Je ne veux pas des "droits des femmes", je veux "l'égalité réelle".

Bonjour Madame Laurence Rossignol, Bonjour Madame Ericka Bareigts, 


Je m'présente, je m'appelle Marie, je suis féministe depuis l'âge de 5 ans environ (c'est à dire du plus loin que je m'en souvienne). Ma vocation de féministe remonte au moment où j'ai pris conscience que les petites filles n'étaient pas traitées comme les petits garçons et que ça risquait de continuer comme ça tout au long de la vie.

 

Ce qui, hélas, s'est avéré vrai. Je ne vous rappelle pas ce qu'il en est de la part des femmes dans l'emploi vulnérable, du taux de femmes parmi les victimes de violences conjugales et de violences sexuelles, des écarts de rémunération et de richesses entre les femmes et les hommes...

Je ne vous apprends pas qu'il existe un plafond de verre à vitrages multiples qui freine la progression professionnelle des femmes à chaque nouvelle étape de développement possible de leur carrière. Je ne vous informe pas que nous sommes invisibilisées dans le récit de l'histoire (moins de 4% de personnages féminins dans les manuels d'histoire de seconde), dans l'espace public (2% des rues portent le nom d'une femme en France) et dans les médias (20% des expert.es invité.es sur les plateaux télé-radio).

Je ne vous explique pas que les mentalités stéréotypées font que l'on porte aux nues notre sens de l'empathie, notre douceur, notre féminité tant que nous restons à notre place mais que nous sommes perçues comme des sorcières maléfiques, castratrices et foutues peaux de vache avec les autres femmes quand nous prenons le pouvoir (si vous l'ignorez, je vous recommande chaudement la lecture du Rapport IMS de 2012 sur les stéréotypes de genre dans l'entreprise. En vous conseillant quand même d'être bien assises, au moment de le compulser).

Ce n'est pas à vous, femmes politiques, que je rappellerais que malgré les lois sur la parité, les femmes sont minoritaires dans les deux Assemblées, rares au poste de premier édile de nos villes et à la présidence de nos collectivités territoriales et que jusqu'il y a encore 5 ans, elles étaient des exceptions au gouvernement.

 

Ce dernier point soulevé, je veux et dois quand même vous féliciter pour votre toute récente nomination. Mais il y a une chose qui m'échappe : pourquoi l'une de vous va s'occuper des "droits des femmes" et l'autre de "l'égalité réelle"?

Parce qu'en fait, moi, je n'ai pas de "droits des femmes". J'ai en tant que femme appartenant à l'humanité – même si je sais que ça reste une idée surprenante aux yeux de certain.es des droits humains (d'ailleurs, si vous pouvez faire quelque chose pour qu'enfin, on arrête de parler des "droits de l'homme"). Cela, Olympe de Gouges et Condorcet l'expliquaient clairement il y a déjà deux siècles et demi : rien ne justifie qu'une femme n'ait pas les mêmes droits et opportunités qu'un homme, à partir du moment où l'on affirme que "tous les humains naissent libres et égaux". Point.

Et j'ai pleinement droit à l'égalité, réelle et effective, parce qu'à moins qu'une restriction à ma citoyenneté du fait de mon sexe se justifie (en ce cas, j'aimerais voir le texte de droit qui en fait état), je suis pleinement destinataire de la promesse de notre devise républicaine qui place cette valeur d'égalité en son centre.

 

Admettons que j'ai néanmoins des "problèmes spécifiques de gonzesse". Ces problèmes doivent-ils être raccrochés à la famille et à l'enfance? J'ai par exemple besoin qu'il y ait davantage de gynécologues dans ce pays et qu'ils/elles soient bien-traitant.es, tant qu'à faire. Mais pas (seulement) parce que mon ventre sert à enfanter et mes nichons à allaiter. Parce que je peux aussi, avoir par exemple de l'endométriose, un fibrome, un cancer du col de l'utérus ou du sein. Ce qui n'est pas une question de femmes, mais une question de santé. Or, ma santé en tant que femme, bénéficie de moindres crédits de recherche et développement, ma santé est menacée par les produits chimiques qui entrent, l'air de rien, dans la composition des protections hygiéniques ordinaires, ma santé est mise en danger par un déficit de femmes dans le panel des testeurs des médicaments que je pourrais être amenée à prendre, pour une raison ou une autre (pas seulement une affection féminine, mais aussi d'éventuels problèmes cardiaques, par exemple)... Et surprise (tant que ça?), ma santé est affectée par le fait que je sois moins riche qu'un homme. On est donc bien sur un sujet d'égalité réelle.

A part ça, je suis effectivement concernée, par des questions d'enfance et de famille. Je prends soin de ma portée et je sais qu'il me faudra aussi bientôt en faire autant avec mes aîné.es. Ca me soumet des problèmes d'articulation vie professionnelle/vie privée, je le confirme. Mais ça en pose aussi à mon conjoint, pour ce qui a trait aux enfants, et ça en posera aussi à mon frère quand il s'agira de s'occuper de nos parents. Pourquoi donc raccrocher ce grand sujet de société qu'est le soin aux enfants et aux seniors à celui des droits des femmes? Juste, parce que dans les faits, je me tape encore 70% du temps consacré à cet ensemble confus de missions de "care" que l'on nomme les "tâches domestiques"? Pardon, mais là, encore, on n'est pas sur un sujet "femmes", mais sur un sujet "égalité réelle" : je ne veux pas qu'on me facilite ma vie de femme en me faisant "cadeau" de place en crèches ou en négociant avec mon employeur des aménagements de mes horaires en tant qu'aidante d'un proche dépendant. Je veux que tous les hommes du pays (et même de la terre) soient pareillement préoccupés que mes copines et moi par ces questions-là et qu'ils en prennent la pleine part de leurs responsabilités.

Je veux "l'égalité réelle" et rien d'autre! Je veux les mêmes droits et les mêmes opportunités que les hommes. Je veux que les hommes aient les mêmes devoirs et les mêmes responsabilités que moi. Je veux être respectée et reconnue pour ce que je suis, une femme mais aussi plein d'autres choses, sans que le critère de mon sexe soit premier dans l'appréhension par la société de mon identité. Comme le sont les hommes qui n'ont pas à se battre, eux, pour faire admettre qu'ils appartiennent à l'universelle humanité.