D'une "théorie du genre" qu'ils font semblant de mal comprendre...

figaroLe Figaro s'en frotte les mains, que dis-je, s'en lèche les babines, ce matin : les agité-es de la Manif Pour Tous reviennent en "saison 2" avec un "nouveau cheval de bataille" et ça promet : à la rentrée, ils entreront officiellement en guerre, milices de parents outrés et "comités de vigilance" en ordre de marche contre ce qu'ils appellent la "diffusion subreptice" de la "théorie du genre" dans les crèches et les écoles.

Non, non, ce n'est pas une "diffusion subreptice", c'est un projet assumé de société

Pourquoi "subreptice", d'abord? La volonté politique est claire, et on ne va pas s'en plaindre. Il s'agit de combattre les stéréotypes sexistes à la racine, là où ils se fondent, dans une primo-éducation qui brasse l'amour sincère (et le désir légitime de socialiser nos enfants et de les accompagner dans la construction de leur identité) avec les injonctions normées (et tout ce qu'elles contiennent et fabriquent d'interdit d'être soi et de s'aimer, en faisant seulement accepter ses singularités par la société).

2214114Il n'y a rien de "subreptice" dans ce projet : l'intention est affichée, en particulier dans le projet de loi-cadre sur l'égalité entre les femmes et les hommes, de travailler sur les mentalités, car c'est bien dans cette nébuleuse socio-culturelle baignée d'héritage historique, politique et religieux, que nous puisons tous et toutes, à notre insu le plus souvent et même parmi les plus sensibilisé-es d'entre nous, des certitudes-réflexes sur ce qu'est et doit être un homme ou une femme.

"Tu sais ce que ce sera?" "Un enfant, j'espère!"

images-1Homme ou femme? Ca nous parait si banal comme question que nous y répondons dès avant la naissance d'un nouveau petit humain.

"Et tu sais ce que c'est?", demande-t-on au futur parent qui s'égaie en annonçant la venue prochaine d'un bébé. Enceinte, j'avais pris l'habitude de répondre "un enfant, j'espère", décevant celles et ceux de mes interlocuteurs qui s'attendaient à ce que je transforme la vérité bio-génétique d'un caryotype ("un individu XX" ou "un individu XY" car je ne savais alors rien de plus des traits, du tempérament, des goûts de l'être qui poussait dans mon ventre) en catégorie sociale ("une fille" ou "un garçon", avec tout ce que l'on imagine dès cet instant de ce à quoi ressemblera cet-te enfant, dans quels vêtements il ou elle s'habillera, quelle sera sa coupe de cheveux et quels seront ces jeux, de quoi seront faites ses relations avec sa maman et son papa, quelles ambitions il ou elle nourrira et quels projets il ou elle engagera etc.).

Distinguer le sexe du genre, pour distinguer le prétendu "naturel" des constructions socio-culturelles

65638838Voilà, c'est juste ça, mesdames et messieurs les hérissé-es d'une "théorie du genre" que vous faites semblant de mal comprendre!

Distinguer le sexe du genre, c'est juste faire une utile différence conceptuelle entre ce qui relève du sexe génétique (lequel est d'ailleurs bien moins binaire que vous ne l'imaginez, même si on ne va pas entrer ici dans les détails histoire de ne pas trop vous embrouiller) et ce qui appartient au genre socialement construit, c'est à dire à tout ce qu'on attribue, d'emblée, de caractéristiques flatteuses ou moins flatteuses, à chaque sexe ("les filles sont calmes et douces", "les garçons sont turbulents et maladroits", "les filles sont pleurnichardes", "les garçons savent serrer les dents", "les femmes ont un sens de l'orientation déplorable", "les hommes ne savent pas faire plusieurs choses à la fois", "les femmes ont la fibre littéraire", "les hommes font de bons scientifiques"...) et qui fait le lit bien garni du sexisme.

Le sexisme, une perte de chance

Le sexisme ne fait de bien à personne. Il est toujours, pour tous et toutes, une perte de chance. Il réduit le potentiel de déploiement de toutes les facettes d'une personnalité à ce que les attentes sociales prévoient et légitiment. Il dresse des barrières symboliques (mais d'une dureté implacable) sur le chemin de la construction de sa propre authenticité. Il élabore tout un code de règles non écrites (mais néanmoins autoritaires) qui entravent la seule vraie liberté fondamentale de chaque individu qui ne fait tort à aucun autre : celle d'être soi. Il autorise officieusement (mais cependant résolument) à oeuvrer au redressement par la collectivité de celles et ceux qui expriment des particularités qu'on ne leur a pas assignées, au travers du jugement, de l'insulte ou de la menace.

arton559Le sexisme exerce une vraie violence, oui, et plus seulement figurée, quand il justifie la répartition genrée des rôles, quand il agrée la réification des femmes en en faisant un argument publicitaire, quand il donne sinon des excuses, à tout le moins des explications à la violence conjugale en assimilant passion et possession patriarcale, quand il permet d'examiner le comportement "adéquat" ou pas d'une femme sexuellement agressée aux fins à peines cachées de la co-juger de ce dont elle est victime, quand il banalise l'injure homophobe et les tabassages associées de gouines et pédés...

Se dessiner un parcours plutôt que subir un destin

Dire cela, est-ce couper les queues de vos garçons et raser les seins de vos filles? Allons! Un peu de sérieux. Non seulement, la "théorie du genre" ne nie pas la (ou les) différence(s) des sexes, mais encore ne vise-t-elle pas à uniformiser les comportements en pulvérisant les constructions sociales existantes.

L'enjeu du "genre", c'est avant tout de faire reconnaître que ces constructions sont précisément "construites", qu'elles sont culturelles et contextuelles et non pas "naturelles" ou "normales". Que partant, il est possible d'y échapper comme à tout déterminisme, pour se tracer un parcours plutôt que subir un destin.

2130584Ca ne signifie pas que chacun-e doive renoncer à tout ce qui appartient à son genre, ça implique seulement qu'il est possible de se défaire à son gré de ce qui encombre là-dedans et d'emprunter ce que l'on veut aux privilèges de l'autre genre (du droit de pleurer à celui d'être ambitieux-se, en passant par le plaisir de pouponner, de grimper aux arbres ou de taper dans le ballon, de porter une jupe ou un pantalon selon les jours et les envies, de se pomponner ou ou contraire de s'affranchir de la coquetterie...).

Uniques!

Combattre le sexisme à la racine en démontant les mécaniques de nos certitudes les plus inextensibles sur la féminité ou la masculinité, outre le bien que ça fait à la tête (qui se porte mieux quand les pensées y circulent sans entraves), c'est donc permettre à nos enfants de découvrir l'infinitude de leurs précieuses ressources pour s'émouvoir, pour s'ouvrir au monde et s'y bâtir. C'est créer un environnement favorable à la germination et à l'éclosion de leur originalité et de tous leurs talents. C'est les protéger de la haine inlassablement nourrie par le conformisme.

C'est les aimer, surtout, inconditionnellement, en se laissant surprendre par ce qu'il y a de plus magique dans l'évolution d'un être humain, par delà tous les critères, les classements et les jugements : son unicité, inaliénable.