C'est une manifestation plutôt discrète, en tout cas en France. Elle fait plus de bruit dans le monde anglo-saxon. Reste que, contrairement à ce que disent chaque année un certain nombre de détracteurs et détractrices du 8 mars, la Journée Internationale de l'Homme existe bel et bien. Depuis 1999, elle est célébrée chaque année le 19 novembre. C'était donc hier.
Ses intentions sont louables. Un texte de 2009, faisant office de statuts, parle de :
- promouvoir des rôles modèles masculins positifs, qui ne soient pas que des sportifs ou des stars de cinéma. Disons-le sans ambages, je suis POUR. Pour tous les modèles positifs, qui qu'ils soient et d'où qu'ils viennent, hommes ou femmes, qui peuvent inspirer à chacun-e l'envie de se tirer vers le haut. Restera à définir, hors clichés et préjugés, ce que sont des modèles positifs genrés, hommes ou femmes. Hors clichés ou préjugés, ça va être un peu chaud, dès lors qu'on parle de "modèles masculins", il va falloir décrire les critères de la "masculinité positive" (ça vaudrait aussi pour des "modèles féminins", s'entend).
- valoriser la contribution des hommes à la société. Là encore, je ne vois pas d'opposition de principe à cette intention fondamentalement positive qui vise à porter de temps à autre le regard sur ce qui va bien et sur celles et ceux qui oeuvrent à ce que ça aille encore mieux plutôt que sur tout ce qui constitue motif de colère, de déception, de malveillance. Il n'empêche que pour se rassurer sur la valorisation de la contribution des hommes à la science, à l'histoire des idées, à l'art, à la paix, il suffit de regarder, par exemple la liste des Prix Nobel qui ont été décernés à des messieurs ou celle des personnalités reposant au Panthéon.
- promouvoir la santé et le bien-être des hommes dans toutes les dimensions de leur existence (physique, émotionnelle, sociale...). Qui peut être contre le fait que chaque individu puisse accéder à la santé et au bien-être? Se défend aussi l'idée qu'à l'instar de celle des femmes, la santé des hommes a ses spécificités et qu'effectivement, la prévention des cancers des testicules ou de la prostate (entre autres exemples) mérite de vrais efforts. Je serais plus réservée sur d'éventuelles spécificités du bien-être moral, social ou émotionnel des hommes. Je crains qu'on s'aventure là sur les terrains hautement dérapants du stéréotype de genre qui pourrait, au hasard, légitimer des notions telles que l'irrépressibilité du besoin sexuel masculin, le bon droit au repos du guerrier ou l'incapacité à être multi-tâche. mais je ne voudrais être mauvaise langue, puisque le point suivant vise à :
- dénoncer les discriminations de genre dont sont victimes les hommes et lutter contre les assignations sociales dont ils font l'objet. Pour moi qui suis convaincue de longue date que le sexisme ne réussit à personne et que les hommes ont autant intérêt que les femmes à lutter contre, c'est une bonne nouvelle que cette déclaration de guerre aux stéréotypes (même aux stéréotypes en apparence bienveillants comme l'injonction faite aux hommes de se montrer forts, braves, puissants et successful qui sont le socle de ce qu'Antoine de Gabrielli appelle le "plancher de verre"). Je suis encore prête à entendre ce que disent certain-es des discriminations dont les hommes font l'objet dans certains milieux : vus comme des bêtes curieuses, voire soupçonnés injustement de tentations perverses quand ils aspirent à travailler dans les métiers de la petite enfance ; éventuellement raillés ou carrément fuis par les patientes quand ils voudraient embrasser la profession de sage-femme ; renvoyés à des "tendances homosexuelles" quand, de façon plus générale, ils expriment des aspirations traditionnellement classées du côté de l'univers des femmes... Je connais aussi les chiffres de la prépondérance masculine dans la population pénitentiaire, j'ai entendu parler des violences domestiques contre les conjoints et je me crois encore assez au fait des débats sur la privation de garde d'enfants dont se plaignent des pères (même si à mon sens, quand ils montent en haut des grues pour crier au scandale "le juge est une femme", ils se trompent d'ennemi). Donc, sans nier l'existence d'injustices faites à des hommes, je pense qu'il est parfaitement stérile de renvoyer la question des discriminations sexistes dont nous pouvons tous et toutes faire l'objet à une éternelle et fantasmée guerre des sexes. Sauf bien sûr, à vouloir glisser gentiment mais sûrement du côté d'une dérive masculiniste et anti-féministe, ce dont certains promoteurs de la Journée Internationale de l'homme ne se sont bizarrement pas privés, comme le souligne avec pertinence la rédaction des Nouvelles News.
Seuls les deux derniers points des statuts de l'organisation qui coordonne la Journée Internationale de l'homme me paraissent parfaitement incontestables :
- améliorer les relations entre femmes et hommes et promouvoir l'égalité. Oui, oui, oui, et re-oui, nous avons besoin que les hommes s'engagent (aussi) en faveur de l'égalité. Parce que c'est leur intérêt, certes, comme je l'expliquais un peu plus haut dans mon paragraphe sur le poids des stéréotypes et des normes qui pèsent aussi sur eux, mais avant cela, parce que l'égalité est un principe catégorique de justice qui exige l'établissement de droits la garantissant tout en combattant la protection d'intérêts particuliers non justifiés et/ou contraires à l'intérêt général (oui, oui, tout est dans la distinction, voire la tension entre les notions de "droits" et "d'intérêt") ;
- participer à bâtir un monde meilleur où chacun-e pourra se sentir en sécurité et déployer tout son potentiel. Rien à redire, je vois même dans cette déclaration une parfaite légitimation de tout ce qui encourage les femmes à exprimer et réaliser leurs ambitions et favorise leur accès aux responsabilités, thème qui m'est cher s'il en est.
Alors, la Journée Internationale de l'Homme, si on évacue les interprétations masculinistes, anti-féministes et/ou victimaires que certain-es en font, est-elle le pendant nécessaire ou bien le doublon de la Journée Internationale des Droits des Femmes?
A cette question, j'aurais envie de répondre que toutes les bonnes volontés étant bienvenues, une seule journée pourrait effectivement suffire à rassembler tous et toutes celles et ceux qui rêvent d'en finir avec le sexisme, le patriarcat et le machisme et toutes les injustices et violences qui en découlent. S'il faut trouver un terrain neutre pour cela, oublions et le 19 novembre et le 8 mars, choisissons une autre date. Changeons aussi de dénomination au besoin, ne l'appelons plus Journée de l'un ou l'autre sexe, mais nommons-la par exemple, Journée Internationale de Lutte contre les Violences de Genre (par exemple, j'ai dit, vos suggestions sur ce point sont évidemment opportunes). Au passage, ça pourra nous permettre de sortir et du raccourci insupportable qui fait parler de "Journée de LA femme" ou de "L'homme" (je n'ai jamais rencontré LA femme ou L'homme, mais je côtoie tous les jours DES femmes et DES hommes) et de leur cortège de niaiseries sur la fémiiiiiiiniiiiité toute en talons aiguille, rouge à lèvres et fleurs coupées comme sur la mascuuuuuliniiiiiité, toute en poil, ballon rond et poing fermé (si vous voyez vers quelle affiche mon regard se tourne...)