Le cauchemar du 3e enfant

J'ai du mal à fermer mon jean, je suis légèrement écoeurée après le repas et mes seins ont gonflé. Si je faisais attention à mon cycle, je m'apercevrais que mes règles ont du retard, mais comme j'ai toujours été incapable de retenir cette date, je reste dans le plus grand flou.

Immédiatement, toute femme normalement constituée accouche d'une seule et même pensée : et si j'étais enceinte ? Quelques minutes de réflexion suffisent à me rendre à l'évidence: l'accident n'a pas pu avoir lieu ce dernier mois. Mais mon esprit pervers ne s'apaise pas pour autant. J'en conclus juste que je suis enceinte depuis plusieurs mois. A tous les coups, je fais un déni de grossesse. PUTAIN J'AI FAIT UN DENI DE GROSSESSE.

Saucisses-purée et perte des eaux

Parce qu'il y a un enseignement à retenir de l'affaire Courjault. Et pas que c'est mal de foutre ses bébés au congélo, je le savais, je ne suis pas cette mauvaise mère là. Non, la vraie révélation de cette affaire, pour moi, c'est le déni de grossesse. Il y a des femmes qui ont un polichinelle dans le placard et qui s'en rendent compte quand le mouflet leur tombe entre les jambes. Souvent elles n'ont pas envie de ce bébé, et dans leur petite tête malade, elles se dissimulent leur état, parfois même elles continuent d'avoir leurs règles, jusqu'au jour où elles pensent de pas avoir bien digéré les saucisses-purée de midi et BIM, elles perdent leurs eaux.

Mon esprit pervers me signifie que j'ai toutes les particularités requises pour faire partie de ce groupe, et surtout la première : je ne veux plus d'enfants, mais alors, plus du tout. J'adore les miens, hein, mais on s'arrête là. STOP, c'est fini, j'ai fermé boutique, la circulation est interdite dans ce sens. La seule chose qui a le droit de se loger dans mon utérus est à jamais un stérilet.

A quatre, on rentre dans une Clio

Il faut donc croire que l'idée d'être enceinte ne suffit pas à mon cauchemar. Pour qu'il soit total, il faut que la gestation soit bien avancée. Impossible de penser à l'IVG, ma vie m'échappe entièrement. Il va donc falloir vivre avec une nouvelle grossesse cauchemardesque, renoncer au métier que j'adore et changer de vie, d'appart, de voiture. Mon équilibre précaire vole en éclats. En plus, j'ai bu et j'ai fumé donc cet enfant va avoir plein de vices de forme. Mais comment je vais faire ?...

Généralement, deux jours plus tard, j'ai mes règles - d'où les seins gonflés et le jean qui ferme mal. Je constate que j'ai bad-trippé sans aucune raison. Et je revis. Je réalise à quel point c'est cool de passer du temps avec ses deux enfants, la chance que j'ai d'avoir un job génial, et qu'on rentre parfaitement à quatre dans une Clio.

Je pourrais apprendre la date de mes règles et m'épargner tout ça, mais bon, je dois y trouver un certain plaisir finalement.

Emma

PS : Vous vous demandez : mais qu'est-ce qu'elle a voulu dire au 2e paragraphe, quand elle écrit "l'accident [le fait de tomber en cloque] n'a pas pu avoir lieu ce dernier mois"? Il y a trois interprétations possibles :
a) on a fait du sexe, mais pas pendant la période de fécondation ;
b) on a fait du sexe, mais selon des pratiques qui ne permettent pas la fécondation ;
c) on n'a pas fait de sexe.
Je vous laisse vous faire une idée.

Vie de princesse et conte de fée

Ma louloute pense princesse, respire princesse, s'habille princesse. A même pas 3 ans, il n'y a rien qui la ravit tant que feuilleter son livre de princesses dans lequel on habille à grand renfort d'autocollants les péronnelles qui vont au bal. Puis Natacha, Lisa et la 3e vont faire du shopping avant de passer la journée avec leurs caniches roses.

Donnez-moi un fusil à pompes et je vous joue la révolution française version XXIe siècle.

Le reste du temps, ma fille joue avec des figurines de princesses à qui il n'arrive pas grand chose car son talent scénaristique est encore relativement limité. Généralement, les princesses en plastique se retrouvent dans le château Playmobil du grand frère où elles sympathisent avec les félins et les dragons dudit frère. A ma charge, appelée en renfort, d'inventer les débats passionnés entre Alice, princesse Dalva et Arielle pour savoir si on peut être une princesse quand on n'a pas de paillettes sur sa robe.

Parfois j'ai bien envie d'orienter davantage le scénario vers le film gore que la bluette pour fillettes. Mais ce qui me rassure, c'est que la princesse préférée de ma fille, ça reste Fiona. Parce que c'est la plus forte.

Non, les mères françaises ne sont pas meilleures

(Emma Defaud)

L'affirmation est un peu dure à entendre pour moi : les mères françaises seraient tellement douées qu'elles enfanteraient des "enfants qui ne jettent pas leur nourriture par terre". Bringing up Bébé est le titre exact du livre de Pamela Druckerman qui affole les médias depuis deux mois. Quand j'ai lu le premier article sur le sujet dans le Guardian, j'ai bien rigolé et je me suis dit que ça ne prendrait pas. Mais c'était sans compter le plaisir qu'a une Nation à se féliciter de son nombril si bien formé. Oooh, nous sommes des parents fabuleux, oooh, nos enfants sont tellement mieux élevés que ces Anglo-saxons : ça ne peut être que vrai, c'est une Américaine qui l'écrit !

Reprenons les affirmations listées dans la presse une à une.

Comme les parents sont fermes, les enfants font leur nuit à six mois
Chère Pamela,
Vous avez écrit un livre sur les enfants, bravo. Moi aussi. Et je pense que ce qui m'a poussé le plus intimement à écrire sur ce sujet, c'est le sentiment de FATIGUE TOTALE qui m'envahissait quand j'avais repris le travail et que mon fils n'avait pas, lui, commencé à faire ses nuits. Sans parler des soi-disant frayeurs nocturnes, des réveils matinaux à 5 heures du matin. Alors oui, ce "feeling" des mères françaises qui sentent quand leur enfant va faire ses nuits, c'est juste le moment où on n'a plus la force de se lever.

Le petit Français mange tout, quatre fois par jour
Chère Pamela,

Le livre version américaine (c) AFP

C'est vrai, pas de grignotage (hors compote) sorti des repas, mais je vous assure, si vous trouvez un moyen de faire manger une crudité à mon fils et mettre un terme à sa passion pour les pâtes, je prends la nationalité américaine immédiatement.

Et sinon, l'enfant français est poli, il dit "bonjour" (je pouffe), ne coupe pas deux adultes qui discutent ensemble (je repouffe) et, évidemment, ne jette pas la nourriture par terre (alors, sur quoi je marche après chaque repas ?).

Résumons. J'ai été ferme avec mes enfants qui ont fait leurs nuits, mais parce que j'étais épuisée. Ils mangent quatre fois par jour, mais un peu toujours la même chose. Ils ne jettent pas la nourriture par terre, mais ils en laissent beaucoup tomber parce qu'ils mangent salement. La liste est un peu courte pour faire de moi une mère exemplaire. J'ai même l'impression que je suis la plus misérable mère française que l'Hexagone ait jamais porté.

Je préfère donc penser que Pamela s'est trompée. Peut-être qu'il y a une tendance. Que les Françaises sont plus détachées que les Anglo-saxonnes. Que, grâce à Simone de Beauvoir, Elisabeth Badinter et quelques autres, on a misé sur autre chose que la maternité pour s'accomplir en tant que femme. Et ce blog a alors une raison d'être. Mais ça ne fait pas des Françaises de meilleures mères. Ni de moins aimantes, contrairement à ce qu'insinue une journaliste britannique.

Mais je ne peux pas croire qu'aux Etats-Unis, la maternité soit une longue servitude.  Je ne peux pas croire qu'il n'y ait pas de mère qui pète les plombs parce qu'elle ne supporte plus son bébé, parce qu'elle n'a jamais le temps de faire à manger et que sa maison ressemble à un camping rom. Si rien de tout ça ne leur traverse l'esprit, alors ce sont elles les mères parfaites, et l'Amérique est mon cauchemar.