Depuis la présentation par Najat Vallaud-Belkacem du projet de loi-cadre sur l'égalité entre les femmes et les hommes, on n'entend parler QUE de la réforme du congé parental.
Réforme du congé parental : la troisième mi-temps du "Mariage pour tous"
Ca s'explique : le sujet est "facile" car concret, quotidien et propice à toute forme de démagogie électoraliste. Mieux que ça, en questionnant la répartition des responsabilités parentales, la réforme annoncée est une occasion toute trouvée pour les agité-es de la défense de la famille traditionnelle de jouer la troisième mi-temps du débat sur le mariage pour tous.
Les pourfendeurs d'une "théorie du genre" mal comprise ("Au secours, ils veulent nier la différence entre les sexes!!!", "Panique à bord! On va bientôt plus savoir ce qu'est un homme et ce qu'est une femme dans ce pays") présentent la réforme annoncée du Complément au Libre Choix du Mode du Garde comme une nouvelle attaque contre les fondations de la famille. Enfin, d'une forme de famille traditionnelle dans laquelle les rôles sont distinctement répartis entre les hommes/maris/pères qui conquièrent l'espace public pour en rapporter la viande au foyer et les femmes/épouses/mères qui entretiennent l'espace privé, élèvent les petits et oeuvrent au confort indispensable au ressourcement du guerrier.
L'avantage de ce combat stérile qui renvoie incessamment l'humain à une prétendue "nature" genrée et vise in fine à maintenir l'espace privé en dehors du champ de la société (et les femmes en son sein par la même occasion), c'est qu'il permet aussi de faire l'impasse sur tout ce que le projet de loi-cadre de NVB contient de réellement novateur pour faire de l'arsenal légal déjà existant un vrai levier d'effectivité de l'égalité.
Tout ce dont on oublie de vous parler à propos de la loi-cadre sur l'égalité
Le projet de loi-cadre sur l'égalité femmes/hommes, c'est donc aussi :
1/ La commande publique, vecteur d'égalité professionnelle
Le Code du Travail, c'est pour tous et pour toutes! S'il est complexe et gagnerait vraisemblablement à être simplifié, il contient déjà en substance presque tout ce qu'il faut pour réussir l'égalité pro.
En réservant officiellement l'accès aux marchés publics aux prestataires qui respectent les dispositions légales en matière de traitement de leurs collaborateurs et collaboratrices, le projet de loi-cadre ne fait qu'inciter les organisations qui ont pris l'habitude de s'asseoir dessus à se mettre en conformité. C'est pas une amende, c'est pas une interdiction, c'est pas une sanction, c'est juste une façon très efficace (quand on sait ce que représente la commande publique pour les entreprises) de faire appliquer le droit. Qui s'en plaindra?
2/ Pour une autre répartition des tâches domestiques, favoriser le recours aux services à la personne
Ces dix dernières années, le temps consacré chaque jour par les femmes aux tâches domestiques a diminué de 22 minutes. Celui qu'y passe les hommes a augmenté d'une minute. Mais où sont les 21 minutes restantes? Elles se retrouvent d'une part dans la transformation des habitudes des ménages (on serait à la fois moins "maniaques" et mieux "équipé-es" pour les "corvées") et d'autre part dans la part du travail ménager sous-traitée aux tiers. C'est la seule grande variable sur le temps long : si les écarts se réduisent en matière de "travail gratuit" au sein du foyer, ce n'est pas tant parce que les hommes en font plus que parce que les femmes en font moins. Alors, oui, encourager le recours aux services à la personne est une bonne idée pour poursuivre la marche vers l'égalité : le gouvernement propose donc une nouvelle option de déblocage du Compte Epargne Temps, articulée avec le Chèque Emploi Service, pour financer les heures de ménage, de garde d'enfants, d'aide à domicile...
Reste néanmoins une question clé : comment revaloriser les services à la personne pour les considérer en véritables métiers (et non comme des extensions des compétences prétendument "naturelles" des femmes lesquelles, non, ne sont pas par "nature" de meilleures techniciennes de l'éponge ni des diplômées spontanées de la Pampers) de façon à ne pas faire porter indirectement sur une population fémininisée, ethnicisée et précarisée les efforts d'égalité profitables aux couples d'autres classes sociales. Serez-vous donc prêt-e à payer davantage la personne qui s'occupe de vos enfants ou nettoie chez vous? A investir dans sa formation? A aménager ses conditions de travail et à la faire progresser?
3/ Pensions impayées : halte à la précarité des familles monoparentales
Autre volet fondamental du projet de loi : la lutte contre les impayés de pension alimentaire. Une famille française sur 5 est monoparentale et dans 80% des cas, c'est une femme qui élève seule ses enfants. 40% des parents élevant seul-es leurs enfants sont confronté-es au non-paiement ou au versement aléatoire des pensions.
Le gouvernement propose de mettre la CAF sur le coup : c'est elle qui se substituera, dès le premier mois d'impayé au parent mauvais payeur. Et se retournera ensuite contre lui pour le recouvrement de la prestation, en actionnant tous les moyens à sa disposition : information et recoupement des fichiers, capacité de saisie sur revenus...
4/ Violences : ça ne se négocie pas!
La loi-cadre prévoit le renforcement du dispositif d'ordonnance de protection qui permet au procureur de tenir un-e conjoint-e violent-e à l'écart de sa famille en réduisant d'une part le délai de délivrance de ladite ordonnance (objectif : une semaine) et en accroissant d'autre part sa durée d'exécution (6 mois renouvelables, contre 4 mois actuellement).
Le projet remet par ailleurs en cause le principe de la médiation pénale dans le traitement des affaires de violences intrafamiliales. Si elle apparait au premier abord comme une solution négociée acceptable, cette option a en réalité le défaut majeur de placer la victime et son bourreau sur un pied d'égalité. Or, non, celle ou celui qui est battu-e par la personne qui partage sa vie n'est pas en situation de négocier un fair trade. La médiation, ce ne sera donc plus la solution toute trouvée pour classer illico presto les dossiers de la violence conjugale dans les tiroirs des juges.
5/ Parité : pas qu'en politique!
La parité dans les partis et aux fonctions électives, c'est pas gagné, mais ça progresse! Après l'introduction du principe "d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives" dans l'article Premier de la Constitution, le nombre de candidatures féminines aux Législatives a doublé entre 1997 et 2007. Mais stagne depuis. Pour relancer le mouvement paritaire, il est envisagé de renforcer le mécanisme de sanction des partis qui dérogent à la règle. Oui, oui, on sait, des "candidates", on a du mal à en trouver. Ben, voilà, il va falloir un peu mieux chercher. Et peut-être revoir un peu les codes et les styles du monde politique aux fins de le rendre un peu plus accueillant à la diversité. Non, non, le modèle "tous les coups sont permis et que les plus faibles jettent l'éponge en pensant que la politique, c'est décidément pas leur truc" n'est pas le seul et l'unique.
Mais c'est surtout à la deuxième partie de la phrase inscrite dans la Constitution, qui stipule aussi l'égal accès aux "responsabilités professionnelles et sociales" que s'attaque le projet de loi : Chambres de Commerce et d'Industrie, Chambres d'Agricultures mais aussi fédérations sportives et grands établissements publics sont encore largement à la traîne en matière de féminisation de la gouvernance. La réforme prévoit donc la systématisation de la parité dans ces instances.
Enfin, elle étend les compétences du CSA pour assurer une meilleure représentation des femmes dans les médias et une lutte active contre la diffusion des stéréotypes sexistes... Un sujet à suivre de près : le Président de France Télévisions vient précisément de prendre des engagements multiples sur ce thème...