Ca fait deux semaines que Bouchon va à l’école. Deux semaines qu’il est content quand il voit la grille d’entrée rouge. Deux semaines qu’il s’est bien adapté selon son institutrice. Deux semaines qu’il « observe beaucoup les autres enfants » et qu’il n’a aucun problème de comportement. Bref, deux semaines que tout va bien côté scolarisation.
A la maison, ça fait deux semaines que je trouve mon petit autiste plus présent. Que j’arrive à accrocher son regard plus longtemps et que j’ai même droit à un sourire quand je prononce son prénom. Deux semaines qu’il ne saute plus sur place quand il est submergé par la joie, qu’iI ne fait plus tourner les objets qui lui tombent sous la main et qu’il ne se balance plus pour se rassurer dans une situation angoissante. Bref, deux semaines que j’ai l’impression que mon Bouchon change
Et ce samedi matin, Monsieur est venu. Monsieur, c’est le psychologue qui vient une heure chaque semaine pour travailler avec Bouchon. Ils ne s’étaient pas vus depuis 15 jours. Quand il est arrivé, mon fils l’a regardé bien droit dans les yeux avec un beau sourire et quelques petits cris pour exprimer sa joie de le revoir.
Ils sont partis main dans la main pour aller mettre des cubes dans d’autres cubes et pour poser des ronds rouges sur des formes rondes et rouges.
Au bout de 30 minutes, j’ai vu débouler Bouchon dans le salon en courant et en criant, les larmes au bord des yeux : une demi-heure de stimulation sensorielle et cognitive intensive l’avait épuisé.
Alors on a fait le point, le psy et moi. Un petit bilan des progrès que j’ai observés chez mon extraterrestre.
Et là, je me suis lâchée !! J’ai énuméré la liste longue comme le bras de tout ce qui a bougé chez Bouchon depuis qu’il va à l’école. Monsieur écrivait sur son cahier 21X29,7 à grands carreaux. Et moi, fière de tout ce que je racontais, je bombais le torse parce que « franchement depuis qu’il va à l’école, un tas de choses s’ouvre. Il est resté assis sur sa chaise 20 bonnes minutes au cours d’éveil musical !! L’autre jour, il m’a même sollicitée pour que je lui essuie son nez qui coulait !!! ».
Et je me suis tu, un immense sourire de (auto)satisfaction sur les lèvres. Je contemplais l’évolution de mon fils avec une assurance presqu’arrogante.
Monsieur a terminé sa phrase de notes, en a tapé le point final avec son stylo noir. « Bien… ». Il a levé son visage encore juvénile vers moi et avec sa voix douce, il a dit « Tout ça, c’est super mais maintenant… »
Woh woh woh !!! Comment ça « mais maintenant » ? Quoi « mais maintenant » ? Non non non, on va rester deux minutes sur « Tout ça, c’est super » parce qu’effectivement, tout ça, c’est super… « mais maintenant, on va travailler la propreté, les séquentiels d’une journée type et surtout, avant tout chose, on va endiguer la violence avec laquelle il commence à exprimer son mécontentement et son désaccord. Il faudra aussi penser à faire une demande auprès de la MDPH pour une prise en charge en Cessad parce que la liste d’attente est longue »…
Tout ce qu’il a dit m’est arrivé aux oreilles de manière floue et cotonneuse. C’est la main que Bouchon a posée sur ma cuisse qui m’a ramenée à la réalité. Une réalité que je venais de prendre en pleine figure et qui avait fait exploser mes illusions : non, tout n’ira pas mieux simplement parce que Bouchon est scolarisé. Non, l’école seule ne suffira pas à aider ce petit bonhomme à être aux autres. Non, le chemin n’est pas fini.
Faire une pause alors ? Une toute petite ? Quelques semaines ? Pour voir si les choses n’évoluent pas davantage ? Non plus : « les choses prennent vite sur lui. L’école a ouvert des brèches. Il faut en profiter. On avance sur tout ça sérieusement samedi prochain. »
Quand Monsieur est parti, j’ai demandé à n°2 de jouer avec son « petit petit frère ».
Je me suis allongée dans mon jardin, à même l’herbe. J’ai allumé une cigarette. J’aurais bien pris une bière mais il n’était pas encore 11 heures…et j’ai fustigé ma naïveté et mon manque de lucidité : comment avais-je pu croire – ou plutôt me faire croire parce qu’au fond de moi, je connaissais la vérité – comment avais-je pu croire que le simple fait de mettre mon petit autiste à l’école allait tout régler ? Que le bout du tunnel était proche ? Comment avais-je pu succomber à cette facilité ?
L’école n’est en fait que le point de départ. On va entrer dans le dur. Passer à l’étape et à la vitesse supérieures. Fixer de nouveaux objectifs beaucoup plus élevés. Et tout ça sans que je n’aie eu le temps de reprendre mon souffle.
Après avoir bataillé pour une AVS, je vais devoir y retourner. Mais cette fois-ci, il va falloir que je me batte contre mon propre fils pour l’ouvrir au monde. Il va falloir que je me batte contre son penchant naturel à refuser toute contrainte.
Et il va falloir que je me batte contre moi. Contre ce penchant tout aussi naturel qui me pousse parfois à vouloir prendre mon fils dans mes bras pour le soustraire à ce que j’assimile à une forme de violence. A vouloir hurler à tous de le laisser tranquille. Que moi, je l’aime comme il est. Autiste ou pas ou moins.
Quand j’ai eu fini ma cigarette, je suis allée voir mes deux numéros que j’entendais rire aux éclats. Bouchon m’a souri et sa sœur aussi. Et je me suis dit qu’on était sur la bonne voie. Que oui, le chemin allait être long et probablement escarpé. Mais qu’avec les innombrables paires de chaussures que j’ai, j’allais forcément y arriver. J’ai fait un câlin à mes petits bizarres. Et j’ai filé sur internet m’acheter ces si jolis derbys écossais que j’avais repérés la veille…
Histoire d’être parfaitement armée pour affronter ce qui nous attend !