Ma sortie scolaire à la ferme en cinq images

Cette semaine, j'ai accompagné mon fils de 6 ans à la ferme avec sa classe. Ma journée en avance-rapide - parce que c'était quand même un peu long. *

9 heures : les filles me brisent les tympans

Un train passe sans s'arrêter dans la gare : les petites filles hurlent de plaisir et de frayeur. Je perds 5/10e d'audition. Les autres dixièmes disparaîtront à la récréation. La pipelette de service m'annonce que son "père sait tout : Marine Le Pen sera la prochaine présidente". Quelle belle journée.

11 heures : les autres mamans

Vite, trouver un sujet de conversation avec les autres mamans. Là, je découvre qu'elles vont toutes en vacances au même endroit, voire qu'elles font du sport ensemble. Petite suée. Finalement, je parle avec la maîtresse, mais elles me regardent comme si je fayote. Je ne sais plus bien si c'est mon fils ou moi qui va à l'école. J'imagine rétrospectivement la rentrée de mon garçon. L'après-midi, on baille un peu, une maman lâche l'affaire et écrit autant de textos en deux heures que moi en un mois.

© FLICKR / BARBIAH

© FLICKR / BARBIAH

12 heures : ces incisives sont vraiment trop grosses

Ça y est, on a vu la vache, les moutons, les poules et les lapins, c'est l'heure de déjeuner. Les gamins engloutissent dans leurs bouches édentées leurs sandwichs de pain de mie. J'essaie de relativiser la taille de leurs incisives géantes qui sont en train de pousser en me répétant que leurs têtes vont encore grossir.

FLICKR / BOB ROSENBAUM

FLICKR / BOB ROSENBAUM

Pas loin, une mademoiselle Je-sais-tout échange une olive contre un Petit Prince et précise à ma pipellette : "C'est une olive niçoise, NI-COI-SEU" en recrachant ses noyaux dans le pot d'où elle sort son repas, avant d'inviter ses voisins à se servir. On sent bien qu'elle est fière de son éducation.

14 heures : image d'une milf

C'est la récré, un garçon pousse une fille dans les orties. La maîtresse fait les gros yeux : "C'est comme ça que ton papa fait avec ta maman ?" La mère, une accompagnatrice, glousse. Dans ma rétine s'incruste à jamais l'image de cette femme bon chic bon genre en train de se faire fouetter le corps avec des orties en poussant des petits cris. Je lui adresse des sourires figés le reste de la journée.

© FLICKR / JUPACRI

© FLICKR / JUPACRI

15 heures : comment on nique

Les enfants viennent de répéter "spermatozoïde" et "ovule" et doivent différencier "ovipares" de "vivipares". On passe à l'atelier pratique : la fille aux dreadlocks de la ferme sort un lapin et une lapine et tous les enfant les regardent niquer. Mais ils s'en foutent un peu. Ils veulent savoir s'ils donneront des graines aux oiseaux demain.
Avant de partir, la maman aux textos demande à la fille de la ferme si c'est possible d'adopter le futur bébé de la lapine qui s'est faite grimper dessus.

FLICKR / ROBOBOBOBO

FLICKR / ROBOBOBOBO

Epilogue

Le soir, j'ai demandé à mon fils s'il avait compris comment étaient fabriqué les bébés, il m'a répondu que les lapins se font un bisou et qu'après la femelle attend. Son œuf est à l'intérieur de son corps, car c'est une vivipare. Il aura retenu quelque chose.

 * Les images et la vidéo viennent de Flickr (Creative commons) et Youtube, pour ceux qui ont des doutes.

La première journée du printemps

Cette journée, j'y pense depuis le milieu de la semaine, dès que je me suis aperçue qu'on allait prendre 9 degrés en 24 heures. Grande nouvelle : le printemps arrivait vraiment et on avait tous rencard avec le soleil dimanche. Dès vendredi, j'ai commencé à répertorier les multiples activités qu'on allait pouvoir faire à l'extérieur. Dans les transports en commun, j'étais au bord du vertige en imaginant cette foule obnubilée par le même objectif que moi : pique-niquer dimanche.

Dès l'ouverture des magasins, samedi, je suis donc allée chercher le nouveau vélo de mon fils. Il a pédalé dans la galerie commerciale au son du piano mécanique en slalomant entre les clients, on a joué au chat et à la souris avec les vigiles, j'ai bu un café latte en terrasse en le regardant rouler sur l'esplanade. Tout cela avait un avant-goût du bonheur. Si le samedi était aussi cool, le dimanche allait déchirer.

© Emma Defaud

© Emma Defaud

C'était sans compter sur le génie destructeur de mes enfants.

C'est vrai, j'avais un peu abusée des sorties et de l'alcool, ragaillardie que j'étais à l'idée de mettre fin à huit mois de gris et de pluie. J'ai cru que j'étais jeune et qu'il fallait profiter de chaque instant. Or, je suis maman et je dois consacrer chaque parcelle de temps libre à amasser des minutes de sommeil en vue des moments critiques.

Samedi au moment de la sieste, mon fils a haché menu mon sommeil en me tenant au courant de son existence à chaque fois que je sombrais. Dimanche, il a poussé un hurlement de terreur vers 6h45 car sa veilleuse s'était éteinte. Il a été privé d'argent de poche et de tablette, moi, j'étais privée de sommeil. Dans mon lit, j'ai réfléchi à la prolifération des enfants qui réduisaient leurs géniteurs en esclavage. Puis, j'ai préparé le pique-nique et on est parti tôt dans un parc pour notre belle journée au soleil. Mon fils a tapé sur un caillou avec un bâton en s'ennuyant. J'ai tenu deux heures les yeux mi-clos. Avant de rentrer à la maison et de comater le reste de la journée. Les Parisiens auxquels on a cédé notre place de parking à 14 heures à Boulogne ont dû croire que Dieu existait étant donné la folie furieuse de la journée. Alors que le pouvoir de nuisance d'un seul enfant suffit.

Nos enfants se sentent les plus malheureux d'Europe

Nos gamins ne sont pas tip-top à l'école et ils fument des pétards à l'adolescence. Mais, heureusement, les petits Français sont les rois de la scolarisation en bas âge et les loulous restent assez gâtés et en bonne santé. C'est, en gros, les enseignements que la presse a extraits du rapport de l'Unicef sur le bien-être des enfants (PDF en anglais), paru mercredi 10 avril. En résumé, on est treizièmes sur trente au classement général. Officiellement assez loin de la place de donneur de leçons qui sied à notre grande nation, officieusement assez en phase avec la réalité du terrain.

Jusque-là, rien ne m'étonne. D'ailleurs, ledit rapport avait à peine éveillé ma curiosité quand j'ai découvert, page 38, le chapitre "Ce que les enfants disent". La méthode du "Children’s Life Satisfaction League Table" y montre "ce que ressent l'enfant à propos de sa propre vie, selon ses propres priorités ici et maintenant". Et là, surprise, BIM, on est derniers. Pas treizièmes, hein, derniers. "Pourcentage d'enfants qui trouvent leurs camarades de classe sympas et serviables" (troisièmes en partant de la fin), "pourcentage d'enfants qui trouvent que c'est facile de parler avec maman" (30es), "pourcentage d'enfants qui trouvent que c'est facile de parler avec papa" (30es) et moyenne générale (30es)... Strike.

La déprime.

Evidemment, dans les pages qui suivent, l'Unicef s'interroge sur le fossé qu'il peut y avoir entre la mesure objective du bien-être des enfants et leurs sentiments. Parce que ces ingrats ont quand même des Legos Star Wars, des vacances au soleil et un dessin animé le week-end, mais ils trouvent encore le moyen de se plaindre. Et ce n'est pas faute de leur répéter le matin qu'ils doivent finir leur lait et leur tartine parce qu'il y a "des enfants qui ne mangent pas à leur faim". La fin de la phrase est entre guillemets parce qu'ils sont à deux doigts de la répéter avec moi.

Alors pourquoi ? Pourquoi auraient-ils le sentiment que rien ne va et que le monde est un lieu inamical ? "Ils sont constamment invités à comparer ce qu'ils possèdent et peuvent faire, leur apparence, leur corps et leur style de vie avec ceux de riches et célèbres individus d'une communauté virtuelle et d'une image commerciale véhiculée par les médias", tente l'Unicef.

OK, Clochette a des ailes et Tree Fu Tom peut se miniaturiser pour jouer dans le jardin, mais de là à mal le prendre... Il faut croire que mes enfants sont encore en âge de trouver que "c'est facile de parler avec maman" ou "avec papa" et que ça se gâtera plus tard. Plus crédible, une journaliste d'Europe 1 disait mercredi matin (je n'ai pas réussi à retrouver le son sur leur site) qu'on collait trop la pression aux enfants pour qu'ils réussissent à l'école. Et qu'il fallait leur lâcher un peu les baskets. Arg. Et là, ça devient dur de suivre les conseils alors que je fais déjà les gros yeux quand mon fils ramène un papillon orange.

Extrait du rapport de l'Unicef

Extrait du rapport de l'Unicef