Lundi, c’est la rentrée. Un grand moment pour beaucoup d’enfants dont les miens… Les nouveaux cartables, les nouvelles chaussures, les nouvelles tenues… Retrouver les copains et les copines… Chaque année, à la maison, on fait une photo juste avant de partir à l’école…
Jusqu’à ce vendredi 16h, je n’étais pas sûre d’avoir la force de céder à ce rituel lundi matin : jusqu’à ce vendredi 16h, à 2 jours de la reprise, Bouchon ne devait pas faire sa rentrée… Jusqu’à ce vendredi 16h, le Rectorat ne lui avait pas trouvé d’Assistant(e) de Vie Scolaire.
12 heures par semaine, soit 4 matinées hebdomadaires de 3 heures jusqu’en 2021 (le reste de la journée, Bouchon sera à la maison avec son assistante familiale spécialisée dans la prise en charge des enfants autistes). Mais jusqu’à ce vendredi 16h, l’Education nationale n’était pas capable de respecter le droit de mon fils à être scolarisé.
On sait depuis mi-juin qu’une AVS a été accordée à Bouchon. C’est la Maison départementale des personnes handicapées, qui dépend donc du Conseil départemental, qui a décidé. Mais c’est le Rectorat qui « distribue » les auxiliaires de vie scolaire. Et pour cette rentrée, il n’y en avait pas assez. Il fallait recruter… Un recrutement qui a commencé fin août, à quelques jours de la rentrée.
Ce n’est pas faute d’avoir insisté (et je peux être terriblement insistante quand il le faut, même quand il ne le faut pas !!) « C’est en attente, Madame… » Jusqu’à quand ? « Je ne peux pas vous le dire… » Il aura quelqu’un le 3 septembre? « Je ne sais pas… » Alors quand après la rentrée ? « Ca peut se débloquer quelques semaines après… » Jusqu’à ce vendredi 16h… « On a trouvé quelqu’un pour votre fils… Il pourra aller à l’école lundi matin »
Jusqu’à ce vendredi 16h, je ne savais pas quoi faire le jour de la rentrée avec mon petit autiste… Personne ne pouvait me le dire… Et c’est assez inhumain : des semaines dans le doute, l’attente : l’emmener à l’école et repartir avec lui sous le bras, faute d’AVS ou le laisser regarder partir ses frères et sa sœur, cartable sur le dos, sourire aux lèvres et joie intense dans l’œil ? Et j’ai été déçue… Et triste… Pas pour moi…. Pour lui…. Pour ce petit bonhomme de 3 ans et demi à qui j’expliquais depuis plusieurs semaines qu’il allait aller à l’école, que ça allait être chouette, qu’il allait apprendre plein de choses, que peut-être il allait se faire des copains et que quelqu’un allait être là spécialement pour lui quand il aurait besoin, peur ou une bouffée d’angoisse… Et j’étais triste de lui cacher que je n’étais pas sûre de lui offrir la chance de pouvoir progresser encore plus… Du moins pas tout de suite… Et que je ne savais pas quand j’en serais capable… J’étais triste de lui mentir en souriant…
Tout ça jusqu’à ce vendredi 16h… À la personne au bout du fil, je n’ai su lui murmurer qu’un « merci« … Et l’angoisse et le stress se sont mis à couler sur mes joues… Ça et le sentiment d’injustice pour tous les autres parents qui sont dans la même situation que celle dans laquelle j’étais jusqu’à ce vendredi 16h….
J’ose croire que Bouchon ne comprend pas les enjeux des défaillances du système… Et que j’ai le droit d’être égoïstement heureuse de cette merveilleuse nouvelle… Que j’ai le droit d’être égoïstement fière d’avoir gagné cette bataille.
Alors lundi matin, Bouchon mettra un joli pantalon neuf, ses toutes aussi jolies chaussures neuves bleu et orange et le petit sac à dos que sa marraine lui a offert en prévision de ce moment… On mettra Mochat dedans, en prenant bien soin que sa tête dépasse pour qu’il puisse respirer… On mettra aussi une compote et un gâteau… Sans oublier son classeur de pictogrammes pour qu’il puisse exprimer ce qu’il veut… Et son renforçateur, un tube pour faire des bulles parce quand il a bien l’exercice demandé, il a le droit à des bulles… Et je vais lui coiffer ses jolies boucles brunes, à mon Bouchon… Et on fera cette sacro-sainte photo de la rentrée…
On va aller fièrement tous ensemble à l’école, lui, n°2, n°3 et moi… Parce que c’est un jour important… Parce que je veux que tous les parents qui seront là pour accompagner leurs enfants, que tous les instituteurs sachent que si nous, on a pu faire notre rentrée, ce n’est pas le cas de centaines d’enfants handicapés en France.
Et ce n’est pas parce que mon Bouchon a enfin une AVS que je ne vais pas rencontrer le Directeur académique des services de l’Éducation nationale la semaine prochaine pour mon article sur le sujet. Je vais l’écrire, ce papier sur l’attribution des Assistants de vie scolaire… Justement parce que nous, on en a une d’AVS et d’autres, tant d’autres, non.
Lundi matin, sur le chemin du retour, dans le rétroviseur, je vais me remplir du sourire de mon Bouchon et de sa joie de vivre pour oublier quelques instants que ce n’est pas juste qu’il faille toujours se battre… Et je vais l’écouter rire encore et encore…
Je vais l’écouter rire pour me dire que, oui, c’est fatiguant de prendre constamment les armes. Mais que, « bord d’aile de merle », je suis la plus chanceuse des Amazones…