Mes enfants comprendront-ils un jour Nina ?

[Ce post a peu de chose à voir avec le fait d'être parent, mais c'était important pour moi de le raconter aujourd'hui. C'est gore, alors âme sensible, passe ton chemin]

J'avais 13 ans, j'étais une ado assez jolie, une petite rebelle qui fumait, s'habillait en robe moulante et séchait les cours de temps en temps. Je fréquentais la bande des gens "cools", ceux qui avaient des scooters qui passaient leur vie à fumer des pétards au jardin public. Un noyau de garçons plutôt mignons, tellement drôles et jamais en panne d'un mauvais coup. Et des filles en électrons qui rêvaient pour beaucoup de ravir le cœur d'un bad-boy en short Rip Curl.

"Deutch" faisait partie des mecs pas tout à fait centraux. Du genre pas spécialement beau gosse, mais qui connaissait le noyau dur du groupe depuis l'école primaire. Sa copine était un peu godiche, pas tout à fait assez cool pour nous, mais sympa. Ils échangeaient des baisers chastes et devaient se peloter au cinéma.

Un jour, les "gars" sont arrivés surexcités. Ils n'arrêtaient pas de raconter leur soirée de la veille, chez la meuf de "Deutch". Et moi, j'étais bouche bée. Parce que, ce qu'ils racontaient, c'est qu'ils lui étaient tous passés dessus. J'ai eu le droit à tous les détails, que je ne peux écrire ici tant c'est dégrandant. Un peu plus tard, ils ont mis Deutch au courant : sa meuf n'était qu'une pute. Il n'a plus jamais voulu la revoir et quand moi, je l'ai croisée, elle m'a racontée les larmes aux yeux que ça avait dérapé, qu'elle n'avait jamais voulu ça, qu'à un moment elle avait perdu le contrôle.

Je ne sais même pas si elle a prononcé le mot de "viol".

Moi, je ne l'ai pas vraiment cru. J'étais avec la bande la plus cool de la terre, ils ne pouvaient pas avoir fait ça. Un groupe hétéroclite, fait de fils de médecin comme de petits employés. Depuis que je les fréquentais, chaque jour était une aventure, je vivais dans un film avec The Clash et les Beruriers noirs en fond sonore. C'était la plus belle année de ma vie. J'étais presque élue. La copine de Deutch avait voulu gagner en popularité et elle avait tout perdu.

Aujourd'hui commence le procès des violeurs de Nina. Elle a été victime de "tournantes" pendant plusieurs mois, parce qu'elle "aimait ça", que ce n'était "qu'une pute" (lien abonné sur son témoignage à visage découvert dans Libération). Je me demande si mes anciens copains pensent encore que la copine de Deutch voulait vraiment ce qui lui est arrivé. Je me demande s'ils se disent parfois : "Je suis un violeur".

Moi, il m'a fallu des années pour admettre qu'elle avait sûrement dit la vérité. Aujourd'hui, je me dis que j'ai préféré mon petit confort d'ado. La croire aurait gâché mon bonheur. Je me sens coupable et je pense à mes enfants aussi. Comme n'importe quel parent, je crèverai qu'ils soient dans le camp des victimes, comme dans celui des bourreaux. A chaque bagarre, à chaque minuscule humiliation, j'essaie de trouver les mots pour que mes morveux restent sur la ligne médiane : pas de violence, mais de la défense, pas d'insolence, mais du répondant. Et maintenant, en pensant à Nina, et à la copine de Deutch, je me dis que j'aimerais aussi qu'ils ne fassent pas partie, comme leur mère, de la masse de ceux qui n'ont rien fait. Est-ce que mes enfants écouteront Nina mieux que moi ?

Je voulais écrire cette histoire, même si ça n'a rien à voir avec mon blog, même si c'est douloureux d'avoir cette image de moi. Il n'y a pas que les violeurs qui font du mal à leur victime, mais aussi tout cet entourage qui n'y prête pas attention.