Les manouches

Une trottinette rouille sur le balcon à côté d'une étagère branlante qui attend d'être jetée à la décharge depuis un an et demi. Les bacs à fleurs ont depuis longtemps étaient désertés par tout végétal et seul un escargot défoncé à la nicotine erre parmi les mégots et les débris de moulin à vent à paillettes.

À l'intérieur, petites culottes et jeans troués sèchent dans le salon, le tapis est couvert de minuscules bouts de papiers et les cousins du canapé sont disséminés dans la pièce. Dans la cuisine, il y a toutes les chances pour que l'évier recèle une casserole encore sale et quelques gobelets à moitié plein. Dans les chambres, des tas de fringues s'amoncellent sans qu'on ne sache plus s'il s'agit du propre ou du plus tout à fait propre, voire du franchement sale. Plusieurs ampoules ne fonctionnent plus et des pas de vis manquent mais n'ont jamais été remplacés.

Bienvenue en chez moi. L'autre jour, j'ai lancé une remarque un peu raciste à mon père en disant qu'on se croirait chez des Manouches. Son œil a été traversé d'un éclair, comme si je venais de mettre le doigt sur une comparaison qu'il cherchait depuis longtemps et qu'il n'avait pas trouvée.

J'étais un peu dépitée que le cliché lui semble si juste. Pourtant ce n'est pas faute de faire un effort pour mettre fin à ce capharnaüm. Le linge par exemple, j'ai un peu mon mythe de Sisyphe. Je suis sure que dans mes rêves je continue de le plier ou de l'étendre. Mais non, il y en a toujours des tas. Je ne peux pas me plaindre du repassage. Mes enfants mettent des fringues repassés deux fois pas an : quand une grand-mère est de passage.

Pourtant je constate que d'autres y parviennent. Je vois des petites filles qui arrivent à l'école dans leur jupe plissée, des potes parents qui nous accueillent dans leur appart nickel, d'autres chez qui le bordel se cantonne à la chambre des enfants. Nous, on reste des manouches.

Mais il y a un moment dans la soirée, il faut bien s'avouer que ça ne sert à rien de perdre son temps, qui est si rare et si précieux. Alors, j'enjambe le bordel pour poser mes pieds sur la table basse et siroter un verre de vin.