"Les droits des femmes" ont-ils leur place aux Affaires Sociales et à la Santé?

Les "droits des femmes" rétrogradés?

Panneau_FeuillesRouteC'est presque passé inaperçu dans l'annonce du gouvernement Valls II : c'en est (déjà) terminé du Ministère des Droits des Femmes qui était rené en 2012 après  26 ans de latence. Le voilà re(?)qualifié en Secrétariat d'Etat placé sous la tutelle du Ministère des Affaires Sociales et de la Santé, aux côtés d'un Secrétariat d'Etat aux handicapé-es et à la lutte contre l'exclusion et d'un Secrétariat d'Etat à la famille, aux personnes âgées et à l'autonomie.

Rétrogradation? Par rapport au gouvernement Ayrault qui donnait aux droits des femmes un Ministère à part entière, c'est indiscutable. Par rapport au gouvernement Valls I, c'est moins certain, quand les droits des femmes venaient en dernier dans l'énumération des champs du Ministère de Najat Vallaud-Belkacem après le Sport, la Jeunesse et la Ville. Quitte à n'être pas considérés en sujet ministériel à part entière, les droits des femmes ont peut-être plus intérêt à avoir leur Secrétariat d'Etat dédié qu'à se trouver fourrés dans le vide-poche d'un trop vaste apostolat.

Pour autant, les droits des femmes ont-ils bien leur place aux Ministère des Affaires sociales et de la Santé? Pour en discuter, encore faut-il interroger ce que recouvre, certes dans les attributions définies par décret (à paraître dans les jours qui viennent) de ce Ministère, mais aussi dans les perceptions communes, ces notions d' "Affaires Sociales et Santé".

 

Les femmes, une question de "santé"?

La santé, intuitivement, c'est assez limpide, on parle maladies, accidents, systèmes de soins et prévention, Sécurité sociale et sécurité au travail (entre autres). Et il y a bien quelque chose d'un peu glissant dans le fait de rapprocher les droits des femmes de la Santé, car c'est porter l'accent sur le corps des femmes en tant qu'il poserait des questions médicales et sanitaires spécifiques, en convoquant assez immédiatement dans les esprits ce qui a à voir avec le système génital, dans son ensemble, et la maternité en particulier. Or, non seulement, ce n'est pas là tout le corps des femmes (qui n'est pas que système anatomique en fonctionnement/dysfonctionnement ni potentiellement enceinte porteuse d'enfants, mais aussi substance de leur être individuel, sujet de leur dépassement et/ou de leur plaisir et souvent hélas objet de représentations plus ou moins valorisantes), et les femmes ne sont pas que des corps physiques non plus.

cover.225x225-75C'est pourtant au nom des spécificités de leur corps qu'elles ont été initialement fondées en "non-frères" de citoyenneté par la République, ainsi que le soulignait déjà Condorcet en 1790, quand il semblait que "l'exposition aux grossesses et indispositions passagères" était un obstacle de principe à leur fiabilité et partant, à leur légitime "droit de cité". Condorcet rappelait pourtant que les hommes aussi ont des problèmes de santé qui n'appartiennent qu'à eux (il citait en son temps "la goutte", j'évoquerais plus près de nos préoccupations contemporaines, les problèmes de prostate) mais qui n'ont pas été identifiés comme motifs d'écartement de principe des sphères de discussion et décision publiques.

Gare donc, en rapprochant les droits des femmes de la santé à ne pas conforter encore davantage les esprits dans une essentialisation du féminin qui au-delà des bonnes intentions (traiter efficacement des questions de contraception et d'IVG, de maternité, de cancer de l'utérus et du sein, ou entre autres, d'endométriose) justifierait encore et toujours, sinon dans les actions d'un gouvernement au moins dans les mentalités, des inégalités prétendument "naturelles" de traitement.

 

"Affaires Sociales" : un prisme "aide" et "protection"?

Quid ensuite des "Affaires Sociales"? Autrefois adossées au Ministère du Travail (où les droits des femmes pourraient d'ailleurs avoir une pleine place, quand on observe la prégnance des inégalités professionnelles), ces "affaires" sont originellement celles des droits des travailleuses et travailleurs, en activité, dans leur protection quotidienne, mais aussi face aux risques de perte d'emploi, et quand le temps de la retraite bien méritée, selon la formule consacrée, est venu. C'est par extension, certaines affaires qui ont trait à l'utilisation d'une large part des cotisations sociales perçues, comprenez les régimes de pension, la CAF et autres institutions chargées d'oeuvrer, autant que faire se peut, à la redistribution dans un Etat dit Providence.

Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, dans la perception ordinaire, le Ministère des Affaires sociales, qui aujourd'hui intègre aussi  dans son champ de compétences les questions de famille, d'autonomie et d'inclusion, est un peu regardé (même si c'est d'un oeil restrictif) comme le Ministère des allocations et aides... A celles et ceux qui ont donc besoin d'être aidé-es. Ranger les droits des femmes ici, c'est donc risquer d'apporter de l'eau au moulin de qui, avec de bonnes ou de moins bonnes intentions, voit les femmes avant tout comme des êtres en besoin/demande d'aide/de protection. C'est alors renvoyer leurs droits à une dimension plus victimaire qu'affirmative.

Ca ne manque pas de lucidité quand on observe la désolante répartition par genre des inégalités de richesse, des violences conjugales et/ou sexuelles. Mais ça laisse un peu (beaucoup) de côté les dimensions d'autonomisation, d'affirmation et de leadership des femmes. Dimensions qui semblent, notamment aux éternel-les diviseur-es du mouvement féministe, plus "bourgeoises" que "sociales", ce qui en dit long sur le caractère plus subversif d'une revendication à l'égalité réelle et effective entre les femmes et les hommes que celle, relativement consensuelle, de la protection de cette catégorie réputée plus fragile que constitueraient les femmes. Pourtant, il y va bien de la pleine acceptation par la société qu'une femme et un homme doivent avoir les mêmes droits, à la sécurité, mais aussi à la liberté, à l'expression de l'identité personnelle par delà les stéréotypes de genre et les attentes sociales à l'égard du féminin, à l'affirmation de l'ambition et des aspirations (même à l'argent, même au pouvoir), à la reconnaissance à juste valeur des mérites et efforts...

Les "Affaires Sociales" auront-elles au coeur de leurs préoccupations la parité en politique, l'accès des femmes aux fonctions dirigeantes des entreprises, la visibilité médiatique des expertes? Ca fait aussi pleinement partie des questions d'égalité.

 

Pour ne pas en faire, le secrétariat d'Etat aux "problèmes" de femmes

BoistardReste qu'un Ministère, ou à défaut, un Secrétariat d'Etat, prend, pour une part plus ou moins large, la dimension et l'importance que le ou la titulaire du poste lui donne, avec l'appui, la considération et la coopération des autres. Ne préjugeons donc pas de l'interprétation que Pascale Boistard, fera de sa lettre de mission. Comme il en était du temps bref et déjà révolu du Ministère des Droits des Femmes, cette lettre est moins ouverte et moins dynamique dans l'énoncé que si l'on parlait de Ministère/Secrétariat d'Etat à l'égalité femmes/hommes plutôt qu'aux droits des femmes.

Mais cette lettre est loin d'être fermée : rien n'interdit que le Secrétariat d'Etat, sous tutelle certes du Ministère des Affaires Sociales et de la Santé, travaille de conserve avec celui de l'éducation pour la lutte contre les stéréotypes sexistes (d'ailleurs, on rappelle qu'un dispositif de remplacement des ABCD décédés a été promis), du travail pour l'égalité professionnelle, de l'économie pour la mixité des filières, l'entrepreneuriat des femmes et le leadership partagé des grandes entreprises, des finances et comptes publics pour l'orientation équitable des dépenses, de la culture pour la place des femmes dans les institutions et industries du spectacle etc...

Bref, pour que ce Secrétariat d'Etat ne soit pas celui des "problèmes" des femmes, mais bien celui de la juste garantie de tous leurs droits en tant que citoyennes à l'égal des citoyens.