Les chiffres incroyables de la BD en 2012

Comme chaque année, le secrétaire général de l'association des critiques et journalistes de bande dessinée, Gilles Ratier, publie les chiffres de l'année écoulée dans le secteur de la BD francophone. L'intégralité du rapport est disponible sur le site de l'ACBD. Cette année encore, le secteur est marqué par une augmentation du nombre de parutions (+4,28% par rapport à 2011) : 5 565 livres de bande dessinée ! Pour se rendre compte de ce que cela représente, il suffit de comparer ce chiffre à celui de l'année 2000 :

Sources : © Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD

Dans le détail, en 12 ans, les nouveautés ont été multipliées par 3,6 et les rééditions par 3,75 ! Le nombre de recueils ou d'essais sur la BD augmente en valeur absolue, mais régresse comparé à l'ensemble.

Sources : © Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD

Sur 5565 parutions, on compte 4109 nouveautés qui se répartissent de la façon suivante :

 Source : "2012 - Une année de bandes dessinées sur le territoire francophone européen" 
© Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD

Cette répartition tord le cou à quelques idées reçues : les romans graphiques représentent une part minime de la production même s'ils bénéficient généralement d'un très bon accueil critique. Malgré les nombreux clichés qui circulent encore sur ce genre, la bande dessinée asiatique fait presque jeu égal avec la bande dessinée franco-belge. Mais celle-ci est toujours en tête. Non, elle n'est pas vieillissante et se porte toujours bien. Il suffit de regarder le top 5 des tirages en 2012 : on y trouve... Lucky Luke et Blake et Mortimer, deux vénérables séries...

Source : "2012 - Une année de bandes dessinées
sur le territoire francophone européen" 
© Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD

"L'épouvantail" : meurtres à la campagne.

« L’épouvantail », c’est une couverture qui rappelle les affiches des films d’horreur de la Hammer. Pourtant ici, ce n’est pas de l’Angleterre du XIXème siècle dont il s’agit, mais de la Nouvelle-Zelande crasseuse et paumée des années 30.

« L’épouvantail », c’est Hubert Zalter un grand échalas sans âge qui débarque dans la petite ville de Klynham.  A coups de belles formules et de tours de magie, ce personnage inquiétant étend son emprise sur toute la bourgade et se lie d’amitié avec le croque-mort. Etrange ! Qui est-il vraiment ? Que veut-il ? Voilà de quoi épicer le quotidien monotone de Leslie et Neddy, deux ados  qui trainent leur ennui  dans cette « zone » qui devient le théâtre d’événements dramatiques.

« L’épouvantail », c’est l’adaptation d’un roman de l’auteur néo-zélandais Ronald Hugh Morrieson, un « oiseau de nuit marginal, décalé et amateur de boissons fortes » dixit l’éditeur. Jules Stromboni au dessin, Olivier Cotte au scénario nous livrent une bande-dessinée d’une beauté singulière. Tout jeune dessinateur, Jules Stromboni fait déjà preuve d’une grande maitrise. Il propose une grande richesse graphique avec une palette de couleurs restreinte :  jaune, noir, rouge. Les deux auteurs avaient déjà publié une magnifique adaptation de « l’ultime défi de Sherlock Holmes » de Michael Dibdin (un album encore plus sombre que celui-ci). On attend leur prochaine collaboration avec impatience.

"L'épouvantail" de Stromboni et Cotte dans l'excellente collection Rivages/Casterman/Noir. 18 euros. L'album est dans la sélection officielle d'Angoulême 2013, catégorie "Polar".

 

La bande dessinée s'invite au musée

 

Dans les musées, à la sortie d’une exposition, aujourd’hui les visiteurs ont le choix entre le catalogue… ou la bande dessinée. Les grands établissements nationaux développent des politiques éditoriales ambitieuses, sollicitent des auteurs de renom qui offrent à leur tour des approches très variées : un genre est en train de naître.

Au Louvre, les deux derniers albums publiés récemment en partenariat avec Futuropolis suivent deux chemins différents. Enki Bilal, lui, fait vivre « les fantômes du Louvre ». Dans la préface de son livre, il écrit :

 

C’est comme si au Louvre on respirait du fantôme. A chaque coin de galerie, dans chaque parcelle d’œuvre, dans tout ce que les yeux touchent, partout, dans et sur le parquet, dans les replis des murs, dans tout l’air qui colle au plafond…

 

Le dessinateur a donc choisi 22 œuvres. Et pour chacune, il imagine un homme, une femme, un enfant dont l’histoire est liée à la création de l’œuvre. Pour appuyer son propos, il superpose ces « fantômes » aux tableaux, aux sculptures. Ici, pas de bulles, pas de cases : on est à la frontière entre la bande dessinée et le livre d’art. Cela aurait pu paraître présomptueux de la part de l’auteur de « couvrir » les chefs d’œuvre du Louvre avec son propre dessin, mais c’est fait avec un grand respect, et c’est particulièrement réussi avec les sculptures.

L’album de Bilal est le huitième d’une collection de BD publiées par le musée du Louvre. Fabrice Douar, adjoint au chef du service des Éditions du musée du Louvre, est à l’origine du projet :

Fabrice Douar - Louvre Editions : "Au départ, notre idée n’est pas de devenir  éditeur de bandes dessinées. Ce qui nous intéresse, c’est l’échange entre les arts du Louvre et cet art qu’est la bande dessinée. Comme le musée possède un patrimoine artistique très riche, et que dans la BD il y a pléthore d’univers très variés, nous voulons les faire se rencontrer. Nous laissons aux auteurs une carte blanche, il n’y a qu’un seul « impératif » : quels que soient l’œuvre ou le département choisis au sein du musée, ils doivent faire partie intégrante du scénario."

Dans la même collection, exemple avec David Prudhomme, qui a choisi un autre point de vue dans « La traversée du Louvre ». Au centre de sa bande dessinée, il ne place pas les œuvres mais les visiteurs. Et il s’amuse à trouver des correspondances entre les postures de ces spectateurs et celles des sculptures ou des personnages représentés sur les toiles. Pour Prudhomme, le musée du Louvre est une sorte de BD géante, et il se promène avec un regard amusé au milieu du palais.

Du côté du Centre Pompidou, à l’occasion de la rétrospective « Dali », le très grand dessinateur Edmond Baudoin entraîne le lecteur sur les traces du peintre, sous la forme d’un roman graphique édité conjointement avec Dupuis dans la collection « Aire Libre ». L’album suit le fil d’une conversation entre un homme et une femme à propos de Dali. Baudoin s’empare des œuvres, les décortique pour expliquer qui se cachait derrière l’artiste. Au final, son « Dali » est une mine d’informations sur le peintre qui fut le premier à poser systématiquement sur la toile ses rêves et son inconscient.

Si la collaboration entre les musées et les auteurs est toute récente, elle apparaît aujourd'hui comme une évidence... un projet qui attire aujourd'hui de nombreux artistes.

Fabrice Douar : Au départ, c'est nous qui avons sollicité les auteurs. En ce moment, nous sommes en négociation avec Jiro Taniguchi. Et puis face au succès rencontré par la collection, désormais certains dessinateurs prennent l’initiative de nous contacter. Nous étions partis sur un cycle de 10 albums, mais face au succès rencontré, nous réfléchissons à 5 ou 6 titres supplémentaires.

Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants...

Infos pratiques :

Enki Bilal - "Les Fantômes du Louvre"- 144 pages - chez Futuropolis/ Louvres Editions

Exposition des dessins de Bilal du 20/12/2012 au 18/03/2013 au Musée du Louvre, Aile Sully.

"Dali par Baudoin"- 160 pages - Editions Dupuis

Exposition des plus beaux dessins originaux de cet album du 21/11/2012 au 24/03/2013 au musée de la Bande dessinée d'Angoulême.

L'Infatigable Yoko Tsuno

Yoko et Emilia reçoivent une étrange visite. Un notaire vient leur annoncer que l'arrière-grand-tante d'Emilia lui a légué son cottage... pour la remercier de lui avoir sauvé la vie en 1935 ! De fait, Yoko et à Emilia voyagent jusqu’en 1934 pour lui porter le remède contre la tuberculose dont elle souffre. Sur place, elles auront affaire à des comploteurs russes et une étrange pierre précieuse au pouvoir maléfique.

Le maléfice de l’améthyste est le 26èmetome des aventures de Yoko Tsuno apparue en 1970. Après 40 ans d’existence,  l’électronicienne est toujours aussi populaire chez les lecteurs de tous âges. Pourquoi ?

Des nouveaux personnages

Au fil des années, à part l’héroine elle-même, les personnages de la série ont été régulièrement renouvelés. Une façon de raviver en permanence la curiosité des lecteurs. Et d’éviter que les scénarios ne tombent dans la routine. Le « trio de l’étrange »du premier album Yoko/Pol/Vic a laissé la place à une demi-douzaine de personnages secondaires que l’auteur fait apparaître au fil des aventures selon les nécessités de l’intrigue.

Au risque d’ailleurs d’en faire des personnages fades qu’on aimerait plus développés. Dans un album, Yoko adopte une petite fille chinoise qui n’est plus qu’une ombre dans les albums suivants. Dans une autre histoire Pol – un des héros d’origine  - épouse Mieke, une jeune femme venue du passé. Depuis, elle apparaît épisodiquement.

Tous ces nouveaux personnages sont des femmes ou des jeunes filles. C’est l’autre grande évolution. A l’origine, en 1968, Yoko Tsuno c’était « Action et Hard-Science », avec quelques passages sur l’amitié, la fidélité, le respect de la vie. Yoko était un garçon manqué qui voulait prouver qu’elle était l’égale des hommes. A gros traits : une série pour les garçons  mais qui pouvait plaire aux filles.

Des nouveaux lecteurs

Au fil des aventures, le caractère de l’héroine s’est adouci. Les sentiments, l’amitié, les relations humaines ont pris le dessus, la science-fiction est surtout une toile de fond. En grossissant le trait encore une fois, en 2012 « Yoko Tsuno » est une série pour les filles mais qui peut plaire aux garçons. Féministe toujours, mais d’une autre façon.

Et puis rendons à César ce qui lui appartient : à 79 ans, Roger Leloup fait vivre avec passion la seule BD tous publics de Science-Fiction. En inventant les Vinéens, humanoïdes à la peau bleue bien avant Avatar, l’auteur a créé une civilisation extra-terrestre crédible et une flotte de vaisseaux spatiaux dont le trait n’a pas vieilli en 40 ans.

L’exil des Vinéens de Vinéa vers la Terre puis leur retour sur une planète dévastée, la recherche des « colonies perdues » est une source inépuisable d’aventures spatiales (pas assez exploitée au goût de certains lecteurs). Par ailleurs, la ficelle est un peu grosse mais l’apparition d’une machine à voyager dans le temps dès le 11ème album en 1981 a permis d’élargir les possibilités d’histoire. Bref, après 40 ans, la série « Yoko Tsuno » a toujours un potentiel énorme. Un gage de qualité.

Trois sites à consulter :
Crayonné tiré du Tome 25 : "La servante de Lucifer"