Spirou a 75 ans ! Les secrets de sa naissance.

En 2013 Spirou fête ses 75 ans. L’anniversaire du Groom commence en fanfare avec la sortie aujourd’hui du nouvel album signé Yoann et Vehlmann, « Dans les griffes de la vipère ».

Dupuis, qui a un gros programme de parutions pour cette "Année Groom", publie également le premier tome de « La véritable histoire de Spirou »qui couvre la période 1937-1946.

Une véritable bible signée Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault dans laquelle on découvre les secrets de la naissance du héros :

Spirou a failli s'appeler... Milou

En Wallon, un Spirou est un écureuil, c'est aussi un jeune garçon espiègle et vif. En 1937, Le journal pour enfants "Spirou" a été imaginé avant même que le personnage "Spirou" ne soit créé par Rob-Vel. Parmi les autres noms envisagés pour le titre du journal à l'époque, il y avait "Franc-Coeur", "Ptit Loustic", "Julot", "Colibri", "Janot", "Jacot" et ... "Milou". (Le "Milou" de Hergé date de 1929)

Sur la page de droite de l'agenda 1937 de Paul Dupuis, la liste des noms envisagés pour le journal de Spirou. Colonne de droite, 6ème ligne : un certain... Milou.
(tiré de "La véritable histoire de Spirou" ed. Dupuis)

Pourquoi Spirou est-il groom ?

Lorsque le personnage a été créé, les grooms faisaient partie du paysage urbain. De nombreuses sociétés d'avant-guerre avaient adopté le groom comme mascotte. On trouvait également ces jeunes garçons sur les paquebots transatlantiques. Rob-Vel qui avait lui-même travaillé sur un de ces paquebots a fait de son héros un groom au calot rouge. Le dessinateur avait d'abord pensé en faire un petit serveur de bistro, un vendeur de journaux ou un gavroche. Idées abandonnées car trop banales à l'époque.

Spirou a-t-il de la famille ?

Ca dépend des époques. Si l'on se fie strictement aux premières aventures du Groom : Spirou, est orphelin, il a un frère jumeau que l'on aperçoit dans une case du Spirou n°17 (11 août 1938). Il a aussi un oncle dont il hérite dans l'album "L'Héritage" dessiné par Franquin en 1946.

A partir de 1987 et la création du "Petit Spirou" les auteurs Tome et Janry inventent une famille au héros puisque le "Petit Spirou", c'est le grand Spirou .... quand il était petit. A noter que Spirou a également un clone apparu dans "Machine qui rêve"en 1998.  Pas de nouvelles depuis.

Qui est le plus vieil ami de Spirou ?

Eh non, ce n'est pas Fantasio, c'est Spip, le fidèle écureuil du héros. L'animal est créé dès 1939 alors que le comparse de Spirou n’apparaît dans la BD qu'en 1944. Doit-on encore présenter cet amateur de noisettes qui ne rêve que de la tranquillité du chateau de Champignac-en-Cambrousse ?

D'où viens-tu Fantasio ?

Fantasio c'est d'abord une signature dans les pages du journal "Spirou". Chaque semaine ce journaliste fictif traite de sujets tout à fait sérieux mais les lecteurs sont invités à repérer les erreurs qui se sont glissées dans le corps de l'article. En 1942 déjà, le rédacteur en chef du journal évoque l'idée de rassembler dans une même aventure tous les personnages de Spirou. Fantasio en tête. Deux ans plus tard en 1944, ce dernier apparaît dans "Le pilote rouge"

D'où vient le nom Fantasio ? Pas besoin de chercher très loin : Fantasio est le nom d'un personnage d'une comédie d'Alfred de Musset. Un jeune bourgeois irresponsable et endetté, qui devient un bouffon. Le portrait craché de "notre" Fantasio, inventeur et baratineur avant qu'il ne rejoigne la rédaction de Spirou (celle des albums de Franquin) et que Gaston Lagaffe ne lui donne du fil à retordre.

Taille, âge, poids ?

On apprend dans "Spirou sur le ring"  en 1946 que le groom pèse 40,8 kgs. En 1941, dans le journal de Spirou, il est indiqué que Fantasio mesure 1mètre 89 "en chaussettes". Quel âge a Spirou ? Difficile à savoir. On peut juste dire que c'est un des rares personnages de bande-dessinée qui vieillit puisque dans les premières aventures c'est un adolescent alors qu'à partir des années 50, c'est un jeune adulte qui a un travail (à la rédaction du journal Spirou)

A lire :

"La véritable histoire de Spirou" Tome 1 - 1937/1946 - par Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault. Un travail de fond sur une période jusqu'alors peu étudiée dans la grande histoire de Spirou.

"Dans les griffes de la Vipère" de Yoann et Vehlmann. 48p. Prix : 10€ Dans cette album, un milliardaire rachète le journal de Spirou au bord de la faillite. Mais il achète aussi Spirou, son nom, son image. Comment Spirou va-t-il réussir à retrouver son identité ? Puissance des multinationales, droit à l'image, clins d'oeil aux héros des années 60... autant de thèmes qui parleraient presque plus aux adultes qu'aux enfants !

"Dans les Griffes de la Vipère" de Yoann et Vehlmann. Spirou n° 53, prix : 10€

 

L'intrigante mort de Picsou

La sortie récente de "La Jeunesse de Picsou"par le dessinateur Don Rosa chez Glénat est l'occasion de revenir sur la vie du milliardaire radin et sur une question qui agite les fans de "Scrooge MacDuck" (son nom original) depuis longtemps : Picsou est-il mort ? En 1991, Don Rosa publie ce dessin :

 

Riri, Fifi, Loulou devenus adultes, Donald et Daisy mariés et âgés. Sur la stèle, cette mention : "Picsou - 1867/1967 - La fortune sourit aux Audacieux". Et Donald de dire "Hé Daisy ? Qu'est-il donc arrivé à Picsou ? C'est ce que tu veux savoir ? Sa dernière aventure est un conte que l'on ne pourra sans doute jamais raconter. Mais ce fut spectaculaire !" 

Le dessin date de 1991. Sur ce site qui lui est dédié, Don Rosa explique : " "J'ai fait ce dessin pour un fanzine allemand. Les rédacteurs en chef avaient demandé à plusieurs artistes d'imaginer une illustration autour de cette phrase : "Hé, Daisy, qu'est-il arrivé à Picsou ?". Les autres dessinateurs ont imaginé des gags bizarres. Mais moi, naturellement, j'ai traité cela de façon très sérieuse, cela m'a permis d'imaginer le futur de ma version de Donaldville. [...] Picsou n'a aucun lien avec le Château McDuck ( ndlr : le château écossais où sont nés les ancêtres de Picsou ) contrairement à ses soeurs qui ont vécu là-bas. Alors je me suis dit que sa tombe devrait être à Donaldville. Mais quand je réfléchis à l'histoire de la mort de Picsou, j'imagine plutôt une grande aventure dans laquelle le corps du milliardaire ne serait pas retrouvée. Ce serait plus spectaculaire."

1967 n'est pas une date anodine. C'est cette année-là que Carl Barks, le créateur mythique de Picsou, prit sa retraite. Extrêmement respectueux de Barks, Don Rosa a cherché à approfondir l'univers de Donaldville de 1987 à 2006, période pendant laquelle il a dessiné Picsou. Il a raconté l'origine des personnages, des lieux, comme le coffre de Picsou, l'origine du sou fétiche, etc... Doit-on considérer que le décès de Picsou fait partie du canon(*) de la série puisque de nombreuses histoires ont été publiées dans lesquelles Picsou utilise des technologies post-1967 ? Le plus simple, c'est encore de laisser chacun le décider.

En attendant, je vous conseille vivement la lecture de "La Jeunesse de Picsou". C'est rempli d'aventures, d'humour, de références (notamment au "Chien des Baskerville"). C'est chez Glénat, c'est le premier tome de "La grande épopée de Picsou", il y a 288 pages et ça coûte 29,50€.

(*) : le canon, c'est tout ce qui est écrit, filmé, dessiné sur un univers de fiction et qui est considéré comme officiel. Le terme s'applique en particulier aux séries télévisées.

 M.A.J : et puisqu'on parle de Picsou, j'ai commis ça il y a un peu plus d'un an :

Divines lectures

Faut-il y voir une intervention divine ? On trouve en ce moment en librairie 3 Mangas différents sur le même thème : la Bible. La bande-dessinée japonaise serait-elle un nouveau territoire d’évangélisation ?

Les Précurseurs

Avec un projet qui a débuté en 2008, l’éditeur BLF fait figure de précurseur. Cette maison d'édition protestante évangélique a déjà publié 5 tomes qui se sont écoulés à 200 000 exemplaires. C’est le best-seller de la société qui publie habituellement des ouvrages plus sérieux comme « La théologie de la prospérité » ou « Replacer Dieu au Cœur de la Prédication » par exemple.

Ruben Nussbaumer de BLF explique comment est né le projet :  « Nous avons découvert cette adaptation par deux dessinatrices japonaises en 2007 et nous nous sommes dit : c’est parfait pour la France. Ce manga est très fidèle aux textes bibliques. Et comme la France est le deuxième consommateur de Mangas derrière le Japon, il y avait un lectorat potentiel. »

Un lectorat plutôt jeune, évidemment :

« Ce que l’on veut, c’est que des gens qui ne liraient pas la Bible spontanément se disent : « tiens, c’est un manga ça m’intéresse ! » Les adolescents, c’est notre public-cible mais nous nous sommes rendus compte aussi que dans certaines familles qui avaient lu la Bible il y a longtemps, les parents se replongeaient dans le manga pour rafraichir leur mémoire. »

Graphiquement, les personnages, leurs expressions sont adaptés au style « sur-expressif » du Manga. Chaque volume est annoncé avec des formules fracassantes dignes d’un bon film d’anticipation : «Ils ont été choisis pour devenir la lumière des nations ! Mais leur royaume n'est désormais que ruines et désolation... »

Cela dit, pour l’éditeur les cheveux violets de certains personnages par exemple, ce n’est pas dans la Bible, mais ce n’est pas un problème car l’esprit des textes, lui, est fidèlement respecté.

Lisez un extrait ici

Jésus et la Nouvelle Alliance

Les éditions MaMe (qui entendent célébrer, penser et transmettre la culture et la foi chrétienne) viennent de publier « Jésus et la nouvelle Alliance ». Un manga d’une facture plus classique. Ce premier volume (suivra l’ancien testament en deux tomes ) est signé là-encore d’un auteur Japonais : Masakazu Higuchi. Le même avait réalisé une série de dessins animés sur le même thème diffusée simultanément au Japon et aux Etats-Unis entre octobre 1981 et septembre 1983.

L'Ancien Testament / Le Nouveau Testament

Troisième version disponible en ce moment : « L’Ancien Testament » et « Le Nouveau Testament » publiés chez Soleil Manga. La démarche ici n'est pas religieuse puisque la bible est traitée au même titre que d’autres grands textes de référence. Dans la collection "Classiques" sont parus « A la recherche du Temps Perdu », « Le Capital », « Les entretiens de Confucius » ou « Guerre et Paix » adaptés en manga. Il s'agit de la traduction française d'une collection dessinée au Japon. Joanna Ardaillon, coéditrice chez Soleil Manga, explique : "parmi les ouvrages de cette collection, nous avons choisi

de grands textes connus que nous voulions présenter de manière plus ludique ou bien des textes plus difficiles d'accès que l'adaptation en manga rendait plus accessibles." Un véritable défi pour la maison d'édition plutôt habituée à s'adresser à un lectorat d'adolescentes acquises au Manga. "Nous avons fait un gros travail d'adaptation pour nous adresser au public le plus large, poursuit Joanna Ardaillon. Les originaux sont plus petits, plus austères. Nous avons augmenté le format, abandonné le sens de lecture japonais." Même le graphisme de ce manga sort du style habituel de Soleil Manga et plaira aux amateurs des auteurs plus "classiques" du manga comme Tezuka ou Taniguchi.

Que pensent les lecteurs traditionnels de la bible de ces adaptations ? Chez BLF, quelques-uns se sont inquiétés : « Au début nous avons eu quelques remarques de nos lecteurs. C’est dû au fait que le Manga est encore souvent associé à la violence en France, explique Ruben Nussbaumer. Mais une fois que les gens ont le livre en main, les réticences s’envolent. » 

 

La Bible en Manga :

Aux Editions BLF : 5 tomes déjà parus, environ 300 p. chacun (Le Messie, La Mutinerie, Les Magistrats, Les Messagers, La Métamorphose) . Prix : de 10,90€ à 12,90€ chaque volume.

Aux Editions Mame : "Jésus et la Nouvelle Alliance" 304 p. Prix 12,90€.

Aux Editions Soleil Manga : "L'Ancien Testament" 384 p. Prix : 9,99€, "Le Nouveau Testament" Prix : 9,99€

Bonne année ! Mais que lisait-on en 1913 ?

Difficile de dire quels seront les succès et les flops de la bande dessinée en 2013. En attendant, je vous propose un retour en arrière pour découvrir les BD nées il y a 100 ans, 60 ans, 50 ans, 40 ans...

1913

Krazy Kat Un chat un peu rêveur amoureux d'une souris qui passe son temps à lui jeter une brique à la tête. Troisième personnage : l'officier de police Pupp , garant de l'ordre, qui essaie d'empêcher Ignatz de jeter sa brique. Malgré l'apparente simplicité de ce scénario qui se répète à chaque gag, Krazy Kat est considéré comme un chef d'œuvre poétique et plein de non-sens par de nombreux spécialistes.

La Famille Illico L'histoire d'un immigré Irlandais aux Etats-Unis, Jiggs, qui devient immensément riche mais qui continue à garder ses manières d'homme du peuple et fréquenter ses amis au bar. Pendant que son épouse Maggie ne rêve que d'ascension sociale. A la suite de son créateur George MacManus, quatre auteurs se sont succédé pour dessiner la série jusqu'en 2000. Une belle longévité, qui n'égale pas celle de Pim Pam Poum, toujours publié après 175 ans d'existence.

1953

Arthur le Fantôme Justicier Il apparaît dans Vaillant (l'ancêtre de Pif Magazine) en décembre 1953. Arthur le petit fantôme est accompagné par le Père Passe-Passe, un magicien avec qui il voyage dans le temps pour se battre contre les malfrats en tous genres. La série se caractérise par un délire permanent et des jeux de mots approximatifs mais rigolos... Une marque de fabrique que l'on retrouvera plus tard dans Les Rigolus et les Tristus, du même auteur.

(c) Cézard

1963

Achille Talon apparaît dans le journal Pilote, créé par Greg. Bavard impénitent, il est accompagné de son voisin agaçant Lefuneste, il a une fiancée snob, Virgule de Guillemets, un papa accro aux canettes de bière et n'aime rien autant que déployer des stratégies pour se débarrasser des représentants de commerce qui frappent à sa porte.

Blueberry A côté de Lucky Luke ou de Jerry Spring, le lieutenant Blueberry, créé par Moebius, révolutionne la représentation du cow-boy lorsqu'il apparaît en 1963 : buveur, tricheur, teigneux.

1973

Hagar Dunor Ce comic-strip apparu aux Etats-Unis raconte les vicissitudes de la vie quotidienne que doit endurer Hagar, le Viking. Autour de lui, son épouse Hildegarde, son fils Homlet qui déteste la guerre, et sa fille Ingrid qui ne crache pas sur un combat de temps à autres. De nombreuses planches à lire ici.

Dicentim, le petit Franc Apparu dans Pif Gadget, un petit bonhomme casqué qui ne vit pas en Gaule mais au Moyen-Age, à la cour de Poilempoigne, le roi fainéant de Poilenville. Sa cible favorite : le capitaine des gardes Bougredane. Chaque histoire se termine invariablement par cette conclusion de Dicentim : « Bougredane et Bougredandouille ne font qu’un ! ». Parmi les autres personnages, l'irrésistible grand chambellan Débilus. De nouveaux albums sont parus en 2003. Le blog à ne pas rater (une mine d'infos) : Dicentimblog.

Les chiffres incroyables de la BD en 2012

Comme chaque année, le secrétaire général de l'association des critiques et journalistes de bande dessinée, Gilles Ratier, publie les chiffres de l'année écoulée dans le secteur de la BD francophone. L'intégralité du rapport est disponible sur le site de l'ACBD. Cette année encore, le secteur est marqué par une augmentation du nombre de parutions (+4,28% par rapport à 2011) : 5 565 livres de bande dessinée ! Pour se rendre compte de ce que cela représente, il suffit de comparer ce chiffre à celui de l'année 2000 :

Sources : © Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD

Dans le détail, en 12 ans, les nouveautés ont été multipliées par 3,6 et les rééditions par 3,75 ! Le nombre de recueils ou d'essais sur la BD augmente en valeur absolue, mais régresse comparé à l'ensemble.

Sources : © Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD

Sur 5565 parutions, on compte 4109 nouveautés qui se répartissent de la façon suivante :

 Source : "2012 - Une année de bandes dessinées sur le territoire francophone européen" 
© Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD

Cette répartition tord le cou à quelques idées reçues : les romans graphiques représentent une part minime de la production même s'ils bénéficient généralement d'un très bon accueil critique. Malgré les nombreux clichés qui circulent encore sur ce genre, la bande dessinée asiatique fait presque jeu égal avec la bande dessinée franco-belge. Mais celle-ci est toujours en tête. Non, elle n'est pas vieillissante et se porte toujours bien. Il suffit de regarder le top 5 des tirages en 2012 : on y trouve... Lucky Luke et Blake et Mortimer, deux vénérables séries...

Source : "2012 - Une année de bandes dessinées
sur le territoire francophone européen" 
© Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD

"L'épouvantail" : meurtres à la campagne.

« L’épouvantail », c’est une couverture qui rappelle les affiches des films d’horreur de la Hammer. Pourtant ici, ce n’est pas de l’Angleterre du XIXème siècle dont il s’agit, mais de la Nouvelle-Zelande crasseuse et paumée des années 30.

« L’épouvantail », c’est Hubert Zalter un grand échalas sans âge qui débarque dans la petite ville de Klynham.  A coups de belles formules et de tours de magie, ce personnage inquiétant étend son emprise sur toute la bourgade et se lie d’amitié avec le croque-mort. Etrange ! Qui est-il vraiment ? Que veut-il ? Voilà de quoi épicer le quotidien monotone de Leslie et Neddy, deux ados  qui trainent leur ennui  dans cette « zone » qui devient le théâtre d’événements dramatiques.

« L’épouvantail », c’est l’adaptation d’un roman de l’auteur néo-zélandais Ronald Hugh Morrieson, un « oiseau de nuit marginal, décalé et amateur de boissons fortes » dixit l’éditeur. Jules Stromboni au dessin, Olivier Cotte au scénario nous livrent une bande-dessinée d’une beauté singulière. Tout jeune dessinateur, Jules Stromboni fait déjà preuve d’une grande maitrise. Il propose une grande richesse graphique avec une palette de couleurs restreinte :  jaune, noir, rouge. Les deux auteurs avaient déjà publié une magnifique adaptation de « l’ultime défi de Sherlock Holmes » de Michael Dibdin (un album encore plus sombre que celui-ci). On attend leur prochaine collaboration avec impatience.

"L'épouvantail" de Stromboni et Cotte dans l'excellente collection Rivages/Casterman/Noir. 18 euros. L'album est dans la sélection officielle d'Angoulême 2013, catégorie "Polar".

 

La bande dessinée s'invite au musée

 

Dans les musées, à la sortie d’une exposition, aujourd’hui les visiteurs ont le choix entre le catalogue… ou la bande dessinée. Les grands établissements nationaux développent des politiques éditoriales ambitieuses, sollicitent des auteurs de renom qui offrent à leur tour des approches très variées : un genre est en train de naître.

Au Louvre, les deux derniers albums publiés récemment en partenariat avec Futuropolis suivent deux chemins différents. Enki Bilal, lui, fait vivre « les fantômes du Louvre ». Dans la préface de son livre, il écrit :

 

C’est comme si au Louvre on respirait du fantôme. A chaque coin de galerie, dans chaque parcelle d’œuvre, dans tout ce que les yeux touchent, partout, dans et sur le parquet, dans les replis des murs, dans tout l’air qui colle au plafond…

 

Le dessinateur a donc choisi 22 œuvres. Et pour chacune, il imagine un homme, une femme, un enfant dont l’histoire est liée à la création de l’œuvre. Pour appuyer son propos, il superpose ces « fantômes » aux tableaux, aux sculptures. Ici, pas de bulles, pas de cases : on est à la frontière entre la bande dessinée et le livre d’art. Cela aurait pu paraître présomptueux de la part de l’auteur de « couvrir » les chefs d’œuvre du Louvre avec son propre dessin, mais c’est fait avec un grand respect, et c’est particulièrement réussi avec les sculptures.

L’album de Bilal est le huitième d’une collection de BD publiées par le musée du Louvre. Fabrice Douar, adjoint au chef du service des Éditions du musée du Louvre, est à l’origine du projet :

Fabrice Douar - Louvre Editions : "Au départ, notre idée n’est pas de devenir  éditeur de bandes dessinées. Ce qui nous intéresse, c’est l’échange entre les arts du Louvre et cet art qu’est la bande dessinée. Comme le musée possède un patrimoine artistique très riche, et que dans la BD il y a pléthore d’univers très variés, nous voulons les faire se rencontrer. Nous laissons aux auteurs une carte blanche, il n’y a qu’un seul « impératif » : quels que soient l’œuvre ou le département choisis au sein du musée, ils doivent faire partie intégrante du scénario."

Dans la même collection, exemple avec David Prudhomme, qui a choisi un autre point de vue dans « La traversée du Louvre ». Au centre de sa bande dessinée, il ne place pas les œuvres mais les visiteurs. Et il s’amuse à trouver des correspondances entre les postures de ces spectateurs et celles des sculptures ou des personnages représentés sur les toiles. Pour Prudhomme, le musée du Louvre est une sorte de BD géante, et il se promène avec un regard amusé au milieu du palais.

Du côté du Centre Pompidou, à l’occasion de la rétrospective « Dali », le très grand dessinateur Edmond Baudoin entraîne le lecteur sur les traces du peintre, sous la forme d’un roman graphique édité conjointement avec Dupuis dans la collection « Aire Libre ». L’album suit le fil d’une conversation entre un homme et une femme à propos de Dali. Baudoin s’empare des œuvres, les décortique pour expliquer qui se cachait derrière l’artiste. Au final, son « Dali » est une mine d’informations sur le peintre qui fut le premier à poser systématiquement sur la toile ses rêves et son inconscient.

Si la collaboration entre les musées et les auteurs est toute récente, elle apparaît aujourd'hui comme une évidence... un projet qui attire aujourd'hui de nombreux artistes.

Fabrice Douar : Au départ, c'est nous qui avons sollicité les auteurs. En ce moment, nous sommes en négociation avec Jiro Taniguchi. Et puis face au succès rencontré par la collection, désormais certains dessinateurs prennent l’initiative de nous contacter. Nous étions partis sur un cycle de 10 albums, mais face au succès rencontré, nous réfléchissons à 5 ou 6 titres supplémentaires.

Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants...

Infos pratiques :

Enki Bilal - "Les Fantômes du Louvre"- 144 pages - chez Futuropolis/ Louvres Editions

Exposition des dessins de Bilal du 20/12/2012 au 18/03/2013 au Musée du Louvre, Aile Sully.

"Dali par Baudoin"- 160 pages - Editions Dupuis

Exposition des plus beaux dessins originaux de cet album du 21/11/2012 au 24/03/2013 au musée de la Bande dessinée d'Angoulême.

L'Infatigable Yoko Tsuno

Yoko et Emilia reçoivent une étrange visite. Un notaire vient leur annoncer que l'arrière-grand-tante d'Emilia lui a légué son cottage... pour la remercier de lui avoir sauvé la vie en 1935 ! De fait, Yoko et à Emilia voyagent jusqu’en 1934 pour lui porter le remède contre la tuberculose dont elle souffre. Sur place, elles auront affaire à des comploteurs russes et une étrange pierre précieuse au pouvoir maléfique.

Le maléfice de l’améthyste est le 26èmetome des aventures de Yoko Tsuno apparue en 1970. Après 40 ans d’existence,  l’électronicienne est toujours aussi populaire chez les lecteurs de tous âges. Pourquoi ?

Des nouveaux personnages

Au fil des années, à part l’héroine elle-même, les personnages de la série ont été régulièrement renouvelés. Une façon de raviver en permanence la curiosité des lecteurs. Et d’éviter que les scénarios ne tombent dans la routine. Le « trio de l’étrange »du premier album Yoko/Pol/Vic a laissé la place à une demi-douzaine de personnages secondaires que l’auteur fait apparaître au fil des aventures selon les nécessités de l’intrigue.

Au risque d’ailleurs d’en faire des personnages fades qu’on aimerait plus développés. Dans un album, Yoko adopte une petite fille chinoise qui n’est plus qu’une ombre dans les albums suivants. Dans une autre histoire Pol – un des héros d’origine  - épouse Mieke, une jeune femme venue du passé. Depuis, elle apparaît épisodiquement.

Tous ces nouveaux personnages sont des femmes ou des jeunes filles. C’est l’autre grande évolution. A l’origine, en 1968, Yoko Tsuno c’était « Action et Hard-Science », avec quelques passages sur l’amitié, la fidélité, le respect de la vie. Yoko était un garçon manqué qui voulait prouver qu’elle était l’égale des hommes. A gros traits : une série pour les garçons  mais qui pouvait plaire aux filles.

Des nouveaux lecteurs

Au fil des aventures, le caractère de l’héroine s’est adouci. Les sentiments, l’amitié, les relations humaines ont pris le dessus, la science-fiction est surtout une toile de fond. En grossissant le trait encore une fois, en 2012 « Yoko Tsuno » est une série pour les filles mais qui peut plaire aux garçons. Féministe toujours, mais d’une autre façon.

Et puis rendons à César ce qui lui appartient : à 79 ans, Roger Leloup fait vivre avec passion la seule BD tous publics de Science-Fiction. En inventant les Vinéens, humanoïdes à la peau bleue bien avant Avatar, l’auteur a créé une civilisation extra-terrestre crédible et une flotte de vaisseaux spatiaux dont le trait n’a pas vieilli en 40 ans.

L’exil des Vinéens de Vinéa vers la Terre puis leur retour sur une planète dévastée, la recherche des « colonies perdues » est une source inépuisable d’aventures spatiales (pas assez exploitée au goût de certains lecteurs). Par ailleurs, la ficelle est un peu grosse mais l’apparition d’une machine à voyager dans le temps dès le 11ème album en 1981 a permis d’élargir les possibilités d’histoire. Bref, après 40 ans, la série « Yoko Tsuno » a toujours un potentiel énorme. Un gage de qualité.

Trois sites à consulter :
Crayonné tiré du Tome 25 : "La servante de Lucifer"