Le nœud du problème

© Emma Defaud

Le vélo sans les petites roues et les lacets. J'imagine qu'il y aura des choses plus difficiles à transmettre. Mais ce qui me donnait des sueurs froides jusque-là, c'était le vélo sans les petites roues et les lacets. Le vélo je vous raconterai une prochaine fois. Voici l'histoire des lacets.

Tout a commencé avec une nouvelle paire d'Adidas au prix imbattable de 15 euros. Mais à lacets. Et passer son temps à refaire les noeuds et/ou regarder le gamin se vautrer, ça me fatigue et ça lui fait mal. Il fallait donc lui apprendre.

Or, je partage une petite honte avec quelques copains, mon mec et un de mes chefs (qui me virera si je le dénonce): je ne sais pas faire les lacets "à la papa", comprendre avec le serpent qui passe dans le trou ou je ne sais quelle autre métaphore qui me parle autant que la formule de vectorisation à un lycéen de filière littéraire.

Moi, je prends une boucle dans chaque main et je noue les deux. La méthode des enfants, quoi. Efficace et simple.

Laquelle "méthode des enfants" s'avère extrêmement compliquée entre les doigts inexpérimentés d'un môme de 5 ans et demi. Et je découvre que mes talents pédagogiques se limitent à peu près à : "Mais putain une boucle dans chaque main, c'est quand même pas bien compliqué !"

Finalement ma mère est venue à la maison pendant les vacances. Et trois semaines plus tard, Ulysse savait faire ses lacets "à la papa".

Et la, c'est triplement la honte. Premièrement, j'ai échoué à apprendre quelque chose à mon fils. Petit 2 : mon fils fait maintenant ses lacets "à la papa" alors que j'applique encore la méthode des enfants. Cherchez l'erreur. Troisième : ce n'est donc pas ma mère qui expliquait mal quand j'étais petite. C'est moi qui suis trop con.

Les manouches

Une trottinette rouille sur le balcon à côté d'une étagère branlante qui attend d'être jetée à la décharge depuis un an et demi. Les bacs à fleurs ont depuis longtemps étaient désertés par tout végétal et seul un escargot défoncé à la nicotine erre parmi les mégots et les débris de moulin à vent à paillettes.

À l'intérieur, petites culottes et jeans troués sèchent dans le salon, le tapis est couvert de minuscules bouts de papiers et les cousins du canapé sont disséminés dans la pièce. Dans la cuisine, il y a toutes les chances pour que l'évier recèle une casserole encore sale et quelques gobelets à moitié plein. Dans les chambres, des tas de fringues s'amoncellent sans qu'on ne sache plus s'il s'agit du propre ou du plus tout à fait propre, voire du franchement sale. Plusieurs ampoules ne fonctionnent plus et des pas de vis manquent mais n'ont jamais été remplacés.

Bienvenue en chez moi. L'autre jour, j'ai lancé une remarque un peu raciste à mon père en disant qu'on se croirait chez des Manouches. Son œil a été traversé d'un éclair, comme si je venais de mettre le doigt sur une comparaison qu'il cherchait depuis longtemps et qu'il n'avait pas trouvée.

J'étais un peu dépitée que le cliché lui semble si juste. Pourtant ce n'est pas faute de faire un effort pour mettre fin à ce capharnaüm. Le linge par exemple, j'ai un peu mon mythe de Sisyphe. Je suis sure que dans mes rêves je continue de le plier ou de l'étendre. Mais non, il y en a toujours des tas. Je ne peux pas me plaindre du repassage. Mes enfants mettent des fringues repassés deux fois pas an : quand une grand-mère est de passage.

Pourtant je constate que d'autres y parviennent. Je vois des petites filles qui arrivent à l'école dans leur jupe plissée, des potes parents qui nous accueillent dans leur appart nickel, d'autres chez qui le bordel se cantonne à la chambre des enfants. Nous, on reste des manouches.

Mais il y a un moment dans la soirée, il faut bien s'avouer que ça ne sert à rien de perdre son temps, qui est si rare et si précieux. Alors, j'enjambe le bordel pour poser mes pieds sur la table basse et siroter un verre de vin.

Klee du succès

J'avais renoncé depuis un moment aux expo, bouée de sauvetage pour les parents affublés d'enfants en bas âge. Il faut bien avouer que, pendant la visite, j'avais plus mon danger public de fille dans le viseur que le talent artistique du peintre. Du genre à aller couler un bronze dans l'urinoir de Duchamp dès que j'ai le dos tourné. J'étais tellement aux aguets qu'il était devenu impossible de me souvenir d'une seule peinture après l'expo. Autant regarder les toiles sur google images, c'est bien moins fatiguant.

Mais l'expo Paul Klee à la Cité de la musique nous semblait pas trop ambitieuse. Elle était surtout à trois stations de métro de la maison. Si on avait pris cinq minutes supplémentaires pour se renseigner, on aurait regarder le sous-titre "Polyphonies". Comme ça, on aurait pris les audioguides pour écouter les morceaux qui correspondaient à chaque toile. Mais comme on était en mode "périmètre de sécurité", c'est à peine si j'ai eu le temps de voir l'air étonné de l'hôtesse à qui je refusais les écouteurs.

Le truc pas cool : mon fils s'est trainé par terre en disant qu'il n'y avait que celle-ci et celle-là qu'il aimait bien. La réaction cool : la mamie qui dit "Aimez deux peintures de Klee à son âge, c'est déjà magnifique."

Le truc pas cool : On a regardé un petit docu qui évoquait le goût pour la musique de Paul Klee. Ma fille a hurlé "Beethoven" avec un air éclairé quand le nom du compositeur a été prononcé. La réaction cool : les visiteurs nous ont regardés avec un air mi-admiratifs, mi-envieux, pas sûrs de pouvoir faire un jour une petite fille de 2 ans et demi aussi brillante. Alors que nous, on savait très bien que ça lui avait juste rappelé le saint-bernard du film Walt Disney qu'on a à la maison.

© Emma Defaud

Mais le moment définitivement le plus cool, c'est après l'exposition, quand on a découvert l'atelier au sous-sol. Une dizaine d'exercices ludiques vraiment top étaient présentés. Une peinture de Klee à finir avec des marqueurs effaçables, un mémo sonore, un théâtre de marionnettes, des jeux sur ordinateur, un vidéo projecteur pour créer sa propre oeuvre avec des calques de couleurs. C'était tellement bien que j'ai dû me faire violence pour ne pas (trop) jouer à la place des enfants. Pas trop. Pour la première fois de leur vie, mes mômes ont déjeuné à 14h passés sans pleurer ni hurler à la mort. J'ai dû les extirper sous la menace pour les amener manger des pâtes au resto. Menacer pour manger des pâtes au resto. Tous les mots de cette phrase sont antinomiques.

PS 1 : Ceci n'est pas un billet sponsorisé, juste un coup de coeur.

PS2 : Même si la bande annonce de Beethoven vous semble sympa, sachez que ce film est une sombre merde dans laquelle la seule place de la mère est à la maison pour s'occuper de l'éducation de ses rejetons. Mais à 10 ans, j'étais fan.