Le choeur de l'orchestre de Paris ne chante ni Schubert ni Schumann mais Renaud Capuçon joue Elgar avec lyrisme!

Daniel Harding en répétition C) Mathias Benguigui Pasco and Co

Drôle de concert que celui de fin d'année de l'orchestre de Paris. Les choeurs devaient y avoir une place importante dans un fort beau programme germanique. Ce ne sera pas le cas pour cause de... pandémie, vous l'aviez compris. Enfin, on suppose! En revanche Renaud Capuçon était bien là, jouant le "Concerto" d'Elgar sous la direction du compatriote de celui-ci, Daniel Harding.

Des oeuvres chorales qui ont disparu...

Sur le papier c'était un beau concert, même si tout à fait hétéroclite. D'un côté le Concerto pour violon d'Elgar par un des grands de ce temps, Renaud Capuçon; de l'autre le choeur de l'orchestre dans un programme d'oeuvres chorales germaniques plus ou moins rares de Schubert, Schumann et Brahms. Il en est resté Elgar et Brahms, Schubert et Schumann passant à la trappe et... remplacés par Wagner.

Et l'on n'a pas très bien compris pourquoi!

Un amour de Capuçon

Renaud Capuçon en tout cas était là. Dans un concerto qu'il aime beaucoup, celui d'Elgar -on a cru comprendre qu'il allait l'enregistrer, s'il ne l'a déjà fait. Concerto qui, de toute façon, a retrouvé la faveur de beaucoup de violonistes ces dernières années, sans doute parce que, du pur point de vue violonistique, il donne beaucoup de grain à moudre à l'interprète. Ce fut une commande de Fritz Kreisler en 1907, lui qui déclarait Si vous voulez savoir qui je considère comme le plus grand compositeur vivant, je vous réponds sans hésiter: Elgar. En un temps où Debussy, Mahler ou Sibelius étaient au faîte de leur talent, et où Ravel pointait le bout du nez... comme quoi on peut être une immense musicien et manquer de jugeotte.

Renaud Capuçon (en Suisse en 2020) C) Fabrice Coffrini, AFP

Un concerto interminable

En tout cas Kreisler eut de quoi s'amuser, tout comme ses successeurs. Elgar pondit le plus long concerto du répertoire, plus long encore que ceux de Brahms et Beethoven, dont, à notre humble avis, il ne partage pas le génie. Et l'on ne partage pas non plus ni l'enthousiasme d'un Capuçon ni celui d'un Kreisler. On l'a toujours trouvé interminable, ce concerto. Plus encore que celui pour violoncelle, réhabilité, redécouvert aussi depuis une certaine Jacqueline Du Pré. Au début, d'ailleurs, on a bien écouté: cette introduction très musique de film, ce lyrisme exacerbé où s'ébrouent des vagues orchestrales -les compositeurs anglais ont toujours aimé la mer, de Vaughan Williams à Britten. Et les phrases de Renaud Capuçon ont toujours cette densité lyrique du chant, cette profondeur du son. Parfois, ici (mais on ne lui jette pas la pierre), au détriment du geste, de la construction, de la continuité; car c'est plus la faute d'Elgar, qui multiplie les phrases ascendantes, censées nous conduire vers le ciel (d'un point de vue aussi métaphysique que météorologique), sur les modèles de Wagner (Mort d'Isolde) ou Scriabine (Poème de l'extase), mais qui retombent mollement comme par un gigantesque effet de houle.

Wagner à la rescousse

Et il en est ainsi avant que l'ensemble violon-orchestre s'agite, s'exacerbe, le concerto, mené par le violon, devient puissant, comme s'il s'agissait d'un chant triomphant après la tempête, et puis cela retombe encore... Dans le mouvement lent le soir tombe, la mer est calme. Beaucoup trop calme, malgré l'engagement du violoniste. Le troisième mouvement reprend les mêmes principes, installe (l'idée la plus originale de l'oeuvre!) une grande cadence (cette partie presque improvisée par le soliste) qu'on attend habituellement dans le mouvement initial. Puis... ça part dans tous les sens et nous attendons la fin.

Sir Edward Elgar C) Trompi / Manuel Cohen via AFP

Wagner: Siegfried Idyll a remplacé le choeur, cette délicieuse aubade composée pour Cosima, dont le joli thème s'éclaire peu à peu, symbole du matin qui chasse les ombres. Peu à peu les instruments se rejoignent, dialoguent, échangent, poussés par les cors et la flûte, on entend même les appels de la forêt proche. Et Daniel Harding, qui a tenu son orchestre dans Elgar (il nous avait donné il n'y a pas si longtemps un bel oratorio de celui-ci, The dream of Gerontius) le tient moins serré, avec une élégance un peu alanguie, comme si la fatigue d'une saison et les incertitudes à venir retenaient les musiciens dans ce programme qu'ils connaissent, bien sûr, mais de remplacement.

Enfin, le choeur...

Et à vrai dire on n'a pas compris pourquoi. On n'a pas compris pourquoi l'admirable Chant des esprits sur les eaux de Schubert et le bien plus rare Nachtlied de Schumann ont disparu du programme alors que les choristes sont là, en rang serré (si l'on peut dire), en tout cas assez nombreux pour pouvoir assurer les oeuvres supprimées. On s'imaginait voir un embryon de choeur, on a une formation qui eût été capable de chanter le colossal Requiem de Berlioz. Et qui se tire impeccablement de ce Schicksalslied de Brahms.

Alias Le chant du destin. Brahms s'inspire du poète (mort fou) Hölderlin, lui-même très inspiré de la Grèce antique. C'est du Brahms de qualité mais qui semble prolonger le Requiem allemand, autrement plus génial: introduction solennelle de l'orchestre, rythmée par les timbales, avant l'entrée élégiaque des sopranos. Problème, qui ne dure pas: nos choristes chantent avec un masque, de sorte que, dans cette première intervention où l'orchestre est encore très présent, on ne les entend pas. Heureusement le père Brahms, qui ignorait la pandémie de 2021, module ensuite la masse orchestrale; ou, même, c'est le choeur tout entier qui chante, avec un retournement spectaculaire du climat où la puissance furieuse et angoissée du texte est soutenue par de très belles voix d'hommes.

La masse du choeur de l'orchestre de Paris C) Mathias Benguigui, Pasco and Co

Les adieux de Lionel Sow et des incertitudes...

Et voici un bis, le Geistliches Lied (Chant spirituel): cette fois les jeunes sagement assis se lèvent, se joignent à leurs ainés, ils sont aussi nombreux et ce petit morceau de quelques minutes, autrement inspiré, sonne magnifiquement, en hommage à Lionel Sow, le chef de choeur qui s'en va après dix ans (il ne va pas loin: à Radio-France). Et qui recevra bouquet de fleurs, ovation du public, petit discours ému d'Harding avec un charmant accent anglais. Voilà, c'est fini, on est le 23 décembre, il y a un réveillon à préparer, tout le monde se sépare en attendant que...

Que quoi? Le premier concert de l'année (Janacek-Saint-Saëns-Lutoslawski) qui devait être dirigé par Karina Canellakis a été purement et simplement annulé. Le suivant (avec, désormais, mais on ne le savait pas encore, une jauge aux deux tiers puisque la Philharmonie de Paris compte 3.000 places) reverra le choeur dans une oeuvre encore plus exigeante, la Cantate Alexandre Newski de Prokofiev, suivant le Concerto pour piano de Scriabine par Bertrand Chamayou. On y sera. Mais comme ce 31 décembre (pour ne pas parler du 23) semble encore loin du 12 janvier!

Concert de l'orchestre (et des choeurs) de Paris, direction Daniel Harding: Elgar (Concerto pour violon, avec Renaud Capuçon). Wagner (Siegfried-Idyll). Brahms (Schicksalslied; Geistliches Lied) Philharmonie de Paris le 23 décembre.