25 Mar

« Tu n’as pas dit s’il te plaît… »

 

Bouchon est arrivé vers moi avec une bouteille d’eau un peu trop lourde dans les mains. Il l’a collée dans les miennes : « à boi… ». 

Je n’étais pas très sûre d’avoir bien entendu : « qu’estce que tu veux ? ». Il a répété « à boi » en tapant sur la bouteille d’eau.

Le RE manquait mais n’importe qui aurait bien compris ce qu’il voulait. Et honnêtement, depuis le temps que j’attends ça, je n’allais pas faire la difficile : mon autiste à moi parle enfin. Je l’ai félicité et j’ai versé un fond d’eau dans un verre. Il avait un large sourire sur son visage, heureux de constater qu’il avait obtenu ce qu’il avait exprimé. 

J’ai appelé ses frères et sœur. Ils ont débarqué tous les trois dans la cuisine à grand renfort de « que se passet-il ? » et de « qu’y a-til ? » ( ils aiment les tournures de phrases à l’ancienne !!) J’ai repris son verre à Bouchon et j’ai demandé : « qu’estce que tu veux ? » « à boi »… Applaudissements et cris de l’assemblée. Ma fille a sorti une langue de belle-mère. Son frère cherchait les canons à confettis de son anniversaire !! Liesse générale dans la maison !! On a frôlé la hola !! Bouchon a regardé tout le monde avec un immense sourire. Comme il avait l’air fier de lui. Et heureux de la réaction qu’il avait provoquée. Numéro 1 lui a caressé les cheveux en le félicitant. Numéro 2 l’a soulevé dans ses bras en l’embrassant et numéro 3 a dit « c’est bien Bouchon !!! Bravo !! ». Puis il a ajouté avec malice « mais tu n’as pas dit s’il te plaît !! ». Il a observé ma réaction du coin de l’œil mais je n’ai rien dit. Mon regard s’est posé un quart de seconde sur la marque de dents qu’il avait encore sur la joue et je ne l’ai pas réprimandé : vu tout ce que son petit autiste de frère lui avait mis ces derniers jours, c’était de bonne guerre !!!

On a tous ri de cette plaisanterie et Bouchon s’est mis à sauter sur place en battant des mains de contentement… Et pour ceux qui se posent la question  : non, je n’ai pas oublié de lui redonner de l’eau !! 

N’allez pas croire qu’après, les choses sont allées d’elles-mêmes. Genre : le robinet est ouvert, les paroles coulent à flot. Ce serait si simple. La suite n’a pas été évidente : il a fallu pousser Bouchon dans ses retranchements pour qu’il utilise ce mot à chaque fois qu’il voulait boire. Il a fallu insister, tenir bon même s’il se faisait comprendre autrement. Ça m’a valu des crises, des cris, des claques, des morsures. Parfois, je restais cinq bonnes minutes avec la bouteille dans les mains en répétant « qu’est-ce que tu veux ? ». Et lui, de frustration, criait, claquait une porte, me frappait, mordait le chien s’il avait le malheur d’être dans les parages. Désolée mon Bouchon : tu l’as dit une fois. Et j’ai juré mes Grands Dieux que tu le redirais. Et je suis têtue depuis plus longtemps que toi…

 

 

Et voilà… Mon Bouchon parle. Bon ok… Il dit juste un mot mais, à force d’insister, il l’a redit et à chaque fois à bon escient. Il a compris à quoi sert le langage. Il l’a redit avec Nounou. Avec chacun de ses frères et sœur. Avec ma mère. Son père. Et même à l’école. Il a compris que le langage ne sert pas qu’à la maison et qu’avec moi. Depuis, Bouchon boit… beaucoup !! Je ne l’ai jamais vu autant boire !!

Ça, c’était il y a une petite dizaine de jours. Son vocabulaire s’est étoffé depuis : on a eu droit à « bain », puis à « bonbon » (je tiens ici à remercier publiquement ma mère pour cet apprentissage qui, à mon sens, n’était pas prioritaire !!!). Que des mots en B. J’en ai fait la remarque à la pédopsy du CMP où Bouchon est suivi : « ça arrive : certains autistes apprennent à parler par lettre ». Numéro 3 a alors prévenu son petit frère : « ok ! On passera à la lettre suivante quand tu sauras dire bibliothécaire !! Même moi, j’arrive pas à le dire correctement !! ». On a ri. Encore… 

 

La tension des dernières semaines retombait. J’ai expliqué à la fratrie que les moment plus que difficiles que nous avions traversés n’étaient que l’annonce de cette belle surprise. « On a bien compris, Maman. Même si c’est dur parfois, on sait qu’on doit tenir bon », m’a rassurée ma fille. « On le saura pour la prochaine fois, a dit mon petit blond. Mais la prochaine fois, y a intérêt à ce que ce soit pour nous montrer qu’il sait lire !! »… Je ne suis pas dupe : numéro 3 ressent un peu de rancoeur. Et vu ce que son frère lui fait subir, c’est normal.

Il continue à s’exprimer en majorité avec des petits cris, mais d’autres syllabes affleurent. Et d’autres mots aussi : des « viens », « veux », « allez », « oui », « pote » pour compote. On joue sur sa frustration pour le pousser à bout. C’est en général dans ces moments là que les mots sortent. 

Bouchon a 4 ans… et parle enfin… jamais je n’aurais cru qu’il y parviendrait. J’avoue. Mais il l’a fait. Et ce petit bout d’homme a l’incroyable capacité de me surprendre tout le temps. J’attends avec impatience ce moment fatidique où j’aurai envie de lui dire, comme pour les 3 autres avant lui : « et si on jouait au Roi du silence ?? » !!! Et je jure encore une fois mes Grands Dieux qu’un jour, je lui dirai. Parce qu’il m’aura saoulée de paroles. Et quand je serai sur le point de prononcer cette phrase, je ne pourrai pas m’empêcher d’en éprouver une joie intense. 

 

Parce que mon petit autiste à moi pourra enfin me dire toutes ces choses qu’il a me dire. Et que moi, j’aurai enfin tant de choses de lui à écouter.