Le propos anti-féministe a, croit-on, toujours plus de poids quand il est porté par une femme.
On en trouvera toujours une, plusieurs même, pour dire que le sexisme est une illusion, qu'elle ne l'a pas croisé, que la vision qu'on en donne est quand même très exagérée. Qu'elle n'est pas parano comme ces autres hystéros. Qu'elle n'est pas victimaire, non plus. Voire que ce qui l'insulte, c'est qu'on puisse la supposer a priori objet de l'insulte, parce que femme. Qu'elle n'a pas besoin de la parité, moins encore de quotas, qu'elle n'appartient pas à une minorité, d'abord, et que la discrimination positive (pouah-ah-ah), ça tire vers le bas, n'encourage pas à faire valoir ses propres qualités, à prendre légitimement sa place après s'être personnellement battu-e pour. Pour dire encore que l'égalité, si ça signifie devenir un homme, voire pire qu'un homme, ben, non merci. Et puis que, quand même, ça a du bon, les rapports femmes/hommes traditionnels, pas désagréable de se faire tenir la porte ni de se faire draguer (ce dont on se rend compte quand ça n'arrive plus, c'est bien connu). Et bien sûr qu'il n'y a pas plus peaux de vache que les femmes entre elles. Etc. Etc. Etc. La liste est longue...
Un empilement de topoï anti-féministes
Interviewée par Atlantico, Michèle Alliot-Marie s'est goulûment prêtée à ce petit jeu. Ne se choquant pas qu'on lui pose, pour commencer, une question aussi sexiste en soi (et tarte à la crème) que "les femmes font-elles de la politique autrement que les hommes?", elle les a donc (presque) tous empilés, ces topoï anti-féministes qui ne servent à rien, sauf à discréditer la pertinence du sujet de l'égalité :
- déni de la sous-représentation des femmes en politique : "Les femmes sont proportionnellement plus nombreuses à s’occuper d’élections locales, notamment du fait du texte sur la parité, et les sondages montrent que les Français sont moins critiques à l’égard des maires qu’ils ne le sont à l’égard des élus nationaux." (comprendre : non seulement, nous ne sommes pas si rares à avoir des responsabilités politiques - et c'est bien sûr grâce aux lois sur la parité plutôt qu'à nos talents et notre force de conviction qu'on le doit -, mais de surcroît, nous prenons en fait les meilleures places, celles qui offrent une vraie popularité, là où les Français-es sont sympas avec nous. Restons donc à l'échelon local, les filles, puisque c'est bien le plus confortable).
Cette déclaration légèrement hasardeuse sera suivie, plus loin dans l'entretien, d'un chiffre fantaisiste visant à affoler les foules que panique la perspective d'une domination féminine : "Dans un certain nombre de pays nordiques, les femmes représentent jusqu’à 80 % des membres du gouvernement." (Le pays nordique étant aux questions de genre en 2014, ce qu'était l'ascenseur américain aux débats sur le harcèlement sexuel dans les années 1980). Euh... Juste, Mimi, tu pourrais nous dire dans quel pays nordique exactement, tu as compté 80% de femmes au gouvernement? Parce que la rédaction des Nouvelles News a compté, et, en fait, il n'y a qu'en Suède où il y a plus de femmes que d'hommes dans l'exécutif et cette furieuse domination culmine en l'occurrence à... 54% de femmes ministres! Mazette!
- stéréotype des femmes-vachardes-entre-elles : "Beaucoup de femmes sont plus misogynes que les hommes" (le journaliste qui a édité l'article met ça en gras, c'est quand même une idée sacrément forte et jamais vue, avec ça!)
- mythe de la féministe effarouchée, ultra-réactive, bêcheuse et mal-baisée (en vue d'une justification de la drague lourde) : "Il ne faut pas non plus faire des fixations et jouer les féministes effarouchées comme dans certains pays, un sifflet admiratif pour une femme n’est pas nécessairement désagréable." (Pas nécessairement, non. Certaines femmes aiment ça. D'autres, non, à qui ça fait violence et à qui ça donne plus le sentiment d'être traitée en chienne qu'en humaine, et moins le sentiment d'être "admirée" que d'être réifiée. Enfin ce doit sans doute être des "effarouchées". N'écoutons pas ce qu'elles ressentent, elles sont d'emblée disqualifiées).
- revalidation des critères légitimes de la reconnaissance : "Il faudrait voir les choses beaucoup plus simplement, c'est-à-dire se concentrer uniquement sur les compétences, sans tenir compte du sexe" (re-gras du journaliste, parce que quand même, là, on tient une idée franchement subversive). (Retenir : la compétence est donnée, tout le monde sait ce que c'est, ça n'a rien de socialement construit, ce n'est jamais défini dans des entre-soi protecteurs de leurs positions, ça ne fabrique jamais de la reproduction, ça ne participe jamais à rendre invisible le talent de celles et ceux qui ne sont pas normé-es ni introduit-es dans les bonnes sphères de la reconnaissance sociale.)
- dézinguage en règle des quotas par la dévalorisation de principe de celles et ceux qui pourraient en bénéficier : "J’estime que les quotas ont une utilité pour le lait ou pour les vaches, mais qu’ils ne sont pas faits pour les humains." (toujours en gras, l'intervieweur est manifestement au bord de l'orgasme. Les vaches, pendant ce temps, paissent paisiblement ou bien ruminent sévèrement, allez savoir.)
- inévitable exercice de mauvaise foi sur la "théorie du genre" : "On se positionne dans une logique d’uniformisation générale consistant à dire que tout le monde serait exactement pareil." (mais oui, Mimi, toutes et tous les chercheuses et chercheurs qui depuis plus de trente ans bossent sur les effets sociaux de l'appartenance à un genre, les stéréotypes sexistes et les inégalités qui en découlent sont en fait de grand-es imbéciles qui n'ont pas repéré qu'il pouvait y avoir des différences biologiques entre femmes et hommes et qui, comme toi, ne savent pas non plus que le contraire d' "inégalité", c'est "égalité" et non "différences")...
Pourquoi pas un "Ministère des droits des hommes"?
J'ai volontairement laissé de côté jusqu'ici un dernier extrait de cet entretien qu'on qualifiera sans emphase (et presque sans ironie) de formidablement éclairant et magnifiquement porteur d'idées innovantes sur les questions d'égalité femmes/hommes. Cette phrase que je me suis réservé pour la fin, la voici : "Peut-être faudrait-il un ministère du droit des hommes ?".
A l'approche de la Journée Internationale des Droits des Femmes qui immanquablement, chaque année, réveille le serpent de mer de son utilité, de sa pertinence et de son équivalent au masculin (rappelons que la Journée Internationale de l'Homme existe et que chacun-e peut se faire son avis sur ses inspirations), voilà enfin un vrai sujet (là, je ne plaisante pas), voilà une vraie question dynamique à explorer : parce que si je crois dur comme fer qu'il faut une volonté politique et un cadre institutionnel avec des moyens pour traiter des questions d'égalité femmes/hommes, je ne cesse de m'interroger sur la désignation "Ministère des droits des femmes". Certes, cet intitulé a le mérite d'être clair, on voit tout de suite de quoi il est question, on en cerne d'emblée le périmètre de l'action. Mais il me semble qu'il a trois défauts :
1) La dénomination "Ministère des droits des femmes" semble adresser précisément aux femmes la question de leurs droits et celle de l'égalité (notons au passage que jamais un homme n'a occupé le poste jusqu'ici). Ce faisant, elle fait aussi porter la responsabilité de ce sujet aux femmes : il semble que c'est à elles de se battre pour défendre et promouvoir leurs droits et non à la société toute entière de se préoccuper de les rendre effectifs. Ce qui signifie aussi qu'en cas d'échec, la balle reste par défaut dans leur camp : elles ont un ministère rien que pour elles, des moyens donc et des lois dédiées ; si avec tout ça, elles n'y arrivent pas, c'est soit qu'elles s'y prennent comme des manches, soit qu'il n'y a rien à faire, que ça ne changera pas.
2) Le second défaut de cette dénomination "Ministère des droits des femmes", c'est qu'elle appelle effectivement en creux son vrai-faux miroir dérobé. C'est le "Pourquoi pas un Ministère des droits des hommes?" suggéré grossièrement par Michèle Alliot-Marie. Paradoxalement, cette mise en lumière du besoin (réel et juste) de défendre les "droits des femmes" vient questionner en retour, dans un réflexe dialectique commun, ce que seraient les "droits des hommes" comme ce que sont les injustices qui leur sont faites. Ca vient alors labourer le terreau d'une logique oppositionnelle qui entraîne avec elle des battles de chiffres à géométrie variable (mon pourcentage de femmes battues contre ton pourcentage d'hommes SDF, mon taux de femmes élevant seules leurs enfants contre tes cas de pères privés de la garde des leurs...), de concours de victimisation aussi caricaturaux que stériles (caissière de supermarché, ça doit accorder plus ou moins de points de pénibilité que couvreur exposé aux intempéries? Homme battu et honteux de l'être, c'est pire ou pas que femme violentée qui peut bénéficier du dispositif "téléphone grand danger"? Femme au foyer, c'est privilège d'être entretenue pendant que Monsieur se tue au turbin ou bien objet d'un jugement hâtif sur la vie sociale prétendument étriquée de celles qui en ont fait le choix ou s'y sont résolues). Et de perdurer l'idée que le destin des femmes comme celui des hommes, quoique différent, en fin de compte, se vaudrait... Mais qu'il y a de toute façon un destin pour chaque genre, avec ses bons côtés comme ses mauvais. Un lot à prendre, tel quel?
3) Et c'est bien là, le troisième défaut que je trouve, non pas au fait qu'un tel Ministère existe (je dis et répète que je le pense hautement nécessaire et que de surcroît j'en salue aujourd'hui l'excellent boulot) mais seulement à son nom : en attribuant le sujet au domaine des "droits des femmes", il semble supposer que celles-ci auraient des droits spécifiques, quand, dans la réalité il s'agit seulement de faire ce qu'il faut pour qu'elles soient effectivement traitées avant tout comme des humains à part entière, à égalité des hommes et avec les mêmes droits réels que tous (ce qui n'est aujourd'hui pas le cas, sauf à vouloir absolument rester dans le déni de réalité). On peut alors oublier que femmes et hommes, nous sommes confronté-es, en fait, à un seul et même problème : le sexisme (et tous ses effets en termes de violences, d'inégalités). Qu'il soit dégradant ("les femmes feraient mieux de retourner à leur casserole", "les hommes ne savent pas faire deux choses à la fois") ou bienveillant ("les femmes sont plus conciliantes", "les hommes ont naturellement de l'autorité"), le sexisme vient toujours nous enjoindre de nous conformer à une vision restreinte de notre genre, à des critères incontournables de notre féminité ou de notre masculinité. Or, j'ai la conviction que même si, majoritairement et en l'état actuel des choses, cette prégnance du sexisme dans nos représentations joue dans les faits plutôt en faveur des hommes, ce n'est pas un avantage de principe pour eux. Car je crois au contraire que les hommes ont, au fond, comme les femmes, tout intérêt à l'égalité. Cette égalité qui donne à chacun-e la chance de devenir qui elle ou il est et d'entretenir avec ses semblables, les humain-es en général quel que soit leur genre, des rapports de curiosité, de respect et d'altérité.
Alors, ce Ministère, je voudrais bien le voir un jour renommé tout simplement "Ministère de l'égalité entre femmes et hommes". Rien que, déjà pour commencer, afin de nous éviter les digressions vaines d'une Michèle Alliot-Marie qui s'honorerait à dépasser le stade des clichés et affirmations simplistes sur le sujet pour tenter d'y apporter un peu de substance, de profondeur et de dynamique. Ce qui n'est pas spécialement dans son rôle de femme, mais relève à coup sûr de son devoir de personnalité politique.