25 Mar

« Il est juste un peu plus différent… « 

Quand le diagnostic d’autisme est tombé pour Le Bouchon, il ne m’est jamais venu à l’idée qu’il ne fallait pas en parler. D’abord parce qu’il était flagrant qu’il y avait un problème. Et pour être honnête, je n’avais pas envie que les gens se disent que je n’étais pas une mère suffisamment attentive pour voir que son petit dernier est hors cadre. Dire ouvertement que mon fils est autiste, c’est comme hurler « c’est bon, je sais, j’ai vu…Foutez-moi la paix avec ça« … Couper l’herbe sous le pied des rabat-joie et autres donneurs de leçons, mon loisir préféré !! Je dois dire que Bouchon m’en donne l’occasion plus qu’à son tour !!

Et je ne veux pas avoir honte de mon enfant : il est comme il est, je l’ai fait comme ça… Bon ok, j’ai un peu raté mon coup !! Mais je ne vais pas le cacher dans un placard comme la première robe que j’ai cousue et qui est objectivement importable !! Surtout qu’il est tellement beau !! 😉

Les choses ont été moins simples avec l’entourage : le déni de beaucoup, longtemps, encore maintenant parfois… Et la fratrie ? Que faire ? Que dire ? Et Comment ? Mon mari était favorable à ce que l’on n’en parle qu’à l’aîné parce que 16 ans , parce que plus à même de comprendre… J’ai dit non : n°2 et n°3 étaient tout aussi en capacité de saisir les choses… D’accord, ils avaient 8 et 6 ans à l’époque… Mais j’avais confiance en mes deux petits extraterrestres : à 3 ans, mon fils s’est une nuit levé pour me dire qu’après avoir bien réfléchi, il était convaincu que Dieu et la Nature, c’est la même chose. Ma fille était à peine plus âgée quand elle m’a demandé à quoi sert l’Homme sur Terre… Je crois pouvoir dire qu’ils avaient les références intellectuelles pour appréhender la différence de leur petit frère…

Parce que la différence est le fondement de notre famille. Je l’ai déjà dit : n°1 est « dys » tout et n°2 et 3…ben n°2 et 3, quoi !!! Un jour, ma fille a très sérieusement avoué à notre médecin de famille : « tu sais qu’on est une famille bizarre ? Mon grand frère comprend tout à l’envers. Mon petit frère, Maman et moi, on est super hyper précoces. En plus, Maman est folle. Et mon petit petit frère fait tout dans le désordre. Et Papa ? Le pauvre, il nous supporte «  !!

Alors je me suis jetée à l’eau et j’ai annoncé la couleur. Je n’ai pas voulu que le moment soit solennel. Pas de « conseil de famille » ou de « les enfants, asseyez-vous, on a un truc à vous dire  » : ça aurait mis de la gravité là où je m’échine à ne pas en mettre. J’ai dit ça à table, entre la Vache qui rit et le Flamby. Je n’ai jamais été aussi peu sûre de moi. Je n’avais pas de réponses toutes prêtes, pas de plan d’attaque. Mais j’y suis allée : « vous savez que Bouchon a passé plein d’examens ? On a eu les résultats : il est autiste « . 

Paradoxalement, celui qui a eu le plus de mal à digérer la nouvelle, c’est n°1 : il a pleuré. Pas pour lui : il a eu de la peine pour son petit frère.« Ca va être quoi sa vie ? Alors il est handicapé ? « . J’ai rassuré : « sa vie sera celle qu’on va l’aider à se faire. Non, ton frère n’est pas handicapé. Enfin si, mais pas plus que toi qui es gaucher (je sais, lui aussi cumule!!!) ou que moi en hauts talons dans un champ : quand tu dois couper un truc avec des ciseaux de droitier, tu n’y arrives pas forcément. Bouchon, c’est pareil : il a besoin des bons outils. Et on va lui donner « … « Oui ben d’ailleurs, tu pourrais me racheter des ciseaux pour gaucher steup ? « . Premier écueil passé avec succès…

Je suis très fière de n°1 : ce n’est pas mon fils mais c’est tout comme pour moi. Il a aujourd’hui 17 ans. Mais quand je le vois s’occuper du Bouchon, le changer, lui donner son bain, chahuter avec lui, le virer de sa chambre parce que « nan mais sérieux quoi !! « , je me dis que ça va le faire…C’est comme si l’autisme de son frère l’avait fait un peu plus mûrir. Comme s’il se sentait une responsabilité vis-à-vis de cette jolie frimousse aux cheveux bouclés… »Petit Frère deviendra grand  » comme il dit…

Il fallait passer aux deux autres. Je savais que leur réaction ne serait pas la même : j’allais devoir répondre à une rafale de questions toutes plus analytiques les unes que les autres. Ca m’a pris une heure et j’ai survécu à l’interrogatoire ! A la fin de ma garde à vue, j’ai demandé « Alors ? Qu’est-ce que vous en pensez ? « . N°2 m’a avoué qu’au moment présent, il ne voulait pas dire que Bouchon est autiste : « j’ai peur qu’on se moque de lui et que ça le rende triste « … J’ai repris mon bâton de pèlerin :

« je comprends ta réaction et c’est très gentil de ta part de penser ça. Mais tu n’aurais pas aimé que l’on cache le fait que tu es précoce ? Parce que ça aurait été comme si on en avait honte ?

-Oui

-C’est pareil avec Bouchon…Et si des gens se moquent de lui, c’est qu’ils ne savent pas bien ce que c’est que l’autisme. Ce sera donc à nous de leur expliquer. Et s’ils continuent, alors c’est qu’ils ne sont pas intéressants….

D’accord… on va faire comme quand les enfants de l’ancienne école (j’ai du les changer d’établissement scolaire parce que leur précocité intellectuelle devenait un problème avec les autres enfants) se moquaient de nous : on va se serrer les coudes ! « 

Ma fille a été d’une simplicité incroyable, avec son serre-tête oreilles de chat dans les cheveux: « On avait bien remarqué que Bouchon était encore moins pareil que nous… C’est pas grave :  il est juste un peu plus différent  « .

J’ai quand même été attentive à n°3 et à la façon dont il intégrait les choses… Et je me suis dit que ça roulait quand, au détour d’une fête dans le village, il a énuméré à une ancienne camarade de classe tout ce que savait déjà faire le Bouchon « alors que tu sais, il est autiste « .

Je porte mes 4 enfants comme une fierté, chacun avec leurs différences. Et parce qu’ils sont différents. Une différence qu’ils affichent eux-mêmes comme un étendard. Chez nous, ne pas être typique n’est pas triste ou grave : c’est notre norme. J’ai l’habitude de dire que dans notre monde, nous sommes normaux… C’est lourd, c’est vrai mais le fait qu’ils n’entrent dans aucune case m’allège de facto de la responsabilité de leur faire accepter les différences des autres. Ce qui est pour moi une valeur essentielle. Avec eux, ça c’est fait !! D’office !!

Et quand je les regarde exprimer leur atypicité avec la fantaisie qui les caractérise tous, je me dis qu’ils sont peut-être un peu ratés mais que bon sang, ils le sont comme il faut !!