Les courses de Noël

Le plastique s'étire jusqu'à devenir transparent. De l'autre côté, quelque chose tente de sortir. Lentement une pointe traverse la fine épaisseur blanche et je vois apparaître les crocs acérés d'un spinosaure en colère.

Il ne manquait plus que ça, l'attaque du spinosaure ! Je suis à pieds, sous la pluie, dans une côte qui pourrait figurer dans les étapes de montagne du tour de France, et l'un des immenses sacs plastique de mes courses de Noël et en train de me lâcher. Mentalement, je fais la liste de mes erreurs.

1Vouloir être fashion

Mais pourquoi, pourquoi, ai-je mis des bottes à talons pour aller chez Oxybul ? Je me suis dit qu'il n'y avait pas raison de ne pas se faire belle, même quand on va acheter des jouets.

2Se surestimer

A quel moment exactement ai-je continué à acheter alors que je n'avais définitivement pas la force de porter tous ces colis ? Et pourquoi, pourquoi, ai-je choisi une maison de poupée en bois ? C'est mon mec qui trouvait ça plus charmant que le château Playmobil. Mais putain, ce que c'est lourd le bois.

3Accepter les commandes des autres

Comment je n'ai pas vu l'arnaque quand trois grands-parents sur quatre m'ont dit de m'occuper des cadeaux et qu'ils me rembourseraient ?

4Oublier mes amis les livreurs

Et quelle est la raison pour laquelle je n'ai pas fait les courses sur internet cette année ?

5Etre moins débile

Et comment je peux être assez conne pour oublier les cadeaux d'un enfant après deux heures d'enfer chez Toys'R Us ?

Je suis plutôt du genre égalité des sexes, mais à cette minute, je rêve que le mec qui me dépasse en parlant au téléphone s'arrête et me propose de porter mes paquets comme dans les années 50. Mais visiblement, il est pour l'égalité des sexes aussi.

J'ai mis 24 heures à m'en remettre. J'ai encore des courbatures.

L'année prochaine, je leur offre des plumes.

Oui, ma chérie, des enfants de ton âge meurent de faim

Ça prend la forme d'un simple prospectus : ma fille va faire "Un dessin contre la faim". Une idée d'Action contre la faim qui, en cheville avec l'école, fait gribouiller les petits. Sous le charme du talent fou de leur progéniture et de leur mauvaise conscience de nantis, les parents achètent la toile, minimum 5 euros (avec 75% de déduction fiscale à partir de 8 euros), et les pauvres peuvent enfin manger, joyeux Noël à tous. C'est en substance le contenu du prospectus que la maîtresse a distribué ce matin.

Putain, ma fille a 3 ans et demi. Elle parle encore à son doudou et je vais lui annoncer que des enfants qui lui ressemblent crèvent de faim ? Autant je trouve que le projet a du sens en fin de maternelle. J'ai senti chez le grand frère une vraie conscience s'éveiller même chez les moyens. Autant, j'ai l'impression que mener cette campagne auprès des petits, c'est davantage pour faire cracher les parents que pour accomplir une action pédagogique.

Marissa Mayer a un "bébé facile", et alors ?

Qui est Marissa Mayer ? Vous ne connaissez peut-être pas son nom ni son visage angélique, mais cette blonde de 37 ans passe pour l'une des femmes les plus influentes et les mieux payées. Elle est devenue la patronne de Yahoo il y a quelques mois et depuis, les affaires redémarrent. Surtout, l'Américaine a accepté le job alors qu'elle était enceinte et a accouché d'un petit Macallister il y a deux mois. Un tour de force unanimement salué. Autant dire que tout le monde a bu ses paroles fin novembre quand elle a donné sa première interview. Elle y a parlé un peu de son fils

"Je savais que le travail serait dur et avoir un bébé amusant. Finalement Yahoo est un endroit drôle et mon baby est facile, bien plus facile que tout ce qu'on m'avait annoncé."

Depuis, une pluie de tribunes et coups de gueule s’abat sur la jeune femme, comme celui là : "Chère Marissa Mayer, s'il vous plaît, cessez de dire que votre bébé est facile." Il faut dire que la maman workahoolic avait fait grincer des dents avec un congé maternité plus petit qu'une couche Pampers taille naissance. Elle a continué à travailler depuis chez elle et était revenue après quelques semaines dans les locaux de Yahoo. Je me souviens d'avoir bouilli quand Rachida Dati avait fait la même chose : pas vraiment un bon message pour toutes les femmes qui défendent ce droit.

Mais les cris de parturiente en phase d'expulsion que provoquent les dernières déclarations de Marissa me laissent plus perplexes. Les pires arguments (traduits dans mon langage) : "Ton bébé n'a que deux mois, tu vas bientôt en chier grave de toute façon." Les plus sensés : "Il faudrait aussi que les femmes de pouvoir puissent être celles qui en ont bavé, avec des enfants pas 'faciles.'"

Certes. On regarde toutes ce que fait Marissa. Parce qu'il n'y a pas beaucoup d'autres exemples. Mais rien ne l'oblige à être un exemple. Et lui tomber dessus à la moindre de ses déclarations va finir par faire passer les féministes américaines pour des chieuses de première.

Et puis ça me rappelle ces copains qui me parlaient de leur bébé qui se rendort quand on fait "chut" après un premier réveil à 9h. Oui, j'étais jalouse. Oui, je leur ai souhaité secrètement d'avoir un adolescent insupportable. C'est triste mais la seule chose que le grand public retiendra des interventions des chroniqueurs. Parfois, il faudrait mieux choisir ses causes.

Mise à jour

A lire aussi sur le même sujet, le billet de Maman travaille, par Marlène Schiappa, qui rappelle que cette idée de "la maternité, on en bave" vient de livres tels que Mauvaises Mères mais n'est pas une réalité unique. Et c'est tant mieux.