Jésus revient, et il est en colère !

punkrockjesusLa culture populaire américaine nous surprendra toujours par sa capacité à affronter les yeux dans les yeux les démons qui rongent le pays de l’Oncle Sam. Le dessinateur et scénariste Sean Murphy livre dans « Punk Rock Jesus » une critique plutôt rafraichissante des médias américains et de la droite chrétienne jusqu’au boutiste.

« Punk Rock Jesus » se déroule dans un futur très proche, en 2019. Le directeur d’une société de production audiovisuelle décide de cloner Jésus Christ à partir d’ADN prélevé sur le Saint-Suaire. Une nouvelle « Sainte Vierge » - Gwen- est recrutée pour porter l’enfant. La jeunesse du nouveau messie - enfermé dans une ile ultra-sécurisée - va faire l’objet d’une émission de téléréalité suivie par 3 milliards de spectateurs.

Avec un cynisme assumé, le producteur va manipuler les comédiens de son « petit théâtre ». La nouvelle « Sainte-Vierge » est honnie par le public ? Rongée par le remords de s’être livrée à cette mascarade ? Il va scénariser sa descente aux enfers. La droite chrétienne - effrayée par le nouvel antéchrist - lance ses commandos à l’assaut de la cage dorée de Jésus ? Il les nargue, attise leur colère quand il se rend compte que ca fait grimper l’audience.

Mais il y a une personne qu’il ne va pas pouvoir contrôler : Jésus lui-même. Lorsque Gwen meurt en essayant de délivrer son fils de sa « prison », le jeune garçon s’échappe et va porter sa bonne ( ?) parole dans le monde grâce à son groupe rock punk. Il est protégé dans sa fuite par un garde du corps ancien combattant de l’IRA, qui espère racheter ses fautes et apaiser sa conscience en défendant le nouveau christ.

Le dessin nerveux, en noir et blanc, contribue à l’impression de tension extrême qui se dégage tout au long de cette bande-dessinée remarquable. Si le thème du « retour de Jésus » a été déjà traité de-ci de-là ( je pense notamment à « L’évangile selon Jimmy » de Didier Van Cauwelaert dont la trame est la même ) Sean Murphy pousse la réflexion à l’extrême. Il s’interroge sur la foi, sur son rôle dans la vie des individus et dans la société. Il explique dans la postface de l’ouvrage que « Punk Rock Jesus » a fait écho à ses propres doutes. Tout ça fait  vraiment de cet album un des incontournables de la rentrée BD.

LES PREMIERES PAGES SONT A LIRE ICI 

"Punk Rock Jesus" de Sean Murphy publié chez Urban Comics.  232 pages. 19€

A lire également "Off Road" du même auteur, chez le même éditeur. Une oeuvre de jeunesse de Sean Murphy.

"Les guerres silencieuses" de Jaime Martin

guerresDans "Les guerres silencieuses", l'auteur barcelonais Jaime Martin nous fait partager la vie des jeunes espagnols sous Franco. Il y a le service militaire de son père Pepico au coeur du Sahara espagnol en 1962. Trois ans de brimades, d'attente et d'arbitraire au coeur d'une "guerre silencieuse" qui voit Espagne et Maroc se disputer une grande partie du Sahara occidental. Guerre silencieuse car très peu d'informations filtreront à l'époque dans la péninsule ibérique. La BD raconte aussi l'histoire d'amour des parents de l'auteur. Une autre "guerre silencieuse" en quelque sorte pour les jeunes de l'époque qui doivent composer en permanence avec le poids des traditions familiales et de l'église catholique. La troisième "guerre silencieuse", c'est celle de l'auteur face à son sujet. Au fil du récit, Jaime Martin choisit de dessiner aussi la création de la BD, les réunions de famille d'où germe l'idée, les doutes du dessinateur sur l'intérêt de son sujet.

Après "Ce que le vent apporte", l'histoire d'un jeune médecin russe qui fuit la police tsariste en 1916 en se réfugiant au fin fond de l’Oural   puis "Toute la poussière du chemin", road-movie sombre sur fond de crise de 1929, Jaime Martin confirme son immense talent pour raconter des histoires simples et fortes et plonger le lecteur dans des univers à chaque fois différents et inattendus. En 1990, Jaime Martin a reçu le prix Révélation Auteur du 8e Salon international de BD de Barcelone, pour "Sangre de Barrio". En 1995, il a reçu le prix Historieta Diario de Avisos du meilleur scénario d'histoire réaliste pour "La Memoria Oscura". En 2008, le prix Mor Vran du Salon du roman policier et de la bande dessinée de Penmarch lui a été remis pour "Ce que le vent apporte".

Jaime Martin a eu la gentillesse de répondre à mes questions : 

Après "Ce que le vent apporte" et "Toute la poussière du chemin", vous avez choisi un thème plus personnel dans "Les guerres silencieuses" :  la jeunesse de vos parents et le service militaire de votre père au Maroc. Pourquoi ?

Depuis toujours, j'aime bien raconter des histoires dont les protagonistes sont des jeunes. Des jeunes à la limite (de la marginalisation, de l'abandon scolaire, etc), des jeunes en opposition au monde des adultes... D'autre part, mon père nous racontait toujours ses aventures africaines, depuis que nous étions gamins. Plus de 30 ans après, ma mère, mes frères et moi en avions ras le bol. C'est donc, par hasard, chez mes parents, autour de la table que j'ai décidé aborder cette histoire. Pour exorciser, d'une certaine façon, le service militaire de mon père.

Pourquoi avez-vous choisi de dessiner aussi la création de l'album, votre travail ? 

Je doutais tout le temps sur la façon d'aborder cette histoire. Au début, j'allais raconter seulement la partie militaire, puis j'ai ajouté la partie civile où j'explique, un petit peu,  la situation socio-politique. Un peu plus tard j'ai voulu représenter mes parents et leurs fils de nos jours, afin de montrer le contraste entre les différentes époques. J'étais troublé à cause de tout ça, j'avais peur de me tromper, de faire un album qui n'aurait aucun intérêt.Peut être que j'ai ajouté le processus de l'album pour exprimer mes doutes, pour montrer que ce n'est pas facile de faire une BD, pour avoir votre indulgence si ça ne marche pas.

Ce qui rapproche cet album des deux précédents parus chez Aire Libre, c'est la trame de fond "historique" : la révolution russe, la crise de 1929, ici la guerre d'ifni. Est-ce important de placer vos histoires dans un contexte historique ? 

Pas nécessairement. Pendant la fin des années 80 et au début des années 90, j'ai fait beaucoup d'histoires urbaines, inspirées par mes potes. Nous avions la vingtaine et je racontais, d'une certaine façon, ce que nous faisions le week-end (beaucoup de drogues, de rock and roll et presque rien au niveau du sexe). Mais, pour les jeunes qui ont la vingtaine aujourd'hui, peut être que c'est un vrai fond "historique" ! (assez récent, il faut le dire).

jaime tete

Pour lire les premières pages de "Les guerres silencieuses" (coll.  Aire Libre, Editions Dupuis) cliquez ici