04 Mai

« Je ne suis pas sûr que ça suffise… »

Ca fait des semaines que je prépare le dossier de Bouchon pour la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Et ça fait des semaines que j’ai de la peine.

Ce dossier va conditionner la prise en charge à venir de mon petit autiste. Il a 4 ans, va à l’école tous les matins avec Morgane, son assistante de vie scolaire. Mais il faut que d’autres spécialistes s’occupent de lui pour le faire progresser. Et il faut demander leur intervention à la MDPH. Ce sont ses agents qui vont décider, sur la foi des comptes-rendus des praticiens que voient mon Bouchon chaque semaine, si oui ou non mes demandes sont justifiées. Ce sont eux qui vont décider de l’avenir quasi immédiat de mon fils. Je dois monter un projet pour qu’il ait accès à de nouvelles prises en charge. Remplir des dizaines de feuillets. Expliquer ce que je veux pour lui. Justifier. Sur celui intitulé « projet de vie », j’ai failli juste écrire « être heureux ». Quand j’ai dit ça en souriant à Mr, il m’a répondu sans vraiment sourire « je ne suis pas sûr que ça suffise… ». J’avais bien compris. Mais je m’étais dit que je pouvais quand même essayer…

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Alors j’ai rempli toutes leurs satanées feuilles. En détaillant tout ce dont mon Bouchon a besoin pour aller de l’avant. Et chacun des praticiens qui s’occupent de lui m’a donné ses conclusions sur mon petit autiste. A chaque fois, il a fallu en discuter avec eux. Et tout ça, ça m’a plombée.

Ca a commencé avec l’école. On en a fait ce qu’on appelle une « Equipe éducative ». Autour de la table, l’institutrice de mon Bouchon, la directrice de l’école, l’enseignant référent pour les enfants handicapés du Diocèse (puisqu’il va dans le privé), l’AVS, l’assistante sociale du Centre médico-psychologique qui le suit depuis 3 ans et moi. On a mis dans des cases les progrès de mon petit autiste mais surtout ses retards. Ca a duré une heure et demie. Et j’ai fini ratatinée sur ma chaise : j’avais l’impression qu’on avait gratté une plaie sans discontinuer. Une plaie qui commençait à être à vif. J’ai pris en pleine figure tous les points négatifs que ces professionnels de l’éducation avaient pointés. Un par un. Au final, on a décidé de faire une demande pour augmenter le temps de présence de Bouchon à l’école mais avec son AVS. En partant, la maîtresse a cru bon de me préciser « vous comprenez ? Il est capable d’être scolarisé mais pas sans un adulte à ses côtés ». Oui oui. J’avais bien compris.

Après, il a fallu courir après les certificats de son orthophoniste, de son psychologue comportementaliste, de sa pédo-psy et de sa psychomotricienne. Deux mois plus tard, le dossier est complet. Et moi, je suis à genou, une immense plaie saignante au cœur. C’est que voyez-vous, j’ai fait la bêtise de lire tous les comptes-rendus. Et en fait, je n’aurais pas dû. Chacun mettait en avant ce que Bouchon n’a pas encore acquis et qui devrait pourtant l’être à son âge. Quand moi, je le regarde avec fierté en énumérant tous les progrès qu’il a déjà fait. Je sais bien que c’est comme ça je dois regarder la situation. Mais quand je pense à l’avenir, je n’y arrive pas toujours. Je mesure la longueur du chemin qu’il nous reste à parcourir. Ses écueils. Ses ornières. Et j’ai l’impression de ne pas en voir le bout.

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Je ne sais même pas s’il y a une lumière à la fin de ce tunnel. Parfois, j’ai la sensation de faire du sur place, dans le noir. Mon seul réconfort est de sentir la main de mon Bouchon dans la mienne. Et d’entendre son rire. Ce rire d’une pureté si profonde qu’il me fait sortir la tête hors de l’eau. Alors je fais ce que jamais de ma vie je ne fais. Je regarde en arrière. Et je mesure ce que nous avons déjà parcouru. Et je liste chacune de ses avancées. Toutes ces petites choses, je les enfile une à une comme des perles et je m’en fais un collier imaginaire. Quand j’ai un coup de mou, je les égraine comme un rosaire.

Bouchon dit Au revoir de la main en regardant son interlocuteur droit dans les yeux avec un sourire. Il ne mord quasiment plus (si !! Le chien !! Mais vu son tour de taille, je ne suis pas sûre qu’il sente quoique ce soit). Il ne se sauve plus du rang à l’école. Il a intégré les consignes de la classe. Il enlève son manteau seul et de sa propre initiative lorsque nous arrivons quelque part. Il colle son front contre le mien en gémissant quand il voit qu’il m’a fait mal. Il me caresse les cheveux, prend son frère par le cou pour lui faire un câlin et pose sa bouche sur la joue de sa soeur pour faire un baiser. Il ne se balance plus. Ne fait presque plus tourner les objets. Il a encore un petit faible pour les portes (chacun le sien. Moi, c’est les chaussures) mais frappe moins. Et ce regard bleu foncé qu’il plante désormais avec assurance (et un peu trop avec effronterie à mon goût) dans le vôtre. Parfois, c’est dur pour lui. Il craque. Mais j’arrive de mieux en mieux à le calmer. Et pour moi, la plus grosse, énorme victoire de ces dernières semaines, c’est qu’enfin, mon autiste à moi accepte que je le touche quand je suis avec lui dans son lit quand il est trop énervé pour s’endormir sereinement. Il se blottit même sur ma poitrine pendant de longues minutes et me laisse lui caresser les cheveux.

Tous les comptes-rendus du monde pourront toujours me plomber le moral. Le chemin qui reste à parcourir pourra toujours être aussi long qu’un jour sans pain. Je sais désormais où je peux trouver le repos de la guerrière : dans un petit lit, sous une couette bleue marine flanquée d’un petit garçon déguisé en super-héros, la tête posée sur un ours en peluche XXL, une cascade de boucles châtain sur le sein, bercée par un petit autiste de 4 ans qui annone un chant, probablement La Follia de Vivaldi qu’il aime tant.