Le cauchemar du 3e enfant

6 semaines d'aménorrhée © Emma Defaud

J'ai du mal à fermer mon jean, je suis légèrement écoeurée après le repas et mes seins ont gonflé. Si je faisais attention à mon cycle, je m'apercevrais que mes règles ont du retard, mais comme j'ai toujours été incapable de retenir cette date, je reste dans le plus grand flou.

Immédiatement, toute femme normalement constituée accouche d'une seule et même pensée : et si j'étais enceinte ? Quelques minutes de réflexion suffisent à me rendre à l'évidence: l'accident n'a pas pu avoir lieu ce dernier mois. Mais mon esprit pervers ne s'apaise pas pour autant. J'en conclus juste que je suis enceinte depuis plusieurs mois. A tous les coups, je fais un déni de grossesse. PUTAIN J'AI FAIT UN DENI DE GROSSESSE.

Saucisses-purée et perte des eaux

Parce qu'il y a un enseignement à retenir de l'affaire Courjault. Et pas que c'est mal de foutre ses bébés au congélo, je le savais, je ne suis pas cette mauvaise mère là. Non, la vraie révélation de cette affaire, pour moi, c'est le déni de grossesse. Il y a des femmes qui ont un polichinelle dans le placard et qui s'en rendent compte quand le mouflet leur tombe entre les jambes. Souvent elles n'ont pas envie de ce bébé, et dans leur petite tête malade, elles se dissimulent leur état, parfois même elles continuent d'avoir leurs règles, jusqu'au jour où elles pensent de pas avoir bien digéré les saucisses-purée de midi et BIM, elles perdent leurs eaux.

Mon esprit pervers me signifie que j'ai toutes les particularités requises pour faire partie de ce groupe, et surtout la première : je ne veux plus d'enfants, mais alors, plus du tout. J'adore les miens, hein, mais on s'arrête là. STOP, c'est fini, j'ai fermé boutique, la circulation est interdite dans ce sens. La seule chose qui a le droit de se loger dans mon utérus est à jamais un stérilet.

A quatre, on rentre dans une Clio

Il faut donc croire que l'idée d'être enceinte ne suffit pas à mon cauchemar. Pour qu'il soit total, il faut que la gestation soit bien avancée. Impossible de penser à l'IVG, ma vie m'échappe entièrement. Il va donc falloir vivre avec une nouvelle grossesse cauchemardesque, renoncer au métier que j'adore et changer de vie, d'appart, de voiture. Mon équilibre précaire vole en éclats. En plus, j'ai bu et j'ai fumé donc cet enfant va avoir plein de vices de forme. Mais comment je vais faire ?...

Généralement, deux jours plus tard, j'ai mes règles - d'où les seins gonflés et le jean qui ferme mal. Je constate que j'ai bad-trippé sans aucune raison. Et je revis. Je réalise à quel point c'est cool de passer du temps avec ses deux enfants, la chance que j'ai d'avoir un job génial, et qu'on rentre parfaitement à quatre dans une Clio.

Je pourrais apprendre la date de mes règles et m'épargner tout ça, mais bon, je dois y trouver un certain plaisir finalement.

Emma

PS : Vous vous demandez : mais qu'est-ce qu'elle a voulu dire au 2e paragraphe, quand elle écrit "l'accident [le fait de tomber en cloque] n'a pas pu avoir lieu ce dernier mois"? Il y a trois interprétations possibles :
a) on a fait du sexe, mais pas pendant la période de fécondation ;
b) on a fait du sexe, mais selon des pratiques qui ne permettent pas la fécondation ;
c) on n'a pas fait de sexe.
Je vous laisse vous faire une idée.