"Astérix chez les Pictes" : Lu et approuvé.

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C'était sans doute la bande-dessinée la plus attendue de l'année. Après des mois de secrets et d'informations distillées au compte-goutte, le 35ème album d'Astérix est enfin paru. Les premiers exemplaires ont été vendus à minuit dans une librairie parisienne. Grand lecteur d'Astérix depuis que je suis tout petit, j'avais la chance d'y être. De l'histoire, on connaissait les grandes lignes : un voyage en écosse, en compagnie d'un guerrier dénommé Mac Oloch, mais dans le détail ? Que vont faire Astérix et Obélix chez les Pictes ?

Au début de cette aventure, les deux gaulois découvrent échoué sur la plage un homme étrange pris dans un iceberg. Grâce aux remèdes magiques de Panoramix, l'individu reprend conscience mais il ne parvient pas à s'exprimer. Le druide comprend pourtant qu'il arrive de la tribu des pictes, les cousins écossais des Gaulois... Alors que les femmes du village commencent à craquer pour le bel étranger, Abraracourcix le chef du village demande à Astérix et Obélix (avec le soutien des maris du village) de raccompagner le guerrier chez lui.

En route, MacOloch retrouve la parole et raconte aux deux héros que le chef d'un clan concurrent - Mac Abbeh - l'a éloigné pour mieux s'emparer de sa fiancée Camomilla. La mission du trio est simple : libérer Camomilla, triompher de Mac Abbeh l'infâme, qui a - en plus !!!! - pactisé avec les romains. Et pour ce faire, ils bénéficieront de l'aide d'une loutre géante - dixit Obélix - qui vit dans un Loch... suivez mon regard.

Pour la première fois depuis 1961, deux nouveaux noms apparaissent sur la couverture d'un Astérix. Didier Conrad au dessin, Jean-Yves Ferri pour les textes. Deux auteurs confirmés dans le monde de la BD choisis pour prendre la relève par Uderzo lui-même et par Anne Goscinny, fille de René. Ces dernières années, Uderzo ne travaillait pas seul sur les albums d'Astérix, loin de là, pourtant sa petite "armée de l'ombre" n'avait jamais eu les honneurs de la couverture. Mais avec ce 35ème opus, c'est bien un changement d'époque qui s'amorce : cette fois-ci le dessinateur "historique" d'Astérix a eu essentiellement un rôle de consultant.

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(c) Editions Albert René

Le dessin ? Sans surprise, Didier Conrad ne perturbera pas les habitudes des lecteurs assidus d'Astérix. Les 5 ou 6 premières pages paraissent un peu hésitantes, ce qui est tout à fait normal mais très vite, les visages, les mouvements, la pureté du trait "Uderzien" sont parfaitement maîtrisés. En lisant cette histoire, j'ai eu le sentiment de retrouver un peu le style graphique des albums plus anciens comme "Le Tour de Gaule d'Astérix" ou "Astérix et Cléopâtre" : il me semble qu'Astérix est plus petit, plus ramassé sur lui-même que dans les albums récents. Le retour du petit teigneux, quoi. Obélix, dont la taille s'élançait un peu plus - et un peu trop - à chaque nouvel opus, redevient cette belle boule de billard bien ronde, rayée blanche et bleue. Petite mention spéciale pour Agecanonix, plus gaga que jamais. Quant aux méchants personnages écossais, ils ont des têtes proprement ahurissantes, à se tordre de rire. De quoi satisfaire les vieux lecteurs comme moi qui s'étaient un peu éloignés des aventures du gaulois avec les derniers tomes. Le découpage et la construction des cases sont également très classiques et finalement fort respectueux du style d'Uderzo.

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(c) Editions Albert René

Quant à l'histoire... Lors de la sortie des derniers albums entièrement scénarisés par Albert Uderzo, la critique n'avait pas été tendre. "Le ciel lui tombe sur la tête" en 2005 par exemple s'était fait matraquer, cette histoire d'extra-terrestres débarquant dans le village gaulois avait au mieux dérouté les amoureux d'Astérix, au pire provoqué des remarques acerbes sur le thème "il manque décidément un scénariste aux côtés d'Uderzo". Pour ce 35ème album, la bonne nouvelle c'est qu'il y a un scénario solide et bien construit mâtiné de quelques éléments fantastiques. Ça ne tire pas à la ligne, pas une seconde on ne s'ennuie... de plus, c'est une excellente idée de faire voyager les gaulois pour ce "nouveau départ" car de tout temps, les meilleurs albums ont été ceux dans lesquels Uderzo et Goscinny s'amusaient des particularismes locaux : "Astérix en Hispanie", "Astérix chez les Bretons", "Astérix chez les belges" pour ne citer que ceux-là. Le voyage en Ecosse permet de renouer avec les gags référencés qui ont fait le succès d'Astérix auprès du public adulte. Les dialogues ciselés par Ferri sont un bel hommage à l'humour pince-sans-rire de Goscinny. Exemple : lorsque Panoramix s'interroge sur l'origine de Mac Oloch, il pense qu'il est "hibernien" (irlandais). Voyant les tatouages tribaux, Obélix lui répond d'un air grave : "Un décalcomanien, peut-être ?". Et puis au fil des pages, vous découvrirez "Buzz", le dieu écossais du bruit et des abeilles, et puis Mac Aye, Mac Ramp, Mac Reese, Mac Robiotik ou encore le centurion Taglabribus.

Lorsque des auteurs BD reprennent une série qu'ils n'ont pas créée, il faut toujours leur laisser un peu de temps pour s'approprier les personnages, s'émanciper de leurs illustres prédécesseurs puis commencer à apporter leur touche personnelle pour sortir d'un simple exercice de clonage. Conrad et Ferri ont parfaitement conscience de ce difficile exercice : ils ne prétendent pas avoir fait l'album parfait, mais ils me paraissent très bien armés pour faire vivre encore longtemps le petit gaulois. "Les Pictes" est respectueux du mythe Astérix et de tous les ingrédients qui font le succès de la série depuis 1959. Et cette nouvelle histoire - qui plaira évidemment aux enfants - devrait sans doute réconcilier Astérix avec le public adulte qui s'était éloigné de lui.

Et en cadeau, la première page d' "Astérix chez les Pictes" :

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(c) Editions Albert René

Les voyages intérieurs de Cosey

9782803633227-couv-I325x456La passion du Voyage et de l'Asie : depuis presque 40 ans, le dessinateur suisse Cosey a fait de ces deux thèmes le coeur de sa bande-dessinée. En 1975, il créé pour le journal de Tintin le personnage de "Jonathan", une série qui suit le périple d'un jeune baroudeur suisse et que l'auteur nourrit de ses propres voyages, réflexions, rencontres. Echappé d'un hôpital psychiatrique, Jonathan sillonne les routes sur sa moto à la recherche de ses souvenirs. Dans "Celle qui Fut", 16ème album de la série, Jon part à la recherche d'une amie d'enfance. C'est dans un marché du Sud de l'Inde qu'il reconnaît un mainate du nom de Garuda. Après avoir acheté l'oiseau qui parle, Jon décide de retrouver la jeune Indienne, propriétaire de Garuda : April, rencontrée vingt ans plus tôt. Jon n'a pas oublié le caractère extrême d'April, sa fascination pour Kâli, la déesse du temps et de la mort, et son mépris absolu de toute peur. April est à la recherche des documents qui lui permettraient de faire condamner le Tigre Rouge, l'assassin de ses parents. Une quête dangereuse... Mais elle pourra compter sur l'aide de son ami d'enfance.

Un dessin, des couleurs reconnaissables entre mille, une ambiance hors du temps : se plonger dans un album de Cosey est une expérience étonnante. Les amateurs de la philosophie orientale s'y sentiront à l'aise. Pour ceux qui n'ont jamais lu "Jonathan", il faut prendre le temps de s'imprégner de cet univers... savourer lentement la lecture et se laisser emporter.

A noter qu'il existe en ce moment deux expositions consacrées à Cosey : A Paris la Galerie Barbier & Mathon expose des planches originales au 10, rue Choron dans le 9ème arrondissement. Et à Bruxelles, même démarche à la galerie Champaka qui montre 27 planches originales de « Celle qui fut », une quinzaine d’aquarelles et les planches originales de précédents albums. Si vous n'allez pas jusqu'en Inde, Paris ou Bruxelles sont un peu plus accessibles 😉

Les premières pages de l'album sont à lire gratuitement ICI

"Celle qui fut" de Cosey, aux éditions "Le Lombard". 56 pages, 12 euros 

Une histoire made in Taïwan

seediq-baleUne bande-dessinée peut-elle provoquer une prise de conscience de tout un pays ? Changer les livres d'histoire, réconcilier une jeunesse avec son passé ? C'est ce qui s'est passé à Taiwan avec la BD de Row-Long Chiu : "Seediq Bale, les guerriers de l'arc-en-ciel".

Ce livre raconte un épisode de l'occupation de Taiwan par les japonais : la révolte de Wushe. En 1930, le Japon occupe Taiwan depuis 35 ans. Les terres sur lesquels vivent les Seediq (l'un des 14 groupes aborigènes) ont été déclarées "exploitations forestières". Les Seediq n'ont plus le droit de chasser, de cultiver, ils sont exploités à coups de bâtons par les japonais pour construire le village d'occupation de Wushe. Refuser d’obéir  c'est la mort assurée.

Après des années d'oppression, Ruda Mouna, le chef charismatique des Seediq prend la tête d'une rébellion  En octobre 1930, il réussit à rassembler les tribus des alentours et profite d'une fête sportive organisée par les militaires japonais pour massacrer ces derniers. Après des semaines de guérilla, l'armée finit par faire appel à son aviation et aux armes chimiques pour annihiler les Seediq. Cet échec fut pourtant considéré comme une victoire par les aborigènes : ils avaient retrouvé leur honneur, qu'ils emportaient avec eux dans la mort.

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"Seediq Bale, les guerriers de l'arc-en-ciel" - éditions Akata

La révolte de Wushe a été utilisé dès la fin de la 2ème guerre mondiale comme outil de propagande par le gouvernement nationaliste de Taïwan. Mais Row-Long Chiu (48 ans) est le premier à avoir effectué un travail encyclopédique sur la question. Il est LE spécialiste des Seediq et le premier à raconter leur histoire sous une forme qui a touché le jeune public taïwanais. Lors de sa publication en 1990, Seediq Bale provoque un engouement pour les tribus des montagnes de l'ile. Des cours de langue Seediq sont même instaurés à l'Université. En 2011, la BD est rééditée au moment où sortent deux films tirés de ce livre. Plus gros succès du box-office taïwanais depuis des années. La bande-annonce :

La BD arrive aujourd'hui en France pour la première fois. Avec beaucoup de finesse et d'exhaustivité, l'auteur raconte le style de vie ancestral des Seediq, leur traditions et leur rites : par exemple, un Seediq devient un homme le jour où il a coupé la tête d'un ennemi, le suicide est considéré comme une partie intégrante de la culture tribale (lors de la révolte, femmes et enfants se suicident pour libérer les guerriers de toute attache émotionnelle). A mon humble avis, le dessin n'est pas forcément le point fort de l'album mais ce petit regret est vite écarté par la richesse du récit et l'émotion qu'il véhicule.

Pour lire les premières pages (sens de lecture japonais) rendez-vous sur le site de l'éditeur AKATA, c'est ICI

"Seediq Bale, les Guerriers de l'arc-en-ciel" de Row-Long Chiu, éditions Akata. 302 pages. 23,50 €