12 Mar

 » Pour lui, vous êtes associée à une douleur… »

Ces dernières semaines ont été compliquées avec Bouchon. S’il ne s’en prend plus aussi souvent à ses sœur et frères, il s’est reporté sur moi. J’expérimente physiquement l’effet des vases communiquants !!
Chaque déshabillage d’avant bain et chaque pyjamage (je sais ça n’existe pas mais j’aime bien inventer des mots et surtout des mots en  » age  » !!) d’après bain est (re)devenus un combat physique avec mon autiste : au moindre geste de ma part, à la moindre demande, j’avais droit à une claque, un tirage de cheveux, des pincements à pleine main, des morsures… Bref toute la panoplie du parfait Bouchon énervé.
Avec, la nouveauté du menu, des griffures. Je n’ai qu’à lui couper les ongles, me direz-vous !! Eh ben oui mais non !!! Couper les ongles de mon petit autiste, ce n’est déjà pas la chose la plus simple à faire (la pire, c’est de lui nettoyer les oreilles : nous ne sommes parfois pas trop de deux. ). Alors quand il est perturbé, c’est mission impossible. Après le coup de boule qui m’a valu un coquard sous l’oeil pendant 10 jours, j’ai eu droit aux marques de griffes sur le nez et la joue. J’ai beau le réprimander, rien n’y fait : il me rit au nez en n’omettant pas de m’en coller une autre parce qu’il a parfaitement compris le rapport de cause à effet. Et l’effet final, à savoir mon haussement de voix, c’est super drôle.

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Le moment du bain est devenu une angoisse et un calvaire pour moi, un nouveau divertissement pour lui jusqu’à contaminer les repas. Je n’ai même plus la force de lui demander d’arrêter. J’encaisse sans rien dire. Je me suis même surprise à rentrer la tête dans les épaules en voyant sa petite main se lever vers mon visage. Et je n’ai pas de solution pour endiguer ce sentiment m’envahissant un peu plus chaque jour : mon fils ne n’aime pas.
Je finis par avoir l’occasion d’en parler à Monsieur (le psychologue comportementaliste qui vient chaque semaine travailler avec Bouchon). Assis à la table de la cuisine buvant son café.
« Les ongles, les oreilles, le coiffage, c’est toujours au moment du bain ? Et c’est toujours vous qui vous en occupez ? Et c’est compliqué ?
– Oui
– Pour qu’il se déshabille, vous lui donnez verbalement des consignes ? Vous lui demandez de faire des choses ?
– Oui
– Alors c’est ça. Ne cherchez pas. Il n’est pas sympa avec vous parce qu’il estime que vous ne l’êtes pas avec lui. Avec tous ces gestes de soins, dans son esprit, vous êtes associée à des contraintes et à des douleurs. »
Il a dit ça comme une évidence. Avec sa voix douce comme elle l’est toujours. Et un grand sourire sur les lèvres parce qu’il avait trouvé le pourquoi du comment. Dans ses yeux, ça a l’air simple. Moi, ça m’a anéantie. Une nausée m’est montée et les larmes qui vont avec… Pour mon fils, je suis celle qui blesse, qui meurtrit… Pour mon fils, je suis méchante… Je suis une mauvaise mère…
Je ne me souviens plus de ce que Monsieur a dit après ni si je lui ai dit au revoir, à la semaine prochaine. Focalisée sur cette révélation et ce qu’elle signifie.
J’ouvre la baie vitrée au chien qui veut sortir dans le jardin et je m’assois dans l’herbe mouillée de pluie. Dans l’esprit de mon autiste de 4 ans, je suis associée à des choses désagréables et qui font mal. Se peut-il qu’il vienne à en penser que je ne l’aime pas ? Et que de fait, il ne m’aime pas ? Ou qu’il n’ait tout bonnement aucun sentiment pour moi ? Que je lui sois émotionnellement indifférente ? Est-ce que je ne suis pour lui qu’un référent ? Je n’ai tellement que peu de preuves de son attachement et je ne sais pas lire en lui.

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J’ai fumé deux ou trois cigarettes et fini mon café. Et puis, j’ai entendu quelqu’un frapper à la vitre. Bouchon… et son immense sourire qui, à cet instant précis, fait pire que mieux. Je suis rentrée et je l’ai pris dans mes bras. Je l’ai serré fort, très fort. Il a gémi d’un air triste et a posé ses deux petites mains sur mes joues. Il m’a caressé les cheveux et a passé ses bras autour de mon cou pour, chose rarissime, me serrer contre lui. Il a collé sa langue sur ma joue. J’ai pris ça pour un bisou. J’avais un genou à terre à cause de mon Bouchon et il venait de me redonner la force de me battre contre lui.
Parce que, voyez-vous, ce petit autiste de 4 ans au visage d’angelot, aux cheveux bouclés et à la main leste est le défi de ma vie. Je ne suis pas de celle qui lâche l’affaire facilement et je suis plutôt douée pour contourner les obstacles. Cette fois, j’en ai un de taille devant moi. Et j’en suis venue à bout…
J’arrête de donner verbalement des consignes à mon autiste pour qu’il se déshabille. Quand il faut qu’il enlève ses chaussettes, je commence et il finit. Quand son attention est captée par autre chose, je le recentre vers ce qui nous occupe par un simple geste. Je ne lui demande plus rien. Je parle de tout et de rien. Je guide simplement ses gestes. Pour les autres soins, j’ai délégué à Nounou !! Il n’y a pas de raison que je sois la seule à passer pour une marâtre !!
Petit a petit, il a arrêté de me frapper ou d’essayer de me mordre. Il continue, bien entendu, à râler à grand renfort de cris. Mais moins. Aujourd’hui, ça fait 4 jours que je n’ai pas pris une gifle. Mon record !! Ça s’arrose !!!

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Ce passage à vide entre lui et moi a eu le mérite de m’assurer d’une chose : cet enfant sait que je l’aime. Et je crois qu’il m’aime aussi. Quand il me regarde en souriant, quand il glisse sa main dans la mienne, quand il me tend sa joue, je ne peux que me rendre à l’évidence : tout autiste qu’il est à ne pas comprendre les émotions et les sentiments des autres, ce petit garçon sait que moi, qui lui tire inévitablement les cheveux en le coiffant, qui le contraint pour lui couper les ongles ou pour lui nettoyer les oreilles, qui l’enquiquine en lui demandant d’enlever son pantalon ou son pull; moi qui me recroqueville dans son petit lit quand il a une angoisse avant de dormir mais qu’il ne veut pas que je le touche; moi qui chante pendant des heures pour aller le chercher là où il s’est perdu; moi qui lui caresse la joue pour l’aider à se calmer, je l’aime.
Et si pour le moment, il ne le sait pas, il le saura un jour. Et un jour, j’aurai la preuve irréfutable que mon fils m’aime aussi. Parce que sa différence fait que, même si je suis sa mère, je dois me battre pour avoir une place dans son monde. Et que perdre n’est en aucun cas une option.