pour qu’il ait accès à de nouvelles prises en charge. Remplir des dizaines de feuillets. Expliquer ce que je veux pour lui. Justifier. Sur celui intitulé « projet de vie », j’ai failli juste écrire « être heureux ». Quand j’ai dit ça en souriant à Mr, il m’a répondu sans vraiment sourire « je ne suis pas sûr que ça suffise… ». J’avais bien compris. Mais je m’étais dit que je pouvais quand même essayer…

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Alors j’ai rempli toutes leurs satanées feuilles. En détaillant tout ce dont mon Bouchon a besoin pour aller de l’avant. Et chacun des praticiens qui s’occupent de lui m’a donné ses conclusions sur mon petit autiste. A chaque fois, il a fallu en discuter avec eux. Et tout ça, ça m’a plombée.

Ca a commencé avec l’école. On en a fait ce qu’on appelle une « Equipe éducative ». Autour de la table, l’institutrice de mon Bouchon, la directrice de l’école, l’enseignant référent pour les enfants handicapés du Diocèse (puisqu’il va dans le privé), l’AVS, l’assistante sociale du Centre médico-psychologique qui le suit depuis 3 ans et moi. On a mis dans des cases les progrès de mon petit autiste mais surtout ses retards. Ca a duré une heure et demie. Et j’ai fini ratatinée sur ma chaise : j’avais l’impression qu’on avait gratté une plaie sans discontinuer. Une plaie qui commençait à être à vif. J’ai pris en pleine figure tous les points négatifs que ces professionnels de l’éducation avaient pointés. Un par un. Au final, on a décidé de faire une demande pour augmenter le temps de présence de Bouchon à l’école mais avec son AVS. En partant, la maîtresse a cru bon de me préciser « vous comprenez ? Il est capable d’être scolarisé mais pas sans un adulte à ses côtés ». Oui oui. J’avais bien compris.

Après, il a fallu courir après les certificats de son orthophoniste, de son psychologue comportementaliste, de sa pédo-psy et de sa psychomotricienne. Deux mois plus tard, le dossier est complet. Et moi, je suis à genou, une immense plaie saignante au cœur. C’est que voyez-vous, j’ai fait la bêtise de lire tous les comptes-rendus. Et en fait, je n’aurais pas dû. Chacun mettait en avant ce que Bouchon n’a pas encore acquis et qui devrait pourtant l’être à son âge. Quand moi, je le regarde avec fierté en énumérant tous les progrès qu’il a déjà fait. Je sais bien que c’est comme ça je dois regarder la situation. Mais quand je pense à l’avenir, je n’y arrive pas toujours. Je mesure la longueur du chemin qu’il nous reste à parcourir. Ses écueils. Ses ornières. Et j’ai l’impression de ne pas en voir le bout.

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Je ne sais même pas s’il y a une lumière à la fin de ce tunnel. Parfois, j’ai la sensation de faire du sur place, dans le noir. Mon seul réconfort est de sentir la main de mon Bouchon dans la mienne. Et d’entendre son rire. Ce rire d’une pureté si profonde qu’il me fait sortir la tête hors de l’eau. Alors je fais ce que jamais de ma vie je ne fais. Je regarde en arrière. Et je mesure ce que nous avons déjà parcouru. Et je liste chacune de ses avancées. Toutes ces petites choses, je les enfile une à une comme des perles et je m’en fais un collier imaginaire. Quand j’ai un coup de mou, je les égraine comme un rosaire.

Bouchon dit Au revoir de la main en regardant son interlocuteur droit dans les yeux avec un sourire. Il ne mord quasiment plus (si !! Le chien !! Mais vu son tour de taille, je ne suis pas sûre qu’il sente quoique ce soit). Il ne se sauve plus du rang à l’école. Il a intégré les consignes de la classe. Il enlève son manteau seul et de sa propre initiative lorsque nous arrivons quelque part. Il colle son front contre le mien en gémissant quand il voit qu’il m’a fait mal. Il me caresse les cheveux, prend son frère par le cou pour lui faire un câlin et pose sa bouche sur la joue de sa soeur pour faire un baiser. Il ne se balance plus. Ne fait presque plus tourner les objets. Il a encore un petit faible pour les portes (chacun le sien. Moi, c’est les chaussures) mais frappe moins. Et ce regard bleu foncé qu’il plante désormais avec assurance (et un peu trop avec effronterie à mon goût) dans le vôtre. Parfois, c’est dur pour lui. Il craque. Mais j’arrive de mieux en mieux à le calmer. Et pour moi, la plus grosse, énorme victoire de ces dernières semaines, c’est qu’enfin, mon autiste à moi accepte que je le touche quand je suis avec lui dans son lit quand il est trop énervé pour s’endormir sereinement. Il se blottit même sur ma poitrine pendant de longues minutes et me laisse lui caresser les cheveux.

Tous les comptes-rendus du monde pourront toujours me plomber le moral. Le chemin qui reste à parcourir pourra toujours être aussi long qu’un jour sans pain. Je sais désormais où je peux trouver le repos de la guerrière : dans un petit lit, sous une couette bleue marine flanquée d’un petit garçon déguisé en super-héros, la tête posée sur un ours en peluche XXL, une cascade de boucles châtain sur le sein, bercée par un petit autiste de 4 ans qui annone un chant, probablement La Follia de Vivaldi qu’il aime tant.

 

25 Mar

« Tu n’as pas dit s’il te plaît… »

 

Bouchon est arrivé vers moi avec une bouteille d’eau un peu trop lourde dans les mains. Il l’a collée dans les miennes : « à boi… ». 

Je n’étais pas très sûre d’avoir bien entendu : « qu’estce que tu veux ? ». Il a répété « à boi » en tapant sur la bouteille d’eau.

Le RE manquait mais n’importe qui aurait bien compris ce qu’il voulait. Et honnêtement, depuis le temps que j’attends ça, je n’allais pas faire la difficile : mon autiste à moi parle enfin. Je l’ai félicité et j’ai versé un fond d’eau dans un verre. Il avait un large sourire sur son visage, heureux de constater qu’il avait obtenu ce qu’il avait exprimé. 

J’ai appelé ses frères et sœur. Ils ont débarqué tous les trois dans la cuisine à grand renfort de « que se passet-il ? » et de « qu’y a-til ? » ( ils aiment les tournures de phrases à l’ancienne !!) J’ai repris son verre à Bouchon et j’ai demandé : « qu’estce que tu veux ? » « à boi »… Applaudissements et cris de l’assemblée. Ma fille a sorti une langue de belle-mère. Son frère cherchait les canons à confettis de son anniversaire !! Liesse générale dans la maison !! On a frôlé la hola !! Bouchon a regardé tout le monde avec un immense sourire. Comme il avait l’air fier de lui. Et heureux de la réaction qu’il avait provoquée. Numéro 1 lui a caressé les cheveux en le félicitant. Numéro 2 l’a soulevé dans ses bras en l’embrassant et numéro 3 a dit « c’est bien Bouchon !!! Bravo !! ». Puis il a ajouté avec malice « mais tu n’as pas dit s’il te plaît !! ». Il a observé ma réaction du coin de l’œil mais je n’ai rien dit. Mon regard s’est posé un quart de seconde sur la marque de dents qu’il avait encore sur la joue et je ne l’ai pas réprimandé : vu tout ce que son petit autiste de frère lui avait mis ces derniers jours, c’était de bonne guerre !!!

On a tous ri de cette plaisanterie et Bouchon s’est mis à sauter sur place en battant des mains de contentement… Et pour ceux qui se posent la question  : non, je n’ai pas oublié de lui redonner de l’eau !! 

N’allez pas croire qu’après, les choses sont allées d’elles-mêmes. Genre : le robinet est ouvert, les paroles coulent à flot. Ce serait si simple. La suite n’a pas été évidente : il a fallu pousser Bouchon dans ses retranchements pour qu’il utilise ce mot à chaque fois qu’il voulait boire. Il a fallu insister, tenir bon même s’il se faisait comprendre autrement. Ça m’a valu des crises, des cris, des claques, des morsures. Parfois, je restais cinq bonnes minutes avec la bouteille dans les mains en répétant « qu’est-ce que tu veux ? ». Et lui, de frustration, criait, claquait une porte, me frappait, mordait le chien s’il avait le malheur d’être dans les parages. Désolée mon Bouchon : tu l’as dit une fois. Et j’ai juré mes Grands Dieux que tu le redirais. Et je suis têtue depuis plus longtemps que toi…

 

 

Et voilà… Mon Bouchon parle. Bon ok… Il dit juste un mot mais, à force d’insister, il l’a redit et à chaque fois à bon escient. Il a compris à quoi sert le langage. Il l’a redit avec Nounou. Avec chacun de ses frères et sœur. Avec ma mère. Son père. Et même à l’école. Il a compris que le langage ne sert pas qu’à la maison et qu’avec moi. Depuis, Bouchon boit… beaucoup !! Je ne l’ai jamais vu autant boire !!

Ça, c’était il y a une petite dizaine de jours. Son vocabulaire s’est étoffé depuis : on a eu droit à « bain », puis à « bonbon » (je tiens ici à remercier publiquement ma mère pour cet apprentissage qui, à mon sens, n’était pas prioritaire !!!). Que des mots en B. J’en ai fait la remarque à la pédopsy du CMP où Bouchon est suivi : « ça arrive : certains autistes apprennent à parler par lettre ». Numéro 3 a alors prévenu son petit frère : « ok ! On passera à la lettre suivante quand tu sauras dire bibliothécaire !! Même moi, j’arrive pas à le dire correctement !! ». On a ri. Encore… 

 

La tension des dernières semaines retombait. J’ai expliqué à la fratrie que les moment plus que difficiles que nous avions traversés n’étaient que l’annonce de cette belle surprise. « On a bien compris, Maman. Même si c’est dur parfois, on sait qu’on doit tenir bon », m’a rassurée ma fille. « On le saura pour la prochaine fois, a dit mon petit blond. Mais la prochaine fois, y a intérêt à ce que ce soit pour nous montrer qu’il sait lire !! »… Je ne suis pas dupe : numéro 3 ressent un peu de rancoeur. Et vu ce que son frère lui fait subir, c’est normal.

Il continue à s’exprimer en majorité avec des petits cris, mais d’autres syllabes affleurent. Et d’autres mots aussi : des « viens », « veux », « allez », « oui », « pote » pour compote. On joue sur sa frustration pour le pousser à bout. C’est en général dans ces moments là que les mots sortent. 

Bouchon a 4 ans… et parle enfin… jamais je n’aurais cru qu’il y parviendrait. J’avoue. Mais il l’a fait. Et ce petit bout d’homme a l’incroyable capacité de me surprendre tout le temps. J’attends avec impatience ce moment fatidique où j’aurai envie de lui dire, comme pour les 3 autres avant lui : « et si on jouait au Roi du silence ?? » !!! Et je jure encore une fois mes Grands Dieux qu’un jour, je lui dirai. Parce qu’il m’aura saoulée de paroles. Et quand je serai sur le point de prononcer cette phrase, je ne pourrai pas m’empêcher d’en éprouver une joie intense. 

 

Parce que mon petit autiste à moi pourra enfin me dire toutes ces choses qu’il a me dire. Et que moi, j’aurai enfin tant de choses de lui à écouter. 

12 Mar

 » Pour lui, vous êtes associée à une douleur… »

Ces dernières semaines ont été compliquées avec Bouchon. S’il ne s’en prend plus aussi souvent à ses sœur et frères, il s’est reporté sur moi. J’expérimente physiquement l’effet des vases communiquants !!
Chaque déshabillage d’avant bain et chaque pyjamage (je sais ça n’existe pas mais j’aime bien inventer des mots et surtout des mots en  » age  » !!) d’après bain est (re)devenus un combat physique avec mon autiste : au moindre geste de ma part, à la moindre demande, j’avais droit à une claque, un tirage de cheveux, des pincements à pleine main, des morsures… Bref toute la panoplie du parfait Bouchon énervé.
Avec, la nouveauté du menu, des griffures. Je n’ai qu’à lui couper les ongles, me direz-vous !! Eh ben oui mais non !!! Couper les ongles de mon petit autiste, ce n’est déjà pas la chose la plus simple à faire (la pire, c’est de lui nettoyer les oreilles : nous ne sommes parfois pas trop de deux. ). Alors quand il est perturbé, c’est mission impossible. Après le coup de boule qui m’a valu un coquard sous l’oeil pendant 10 jours, j’ai eu droit aux marques de griffes sur le nez et la joue. J’ai beau le réprimander, rien n’y fait : il me rit au nez en n’omettant pas de m’en coller une autre parce qu’il a parfaitement compris le rapport de cause à effet. Et l’effet final, à savoir mon haussement de voix, c’est super drôle.

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Le moment du bain est devenu une angoisse et un calvaire pour moi, un nouveau divertissement pour lui jusqu’à contaminer les repas. Je n’ai même plus la force de lui demander d’arrêter. J’encaisse sans rien dire. Je me suis même surprise à rentrer la tête dans les épaules en voyant sa petite main se lever vers mon visage. Et je n’ai pas de solution pour endiguer ce sentiment m’envahissant un peu plus chaque jour : mon fils ne n’aime pas.
Je finis par avoir l’occasion d’en parler à Monsieur (le psychologue comportementaliste qui vient chaque semaine travailler avec Bouchon). Assis à la table de la cuisine buvant son café.
« Les ongles, les oreilles, le coiffage, c’est toujours au moment du bain ? Et c’est toujours vous qui vous en occupez ? Et c’est compliqué ?
– Oui
– Pour qu’il se déshabille, vous lui donnez verbalement des consignes ? Vous lui demandez de faire des choses ?
– Oui
– Alors c’est ça. Ne cherchez pas. Il n’est pas sympa avec vous parce qu’il estime que vous ne l’êtes pas avec lui. Avec tous ces gestes de soins, dans son esprit, vous êtes associée à des contraintes et à des douleurs. »
Il a dit ça comme une évidence. Avec sa voix douce comme elle l’est toujours. Et un grand sourire sur les lèvres parce qu’il avait trouvé le pourquoi du comment. Dans ses yeux, ça a l’air simple. Moi, ça m’a anéantie. Une nausée m’est montée et les larmes qui vont avec… Pour mon fils, je suis celle qui blesse, qui meurtrit… Pour mon fils, je suis méchante… Je suis une mauvaise mère…
Je ne me souviens plus de ce que Monsieur a dit après ni si je lui ai dit au revoir, à la semaine prochaine. Focalisée sur cette révélation et ce qu’elle signifie.
J’ouvre la baie vitrée au chien qui veut sortir dans le jardin et je m’assois dans l’herbe mouillée de pluie. Dans l’esprit de mon autiste de 4 ans, je suis associée à des choses désagréables et qui font mal. Se peut-il qu’il vienne à en penser que je ne l’aime pas ? Et que de fait, il ne m’aime pas ? Ou qu’il n’ait tout bonnement aucun sentiment pour moi ? Que je lui sois émotionnellement indifférente ? Est-ce que je ne suis pour lui qu’un référent ? Je n’ai tellement que peu de preuves de son attachement et je ne sais pas lire en lui.

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J’ai fumé deux ou trois cigarettes et fini mon café. Et puis, j’ai entendu quelqu’un frapper à la vitre. Bouchon… et son immense sourire qui, à cet instant précis, fait pire que mieux. Je suis rentrée et je l’ai pris dans mes bras. Je l’ai serré fort, très fort. Il a gémi d’un air triste et a posé ses deux petites mains sur mes joues. Il m’a caressé les cheveux et a passé ses bras autour de mon cou pour, chose rarissime, me serrer contre lui. Il a collé sa langue sur ma joue. J’ai pris ça pour un bisou. J’avais un genou à terre à cause de mon Bouchon et il venait de me redonner la force de me battre contre lui.
Parce que, voyez-vous, ce petit autiste de 4 ans au visage d’angelot, aux cheveux bouclés et à la main leste est le défi de ma vie. Je ne suis pas de celle qui lâche l’affaire facilement et je suis plutôt douée pour contourner les obstacles. Cette fois, j’en ai un de taille devant moi. Et j’en suis venue à bout…
J’arrête de donner verbalement des consignes à mon autiste pour qu’il se déshabille. Quand il faut qu’il enlève ses chaussettes, je commence et il finit. Quand son attention est captée par autre chose, je le recentre vers ce qui nous occupe par un simple geste. Je ne lui demande plus rien. Je parle de tout et de rien. Je guide simplement ses gestes. Pour les autres soins, j’ai délégué à Nounou !! Il n’y a pas de raison que je sois la seule à passer pour une marâtre !!
Petit a petit, il a arrêté de me frapper ou d’essayer de me mordre. Il continue, bien entendu, à râler à grand renfort de cris. Mais moins. Aujourd’hui, ça fait 4 jours que je n’ai pas pris une gifle. Mon record !! Ça s’arrose !!!

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Ce passage à vide entre lui et moi a eu le mérite de m’assurer d’une chose : cet enfant sait que je l’aime. Et je crois qu’il m’aime aussi. Quand il me regarde en souriant, quand il glisse sa main dans la mienne, quand il me tend sa joue, je ne peux que me rendre à l’évidence : tout autiste qu’il est à ne pas comprendre les émotions et les sentiments des autres, ce petit garçon sait que moi, qui lui tire inévitablement les cheveux en le coiffant, qui le contraint pour lui couper les ongles ou pour lui nettoyer les oreilles, qui l’enquiquine en lui demandant d’enlever son pantalon ou son pull; moi qui me recroqueville dans son petit lit quand il a une angoisse avant de dormir mais qu’il ne veut pas que je le touche; moi qui chante pendant des heures pour aller le chercher là où il s’est perdu; moi qui lui caresse la joue pour l’aider à se calmer, je l’aime.
Et si pour le moment, il ne le sait pas, il le saura un jour. Et un jour, j’aurai la preuve irréfutable que mon fils m’aime aussi. Parce que sa différence fait que, même si je suis sa mère, je dois me battre pour avoir une place dans son monde. Et que perdre n’est en aucun cas une option.

08 Fév

« Laisse Maman… je m’en occupe »

« J’en ai pris une salée pour toi et une sucrée pour lui !! »
En riant, ma fille me tend un petit sachet de sauce pour sushis très froid car tout droit sorti du réfrigérateur et applique l’autre sur l’œuf de pigeon qui se forme sur le front de Bouchon : ce soir, après le bain, passablement énervé, il m’a donné un violent coup de tête et ma pommette gauche commence déjà à gonfler…
«Parce que toi, tu préfères le salé et parce que lui, c’est une bouche à sucre !! », ajoute-t-elle avec malice…
« Ah… Tu vas être plus rouge que moi l’autre jour !! Quand il m’a frappé dans l’œil !! ». Ça, c’est numéro 3 qui vient contempler les dégâts en sermonnant son petit frère : « non vraiment, c’est pas bien ce que tu viens de faire… »
Bouchon à l’air de se rendre compte qu’il m’a fait mal : il geint et non pas parce qu’au milieu de son front trône maintenant un œuf d’autruche. Je le vois bien : il sait…
Les deux autres dédramatisent et lui font la leçon. Bouchon les regarde, les écoute et se laisse embrasser : « tu ne le referas plus ? D’accord ? »… 2 aura 10 ans dans quelques jours. Et 3, 8 ans demain. Et pour moi, ce sont eux les vrais héros de notre famille.

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Parce que leur petit autiste de frère ne les ménage pas. Quand il fait une crise. Mais aussi au quotidien. Ils ne lui en veulent jamais. Peut-être parce que nous avons choisi de ne pas dramatiser tout ça outre mesure…
Chaque soir, Bouchon se lève une bonne dizaine de fois et sort à grands fracas de sa chambre. Qu’ils soient eux-mêmes couchés ou non, il n’y a pas une fois où l’un d’eux ne va pas remettre son frère dans son lit. Essuyant au passage tentative de morsure et autre tape de la main plus ou moins sentie. Il n’y a pas une journée où je n’entends pas un « laisse Maman. Je m’en occupe… »
Celui que Bouchon a pris le plus en grippe, c’est mon petit blond de numéro 3. Régulièrement, Bouchon saccage méticuleusement sa chambre, y mettant ce que je n’ai pas peur d’appeler un foutoir de tous les diables. Et il rit de voir son grand frère crier son désespoir de devoir tout ranger. Il le frappe quand il se fait sortir de sa chambre. Pour numéro 3, c’est parfois difficile : il en vient à avoir peur des réactions de son petit frère. Et quand je l’entends lui dire « je t’en supplie, ne me frappe pas », mon cœur se fissure. Je lui explique qu’il ne doit pas montrer sa peur parce que sinon ce sera pire. Sans vraiment être moi-même convaincue que c’est le bon argument. « Oui maman »… Il prend alors un air faussement sûr de lui et attrape son frère par la main « je ne vais quand même pas me laisser faire par un partir garçon de 4 ans… Et c’est pas la peine de me frapper !! ». Je vois bien qu’il prend sur lui mais qu’il n’en mène pas large.
Avec numéro 2, c’est plus facile : elle a trouvé le truc !! Elle ne réagit pas quand Bouchon la provoque. Et elle chante quand il s’énerve physiquement sur elle. Mais lors de sa dernière crise, il lui a quand même laissé l’empreinte de sa mâchoire dans le triceps. Ce n’était pas la première fois. Sans compter les tirages de cheveux et les lancers au visage de ce qu’il a dans les mains. Bouchon n’aime pas être contrarié ni contraint et le fait physiquement savoir. Son mécontentement laisse parfois des traces…
Attention, mes aînés ne sont les martyrs consentants de mon autiste à moi que j’ai… Certes non. Je ne le laisse jamais s’en tirer à bon compte quand il en est venu aux mains. Ce qui arrive heureusement de moins en moins fréquemment . Mais je me dis souvent qu’un peu plus de sérénité ne leur ferait pas de mal. Un peu plus d’enfance. J’ai souvent la crainte que la situation ne les fasse grandir trop vite. Qu’ils deviennent adultes avant l’heure (si tant est qu’il y ait une heure pour devenir adulte !!)
Et puis je croise numéro 3 construisant un avion non polluant en Lego ou numéro 2 habillée en sirène/Indiana Jones avec un dictionnaire de mythologie grecque à la main et je suis rassurée !! Tout va bien : ils sont encore complètement barrés !!
Souvent je discute de tout ça avec eux…. Bien sûr, ils pleurent quand Bouchon leur fait mal. Mais jamais ils ne lui reprochent quoique ce soit. « Tu sais Maman, si on n’y arrive pas et qu’il faut s’occuper de Bouchon plus tard, on le fera quand toi, tu ne pourras plus ».
Lorsqu’il a mordu ma fille au sang, elle a retenu ses larmes : « je ne veux pas pleurer à cause de ce qu’il vient de faire. Parce qu’il ne sait pas ce qu’il fait… Et si je pleure, ce serait comme si je l’accusais… ». Je l’ai serrée contre moi et ai sermonné son petit frère en lui montrant la marque de ses dents dans la chaire. « Si ma chérie, il sait ce qu’il fait. Et s’il ne le sait pas, il va apprendre. Parce que son autisme n’est pas une excuse… ». Quelques minutes plus tôt, il avait frappé au visage numéro 2. Qui avait trouvé tout seul un sachet de petits pois dans le congélateur !!
Avec le plus grand, rien de tout ça n’arrive : sa stature et sa voix grave ont un effet rédhibitoire sur Bouchon. Même s’il essaie parfois de lui en coller une !!!
Honnêtement, c’est parfois dur pour eux. Mais jamais ils ne se plaignent. Ce sont des vrais guerriers !! Et quand j’entends Bouchon rire parce que numéro 3 fait l’andouille ou le ton protecteur et maternel de numéro 2 quand elle l’appelle « Loulou », j’ai la gorge qui se serre. J’ai souvent l’impression qu’ils m’apprennent plus que je ne leur en apprends.
Car ces enfants, qui par le plus grand des hasards sont les miens, ont l’élégance du cœur de ne pas en vouloir à leur frère, de continuer à l’aimer coûte que coûte. Et de ne pas m’en vouloir à moi, qui ne sais pas toujours les protéger. Ils ont le cœur suffisamment bien habillé, comme disait ma grand-mère, pour ne pas me tenir rigueur de leur montrer ouvertement que je ne suis pas la super maman infaillible que tous les enfants croient avoir.

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Les héros de cette histoire, ce sont eux. Parce qu’il faut une certaine dose de courage et d’inconscience pour vivre ce qu’ils vivent avec le sourire vissé aux lèvres. La bonté en bandoulière. Et je me dis alors que j’ai une chance inouïe d’être la mère de ces petits soldats engagés dans une bataille qui n’est finalement pas la leur. Mais qu’ils mènent quand même parce qu’ « en fait Maman, on est une équipe »…

05 Jan

« Regarde moi… »

Cela faisait plusieurs jours que trottait dans ma tête le thème de mon nouveau billet. Je voulais faire part de toutes les jolies surprises que m’a faites mon Bouchon ces derniers jours.
Quand il m’a caressé les cheveux. Quand il a déchiré seul le papier d’un de ses cadeaux de Noel après que je lui avais montré comment faire. Quand il m’a tirée par le cou pour que je vienne m’allonger près de lui dans son lit. Quand je l’ai trouvé assis à la table de la cuisine feuilletant un de ses petits livres, éclairé par le petit jour. Quand il a tiré plusieurs fois sa sœur par la manche (puis par les cheveux c’est vrai !!) pour qu’elle aille jouer avec lui. Quand il s’est mis à danser avec son frère en riant au beau milieu du salon. Quand il s’est retourné vers moi et m’a pris la main parce qu’il avait peur de monter dans un jeu. Quand il a avancé pour la première fois sur son trotteur. Quand il a placé une chaise sous le micro-ondes pour monter dessus et vérifier que c’était bien son lait qui chauffait. Quand il a commencé à se déshabiller seul.
Je voulais partager tout ça… Et puis il y a eu ce vendredi.
Ce vendredi a été nerveusement difficile et par conséquent éreintant. Ce vendredi a été le point culminant d’une situation qui s’était annoncée il y a déjà quelques jours. La digue s’est rompue mais elle avait déjà commencé à se fissurer et je l’avais vu venir.
Au bout de toutes ces petites victoires, mon autiste à moi que j’ai est monté crescendo dans l’excitation et l’énervement. Il a recommencé à me frapper. A me tirer les cheveux quand il ne voulait pas faire quelque chose. A me mordre quand je le mettais coucher. C’est arrivé peu à peu. Comme une vague lente. Et elle s’est écrasée sur ses soeur et frère et moi ce vendredi.
Toute la journée, il a crié. Des Hiiiii stridents à vous casser les oreilles. Toute la journée, il a fait tourner ce qui lui tombait sous la main. Toute la journée, il a sauté sur place.
J’ai bien tenté à plusieurs reprises de le faire sortir de cet état mais sans succès : il m’a jeté à la figure tous les jeux et activités de diversion que je lui proposait. A midi, il a balayé son assiette d’un revers de main si violent qu’il a basculé sur sa chaise. Je l’ai rattrapé de justesse. Et à chaque fois, il riait aux éclats de me voir me décomposer. Il a mordu sa sœur au sang alors qu’elle voulait jouer avec lui. Mais pas lui. Il a donné un coup de poing à son frère qui le mettait dehors de sa chambre que Bouchon avait ravagée en grande partie. Il a ouvert tous les tiroirs de la cuisine, les vidant consciencieusement.
Et il se balançait. Assis sur le sol, à appuyer sur tous ses jouets ce qui faisaient du bruit : « Vert veut dire vas-y. Orange veut dire ralentis », « bienvenue dans la jungle » et Un autre monde de Téléphone en version Easy listenning ont résonné toute la journée. J’avais beau lui parler, essayer de le prendre dans mes bras. Me dire qu’il s’ennuyait. Rien n’y faisait. Il était enfermé je ne sais où et je n’avais pas la clé. Je n’arrivais pas à le récupérer.
« Regarde moi » a été la phrase du jour.
Je lui ai couru après des dizaines de fois. L’empêcher de me donner des coups de pied dans le ventre quand je lui changeait ses couches a été un exploit. J’en ai quand même pris deux ou trois. C’est que je prends de l’âge, voyez-vous !!
L’habiller après le bain a été un combat physique avec lui pour éviter les gifles : quand il est terriblement énervé, il bat l’air des mains (on dit faire du flapping) et il a tendance à le faire sur ma tête !! Le repas du soir a été chaotique : il a hurlé à chaque cuillerée que je lui mettais dans la bouche. Sans raison apparente…
J’ai tenu le coup parce que j’ai pu m’extirper de tout ça le temps d’aller faire une course. Sinon j’aurais craqué.
Est venue l’heure du coucher. Bouchon m’a jeté un livre à la figure en riant au lieu de me tendre la main pour que je lui fasse un bisou. J’ai voulu lui caresser le visage pour le calmer et j’ai esquivé de justesse sa mâchoire qui s’est refermée dans le vide. Et vu le bruit qu’ont fait ses dents en claquant les unes contre les autres, j’ai eu du bol !!
Alors je lui pris dans mes bras, je me suis assise avec lui sur les genoux et j’ai chanté. J’ai chanté au moins une demi-heure. Toutes ses chansons préférées y sont passées…Même Encore un soir de Céline Dion (oui ben il a 4 ans !! Il aime bien Céline mais je veille à ce que ça lui passe !! Je l’oriente doucement mais sûrement vers Georges Michael !! ). J’ai chanté. Il balançait sa petite tête sur ma poitrine en suçant son pouce. Et pendant que je chantais, toutes les jolies surprises qu’il m’avait faites ces derniers jours sont remontées à la surface. Je n’ai plus pensé qu’à ça en lui caressant les cheveux. Ce vendredi était déjà loin.
Il était calme, contre moi, rassuré, apaisé… Comme si, enfin, il était revenu à moi. Je l’ai embrassé dans le cou et sur la main. Je l’ai allongé dans son lit. Il m’a laissé lui caresser la joue. Je sais très bien que des jours comme ce vendredi , il y en aura d’autres. Il y aura à chaque fois qu’il progressera. Il y en aura parce qu’il progressera. Mais si c’est le prix à payer pour toutes les jolies surprises que mon petit autiste est capable de faire, alors je paye tout de suite…
En fermant la porte de sa chambre, je l’ai entendu chantonner dans son lit. J’avais retrouvé mon fils. Et la force d’aller le chercher là où il ira encore se perdre la prochaine fois.

12 Déc

« Est-ce que tout ça est bien ? … »

Je n’ai fait que l’évoquer rapidement dans mon précédent billet : je suis moi-même atteinte de Troubles du Spectre Autistique. Diagnostiquée à 30 ans (33 pour être précise) à Très haut potentiel intellectuel et atteinte de TSA. Passé le choc de l’annonce, la chose a eu le mérite de me faire comprendre beaucoup de mon passé en temps qu’Etre Social. Ou plutôt davantage Etre non-Social. Pendant de nombreuses années, j’ai enfoui ces TSA en moi sans jamais en parler. Parce que, dans notre société, c’est toujours plus facile d’être une folle méchante qu’une autiste. J’ai instinctivement choisi d’être la première. Et croyez-moi, j’ai été exemplaire !! Une folle méchante magnifique !!
Longtemps, j’ai été cataloguée « pas aimable », pas empathique, intransigeante, obsessionnelle, sans limite. Chouette tableau non ??!
  
Ces étiquettes m’ont collé à la peau surtout dans ces environnements qui demandent à ce que nous soyons sociable : études, boulot, sport de compétition. Tous ces milieux dans lesquels on a des objectifs à atteindre.
Mes TSA les plus handicapants se situent essentiellement dans le décryptage du langage et de l’interaction sociale.
Je ne comprends pas naturellement les abstractions, les sous-entendus, les images, les « à demi mot », les phrases qu’il faut interpréter. C’est ce qui est le plus déstabilisant pour moi. Si à votre  rappel « la réunion c’est maintenant », votre interlocuteur vous répond « dans deux minutes » parce qu’il est au téléphone, vous allez instantanément comprendre le sous-entendu social selon lequel vous ne pouvez pas vous installer dans son bureau où a lieu la réunion puisqu’il est au téléphone. Pas moi : moi, je comprends juste « dans deux minutes ». Si mon interlocuteur a besoin d’être seul pour terminer son coup de fil, il faut qu’elle me l’énonce clairement. Déjà que le retard de deux minutes m’obsède et me déstabilise, alors s’il faut en plus que j’interprète ce que ça veut dire…
Quand quelqu’un me parle, je ne le regarde pas forcément dans les yeux : soit je continue mes affaires, soit mon regard va se fixer ou être attiré par autre chose. Parce que je ne comprends pas l’intérêt de la convention de regarder : ce qui est important, c’est ce qu’il dit et donc ce que je dois entendre. Voilà comment, pendant des années, on passe pour quelqu’un de sans gêne et sans éducation…
Si à la question « est-ce que je dois faire telle chose ? », on me répond « pas tout de suite », je bugge : je n’ai pas demandé quand ou pour quand je dois faire cette chose mais si je dois la faire. Le quand, c’est la question suivante. Et j’interroge à nouveau jusqu’à ce que la réponse corresponde à la forme grammaticale interrogative que j’ai employée. En l’occurrence oui ou non. Voilà comment, pendant des années, passer pour une obsessionnelle (ce que je suis par ailleurs !!) voire une idiote.

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Je n’ai souvent pas conscience que ce que je dis peut blesser les gens. Parce que pour moi, je ne fais qu’énoncer un fait. Voilà comment, pendant des années, passer pour quelqu’un d’insensible.
Longtemps, la petite voix de ma conscience m’a rappelé « n’oublie pas de dire bonjour et de sourire». Longtemps, cette même petite voix m’a dictée quel comportement social attendu je devais adopter en telle ou telle circonstance (Elle revient lorsque je suis au bord de l’épuisement.) Mais parfois, le costume que je sors du placard est un peu grand et j’en fais trop. Voilà comment, pendant des années, on passe pour quelqu’un de pas aimable et de bizarre dans ses réactions.
Je ne comprends pas non plus naturellement certaines expressions du visage ou inflexions de voix. Pour que j’en détecte le sens, il faut qu’elles soient exagérées.
Et la liste est encore longue de toutes ces petites choses qui, mises pour bout à bout, font ce que je suis.
Mais surtout, mes réactions émotionnelles ne sont pas de saison, comme aurait dit ma grand-mère. Elles sont démesurées. Et bien souvent inappropriées : je ne serai pas touchée par quelque chose qui anéantirait même Iron Man (c’est mon préféré dans les DC Comics!!) et je vais partir en vrille pour ce que d’aucun jugerait être une broutille. Une broutille qui sera pour moi d’une importance excessive parce que j’aurai focalisé obsessionnellement mon attention dessus. Voilà comment, pendant des années, passer pour quelqu’un d’hystérique et d’instable émotionnellement.
C’est surtout ce dernier point qui est le plus difficile à vivre. Pour moi. Mais aussi pour les autres. Il m’arrive parfois d’avoir l’impression d’être Hulk. Souvent je me transforme à cause d’un élément de langage que je n’ai pas compris, que j’ai trituré dans tous les sens pour essayer de le comprendre et dont j’ai fini par faire un magnifique tableau de Picasso dans sa période la plus déstructurée. Alors que les mots ont pour les autres la simplicité d’un dessin d’enfant. Ca me fait aussi quand un imprévu perturbe l’ordre que j’ai donné aux choses ou aux événements.
Je n’entre pas dans des colères noires. Elles ont souvent la froideur d’un bloc chirurgical.

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Être aux autres de manière typique n’a rien de naturel pour moi. J’ai fini par apprendre et par compenser pour contenir certaines de mes tendances. Et par faire passer mes troubles inaperçus.
J’ai aussi fini par comprendre qu’être un être sociable pouvait être agréable. Mais être socialement conforme me demande une énergie considérable. Et tous ceux qui me connaissent vous diront que je suis malgré tout encore bizarre !! Et quand je suis extrêmement fatiguée psychologiquement, il m’arrive parfois de glisser, Chef !!
J’ ai réussi à me débarrasser de certains des rituels que j’avais développés pour me rassurer, me protéger, me canaliser. Mais si vous m’observiez bien, vous en relèverez encore plusieurs. Comme autant de garde-fous.
Ce que m’a appris plus de 40 ans dans la peau de ce que je suis, c’est que ce sera toujours à moi à m’adapter au monde. Que jamais le monde ne s’adaptera, ne serait-ce qu’un peu, à moi. Que ce sera toujours à moi de m’excuser. J’ai aussi plus que de raison éprouvé la souffrance d’être différente : l’incompréhension des autres face à ce que je suis, face à mes réactions est douloureuse à encaisser. Tout comme la honte parfois, souvent, d’avoir laissé le naturel revenir au galop. Comme tout cela est dur.
Alors quand je regarde mon Bouchon me sourire, quand je lis dans ses jolis yeux bleu foncé son innocence, je me demande si tout ça est bien. Je me demande si tout ça est juste. Est-ce juste de le sortir de sa bulle pour l’exposer aux tourments que j’expérimente depuis si longtemps ?? Pour le faire entrer dans une case dont je sais très bien que les contours le blesseront ?
Chacun veut le meilleur pour ses enfants. Mais pour mon petit autiste à moi, le meilleur n’est-il pas qu’il reste dans son monde où rien ne peut l’atteindre ??
Parfois je me dis que tout ce qui est mis en place autour de lui, je le fais pour les autres pas pour lui. Parfois je me dis que je n’ai pas envie qu’il mette un pied dans ce monde plein d’épines. Parfois je me dis que je pervertis sa véritable nature. Souvent je me dis que je ne pourrai pas toujours le protéger.
Et puis je l’entends rire. De ce rire sonore et cristallin. Si pur et enfantin. De ce rire qui fait voler mes certitudes en éclat. Qui me montre à quel point je ne sais pas si je prends les bonnes décisions.
Alors je me dis qu’on verra ça plus tard. Que l’urgence pour moi, c’est de combler le vide énorme que j’éprouve au fond de moi à chaque fois que je réfléchis à tout ça. Que je réfléchis à moi. Et je me remplis du rire de mon Bouchon. Et de son regard si innocent. En évitant de penser que je suis peut-être en train de lui mentir, peut-être en train de le trahir.

25 Nov

« Bon courage Madame… »

Il y a quelque semaines, le gouvernement a annoncé son intention de faciliter le repérage précoce de l’autisme. Super. C’est bien. Si ça peut éviter à des familles de traverser ce que j’ai traversé pour faire évaluer Bouchon, alors tant mieux. Parce que, honnêtement, j’en ai bavé…

 

Instinctivement, j’ai toujours su qu’il y avait quelque chose d’atypique avec mon petit autiste. Alors qu’il était encore dans mon ventre, je le trouvais étrangement calme. Peut-être le fait d’avoir fait une fausse couche à presque 5 mois quelques temps plus tôt m’avait-il rendue trop attentive… je ne sais pas. Mais il était incroyablement calme.  « Ouais ! Top ! Chouette ! Enfin un !!! »

Quand il est né, cette sensation s’est accentuée. Alors qu’il était ventousé à mon sein (et il l’était tellement souvent que j’avais l’impression d’être une tétine géante !!), je voyais bien qu’il ne me regardait pas dans les yeux au moment de la tétée. Je voyais bien qu’il ne fermait pas sa petite main sur mon doigt comme tous les nouveaux-nés le font. Combien de fois ai-je pleuré en disant que mon fils ne m’aimait pas. Qu’il ne me voyait pas. Que je n’existais pas pour lui. « Tu es fatiguée », me répondait-on. 

J’y ai cru. Jusqu’à ce qu’au détour d’un séjour aux sports d’hiver, je l’ai vu avoir une réaction démesurée alors que j’ai allumé le plafonnier : il s’est mis à rire et à battre des mains comme je ne l’avais jamais vu faire. Il était frénétique !!! Ma mère m’a regardée. J’ai su ce qu’elle pensait : il y avait un truc et Bouchon n’avait pas un an. 

Dans les minutes qui ont suivi, j’ai appelé le Centre ressources autisme (CRA) de ma région. « Il est encore petit. Peut-être vous alarmez-vous pour rien. Le mieux est de prendre rendez-vous avec le Centre médico-psychologique (CMP) de votre secteur. » 

Ce que j’ai fait dans la foulée. Nous devions nous y rendre 15 jours après notre retour. Entre temps, Bouchon s’est retrouvé hospitalisé 10 jours avec nombres d’examens pour finir par découvrir qu’il est hautement allergique à un antibiotique. Antibiotique qu’on lui perfusait depuis son arrivée à l’hôpital !! C’est là qu’une neuro-pédiatre a émis l’hypothèse d’un AVC à la naissance avec comme conséquence une hémi-parésie du côté droit. Bouchon n’avait toujours pas un an. Ce n’était pas facile pour lui mais il a été incroyable, souriant, riant à la moindre occasion. Et j’admirais ce petit bout d’homme, vêtu de son seul body vert et enfermé dans un lit à barreau, qui serrait son Mochat (son doudou le chat moche) contre lui, le pouce dans la bouche, le sourire aux coins des lèvres. Alors même qu’on lui perfusait l’antibiotique qu’il ne supportait pas !! … Il était gonflé comme un ballon de baudruche à cause de la réaction allergique !! Et il souriait sans broncher… Un warrior, digne fils de sa mère !! 😉

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De retour à la maison, direction le CMP… Bouchon y a fêté son premier anniversaire. La pédopsychiatre et la psychométricienne du service étaient d’accord avec moi : il était atypique. Elles envisageaient un trouble du développement ou du comportement. Mais c’était sans compter la pédiatre de mon fils. Il ne répond pas à son prénom ? « Il a fait beaucoup d’otites. Il a peut-être des problèmes d’audition…il faut vérifier » Ok… Après le premier audiogramme, on m’annonce que Bouchon est en fait sourd à 60%. Une surdité fonctionnelle qui ne pourra être corrigée que par un appareillage…Mais « revenez dans un mois pour être bien sûrs »...Un mois plus tard : « ben en fait, cet enfant entend très bien… Ça doit être autre chose… » La vue peut-être… Oh ben oui tiens ! Vérifions ça aussi !! « Astigmate..Mais revenez dans un mois pour être bien sûrs »… « Non mais en fait, tout va bien…il voit parfaitement »….

On a tout vérifié. Il ne restait plus que des troubles du développement et du comportement à envisager sérieusement. Mais la pédiatre ne voulait pas en démordre : mes aînés étant à Très Haut potentiel intellectuel et ayant tout fait largement en avance, je n’avais pas les bons repères. J’étais trop pressée et trop exigeante. « Laissez le grandir à son rythme. Et puis, vous savez, c’est le petit dernier : c’est fréquent qu’ils se laissent un peu plus vivre que les plus grands » Un discours tenu également par une partie de mon entourage. Pour beaucoup, j’étais obsédée par l’idée que mon fils soit autiste. Une obsession souvent qualifiée de malsaine : je projetais sur mon enfant mes propres Troubles du Spectre Autistique. « Il n’est pas forcément comme vous… » J’avais le sentiment d’être une mère abusive. Et j’ai douté. Pendant plusieurs mois, j’ai douté de ce que me disait mon instinct. J’en suis même arrivée à ne pas le croire.

Et puis, j’en ai eu marre de me conformer aux avis extérieurs. Jamais dans ma vie je ne m’étais autant soumise au jugement des autres. Et là, il s’agissait de mon fils. Alors un jour, ma mère – c’est la seule à avoir toujours cru en la véracité de mon intuition – m’a secouée les puces… Et quand ma mère vous secoue les puces, croyez-moi, vous sortez instantanément de votre léthargie !! Moi, mon instinct de survie s’est réveillé et je suis entrée en résistance. Parce qu’au fond de moi, je savais. J’ai demandé conseil aux praticiens du CMP : « Prenez rendez-vous au CRA et demandez une évaluation ». Bouchon allait sur ses 18 mois.

J’ai rappelé le CRA. Et nouvelle déconvenue : « il est trop petit. Nous n’évaluons les enfants qu’à partir de 5 ans »…

« M’en fous », me suis-je dit en raccrochant. Le lendemain, je me suis garée à l’arrache devant le CRA. J’ai sonné, je me suis présentée et j’ai collé mon Bouchon dans les bras de la secrétaire : «je reviens dans deux heures. Débrouillez-vous mais je veux que mon fils soit évalué »

Deux heures plus tard et des dizaines de cigarettes fumées assise sur le capot de ma voiture, Bouchon allait être évalué : « nous allons adapter nos grilles de lecture »… Nous étions en janvier 2017.

Août 2017, le jour de la restitution des évaluations. Je me souviendrais toute ma vie de cette journée. Il faisait chaud (ça arrive parfois en Picardie!!). Je portais une jolie robe blanche à fleur avec des sandales orange à talons. J’étais de prépa JT et j’avais rendez-vous à 15h au CRA. Après 1h30 à écouter les conclusions des différents examens, on me dit enfin ce que je sais depuis si longtemps : mon Bouchon, mon fils est autiste. Les choses sont clairement énoncées et posées. Celui qui est désormais mon petit autiste à moi que j’ai a deux ans et demi. Il se sera passé plus de 18 mois depuis mon premier appel au CRA. 18 mois pour en arriver là. 18 mois et une détermination qui me faisait passer pour une folle…

Et maintenant ? Le patron du CRA m’a regardée derrière ses fines lunettes cerclées : « c’est vous qui décidez de la prise en charge » Mais je n’y connais rien !! « On a des livres… »…

Je me suis levée et j’ai dit au revoir à tout le monde. « Bon courage, madame… »

Je suis sortie de cette grande maison de maître réhabilitée. J’ai regardé le ciel bleu (je maintiens que c’est parfois le cas en Picardie!!) et j’ai entendu ce « bon courage, madame » résonné en écho dans mes oreilles. J’ai enlevé mes sandales, j’ai allumé une cigarette et pieds nus, j’ai marché jusqu’à ma voiture. Le macadam était brûlant. Et mon instinct, à nouveau en pleine possession de lui-même, m’a alors dit que la traversée du désert ne faisait que commencer…