La parité, c'est un peu comme tout ce qu'on dit vouloir faire de fou dans la vie et dont on ne se donne (pratiquement) jamais les moyens : plaquer sa vie de dingue en ville, changer radicalement de job, arrêter de se disputer pour les mêmes éternelles futilités avec son conjoint, remplacer l'ampoule grillée dans le grenier pour ne plus se cogner le petit orteil à chaque fois qu'on y va chercher un bidule ou un machin.
La parité, on est en général plutôt pour, sur le principe en tout cas, parce que si on y réfléchit un peu, la mixité et la diversité, ça aide pas mal en toutes choses. Mais la parité, quand ça devient concret, quand ça implique de se bouger pour de vrai pour transformer les habitudes, ça peut attendre demain, voire après-demain, voire jusqu'aux calendes grecques. Un peu comme le reste, en fait : tant que la vie de dingue en ville n'a pas rendu complètement fou, tant que le job stressant n'a pas provoqué de vrai burn-out, tant que les asticotages de couple ne finissent pas chez l'avocat, tant qu'on ne s'est pas cassé la patte à cause d'une malheureuse ampoule grillée au grenier, pas si facile de faire le petit (ou moins petit) effort qui peut pourtant tout changer.
Oui, la parité est un effort. Pour les hommes... Et pour les femmes, aussi!
La parité, c'est un effort, en effet.
Un effort pour les hommes, qui doivent accepter de "laisser" la place qu'ils ont prévu de conquérir (et qui n'est pas toujours la "leur" quoique d'aucuns entretiennent un certain rapport de possession, voire de territoire, au mandat brigué) et pour laquelle ils se battent souvent depuis plusieurs années.
Un effort pour les femmes, aussi, qui doivent exprimer plus clairement leurs ambitions, apprendre à mieux valoriser leur talent, oser davantage assumer leur envie d'exercer le pouvoir, ne plus reculer pour mieux sauter quand l'opportunité leur est donnée de se lancer.
C'est encore un effort pour les partis qui doivent s'organiser différemment, repenser leur culture et revoir leur organisation de façon à se rendre plus accueillants pour les femmes, à la fois en tenant compte de leurs multiples contraintes professionnelles et familiales (que celle qui a le courage d'aller à une réunion de parti après avoir torché-baigné-nourri-couché les petits jette la première pierre à l'incapable que je suis!) et en promouvant d'autres manières de faire de la politique, d'autres comportements de leaders, d'autres parcours d'accès aux responsabilités. Sans quoi, ils continueront à prétendre que "des femmes, ils adoooooooreraient en mettre en première ligne, sauf qu'ils n'en ont pas sous la main, comme c'est dommaaaaaaage".
Que la parité rencontre des résistances est une chose...
Alors, la parité, parce qu'elle bouscule fondamentalement la culture politique établie, rencontre aussi de vraies résistances.
Certaines méritent qu'on s'y arrête, comme celles qui posent le problème de la réelle valorisation des femmes quand il faut les "discriminer positivement" pour leur permettre d'accéder au pouvoir. Toutefois, les politiques de quotas ont partout révélé leur efficacité, en offrant des modèles de réussite motivants pour d'autres femmes qui ne ressentent plus le besoin, alors, de ce marche-pied pour oser exister dans la sphère politique. Les "femmes-quotas" sont aussi des femmes pionnières, qui tracent le chemin pour d'autres. Ca compte.
On peut aussi discuter de la gêne que ressentent certaines et certains quand les femmes semblent renvoyées par les objectifs de parité à leur seule identité de genre, au mépris de la mise en avant de leur talent. Qui a envie, en effet, de n'être reconnu-e que pour son sexe de naissance? Néanmoins, les femmes qui prennent des responsabilités ne sont d'expérience pas plus mauvaises que les hommes, ce qui va dans le sens de la véritable égalité au fond : que l'on ait le droit d'être brillant quelque soit son sexe, mais qu'on puisse aussi être également médiocre. Car ce sont des choses qui arrivent, aux femmes et aux hommes.
... Que la parité suscite des réactions de misogynie primaire, pas question!
Mais il est aussi des réactions hostiles à la parité qui sont proprement inaudibles.
A cette catégorie appartiennent les propos d'une misogynie primaire qui ont fusé aujourd'hui au Sénat lors de la discussion sur le projet de loi visant à instaurer le scrutin binominal paritaire aux cantonales. L'idée est loin d'être bête, puisqu'elle règle en partie la question du "sacrifice" des carrières masculines en suggérant que deux candidats, un homme et une femme, forment systématiquement un ticket pour cette élection. Les femmes en tête de liste ne "priveraient" alors plus les hommes qui aspirent à cette position puisque la place de numéro 1 serait précisément partagée à égalité.
Sauf qu'un certain nombre de parlementaires n'ont pas pu s'empêcher de ricaner (dans le meilleur des cas) ou de verser dans l'insulte et le mépris à l'égard de leurs consoeurs durant ce débat : un "gadget" que ce mode nouveau de scrutin selon l'UDI Hervé Maurey, un "gadget" qui fera des femmes des "potiches" ajoute-t-il, pour témoigner plus clairement encore à travers ce dédaigneux terme de l'estime dans laquelle il tient les éventuelles co-candidates de son parti aux prochaines cantonales.
Tandis que la sénatrice Laurence Rossignol prend la parole, le gros lourd de service, en la personne de Bruno Sido demande tout haut "C'est qui, cette nana?". Non, non, pas "D'où vient cette élue? A quel parti appartient cette responsable politique de premier plan?", mais "C'est qui, cette nana?". On est où, là, dans la Chambre Haute du Parlement français ou au bistrot du coin à une heure tardive et avinée? Et un autre sénateur de surenchérir en lançant à Laurence Rossignol un "Calmez-vous!" qui fleure mauvais l'incontournable présomption d'hystérie à laquelle toute femme qui s'exprime un peu fermement n'échappe jamais vraiment.
L'hystérie n'est peut-être pas du côté que vous croyez...
Peut-on, messieurs les sénateurs, messieurs les élus, messieurs les dirigeants politiques, s'il vous plait, parler intelligemment de parité? Peut-on s'épargner l'ambiance de vestiaire, les rires gras, les invectives machistes et les raccourcis méprisants à chaque fois qu'il est question de promouvoir les femmes et de partager mieux les responsabilités? Peut-on vous demander, à vous, de vous "calmer" sur ce sujet, car si hystérie il y a ici, ce n'est pas forcément du côté que vous avez l'air de penser...