© Emma Defaud

Doit-on dire à sa fille qu'elle est belle ?

(Ce post est un peu le 2e volet de "Au secours, ma fille a les jambes de Lucky Luke")

J'avais juré-craché, je m'étais moquée, j'étais tellement sure de moi... Pas de rose, pas de fleurs, pas de nœud-nœud... Pas de dépenses inutiles dans les fringues et surtout, surtout, pas de compliment sur le physique. Ma fille serait fière de son cerveau, de ses talents, avant d'être satisfaite de sa chute de rein. Une tribune d'une féministe américaine m'avait confortée dans cette idée. Dans "Comment parler aux petites filles", elle racontait qu'elle ne complimentait pas une fillette sur sa robe mais lui demandait ce qu'elle lisait comme livre en ce moment. Une histoire inspirante.

Dans les faits, c'est un peu plus compliqué. Je me bats pour ne pas me taper Tarzan (dessiné par Disney) pour la millième fois et je ne peux plus encadrer "Monsieur Incroyable" et "Madame Petite", donc je ne vais pas demander à ma propre fille ce qu'elle "lit" en ce moment. Dans les faits, ma fille se retourne vers moi en tirant des deux côtés de son visage pour que me montrer sa petite tête et assène que ses "yeux bleus sont raaaares, n'est-ce pas maman ?" "Mais pas du tout ma chérie, en Suède, il y a que ça, ils ne savent plus quoi en faire des yeux bleus."

Dans les faits, elle choisit déjà sa tenue tous les matins et je me bats pour qu'elle n'aille pas à l'école en tenue de Noël avec la robe qui brille et le diadème.

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Quand elle est satisfaite de son choix vestimentaire, ma fille prend sa voix la plus exaltée (et aigüe) pour nous faire savoir qu'elle va "être la plus belle" aujourd'hui.

Comment ai-je pu à ce point dévier de l'objectif que je m'étais fixé ? C'est quoi, la suite ? Le profil Facebook avec la bouche en duckface, le tatouage en haut des fesses et des boobs en silicone ?

Je me repasse le film au ralenti et je vois des indices. Même si elle avait une tête de bouledogue à la naissance, ma fille a essuyé les compliments de toutes la famille, d'autant que ce n'est pas courant de faire une blonde aux yeux bleus quand on est réunionnais. Et puis, pour des questions de "confiance en soi", ma belle-famille a toujours estimé qu'il fallait répéter aux enfants qu'ils étaient beaux.

Pas de doute, c'est la faute aux autres. Evidemment.

Mais qui m'oblige à acheter des lots entiers de barrettes à paillettes chez Claire's ? Pourquoi avoir ramené une énième robe à la pépète ? "C'était vraiment pas cher, elle a été faite en Bangladesh" ne peut être un argument suffisant. Les fringues de son grand frère ? Je les donne toutes à son cousin.

Oui, j'ai craqué. Non seulement je ne me bats plus sur le rose depuis bien longtemps (mais fuchsia plutôt que pastel s'il vous plaît) mais en plus, j'ai fini par trouver du plaisir à en faire (un peu) ma poupée. "C'est bien, elle a confiance en elle", me rétorque son papa. C'est juré, à 10 ans, je lui offre Madame Bovary. Quoique. A cet âge, j'ai tellement aimé lire les Comtesse de Ségur...

 

Ciel, ma poupée attend un bébé

Quand mes enfants sont partis en vacances, pendant plus d'une heure, j'ai feuilleté la Redoute. Ça fait partie des activités totalement exclues avec mes deux moustiques sous LSD. La chose demande autant d'effort physique qu'intellectuel : un doigt pour tourner les pages, deux neurones pour décrypter l'image. C'est ça qui est bon. S"autoriser un acte profondément égoïste et vain. Tout le contraire du job de maman. Le bonheur.

A la page 1256, j'ai quand même éclaté de rire en découvrant "Steffi enceinte". La blonde est un ersatz de Barbie sauf qu'"en glissant son gros ventre bombe, tu découvres un bébé". Mouarf ! La poupée est vendu avec 12 accessoires dont un foetus. "Steffi 29 cm, bébé 5 cm". J'ai trouvé ça un peu dégueu. Mais ce qui m'a fait le plus rire, c'est la légende: "D'une simple pression, son ventre retrouve sa taille normal." Oui, ma puce, c'est exactement comme ça que ça se passe, la grossesse.

Vie de princesse et conte de fée

Ma louloute pense princesse, respire princesse, s'habille princesse. A même pas 3 ans, il n'y a rien qui la ravit tant que feuilleter son livre de princesses dans lequel on habille à grand renfort d'autocollants les péronnelles qui vont au bal. Puis Natacha, Lisa et la 3e vont faire du shopping avant de passer la journée avec leurs caniches roses.

Donnez-moi un fusil à pompes et je vous joue la révolution française version XXIe siècle.

Le reste du temps, ma fille joue avec des figurines de princesses à qui il n'arrive pas grand chose car son talent scénaristique est encore relativement limité. Généralement, les princesses en plastique se retrouvent dans le château Playmobil du grand frère où elles sympathisent avec les félins et les dragons dudit frère. A ma charge, appelée en renfort, d'inventer les débats passionnés entre Alice, princesse Dalva et Arielle pour savoir si on peut être une princesse quand on n'a pas de paillettes sur sa robe.

Parfois j'ai bien envie d'orienter davantage le scénario vers le film gore que la bluette pour fillettes. Mais ce qui me rassure, c'est que la princesse préférée de ma fille, ça reste Fiona. Parce que c'est la plus forte.