Hommes maltraités, pères discriminés : ne vous trompez pas d'ennemi !

1563005Il est touchant, l'homme en haut de sa grue.

Perché depuis déjà plusieurs jours pour obtenir le rétablissement du droit de visite de ses enfants, il refuse les vivres et les médicaments. Une superbe qui forcerait volontiers le respect.

A trois jours de la manifestation prévue par l'association SVP Papa (dont il serait proche, quoique l'association précise qu'il n'en est pas membre et qu'elle se désolidarise de son geste), il incarne la souffrance d'un père avec une dramaturgie qui ne saurait laisser indifférent-e, il suscite la compassion et donnerait envie à quiconque a un peu de cœur d'épouser sans hésiter la cause des hommes victimes.

Partant, dans un glissement trop aisé, il offre aussi une occasion tentante d'accorder une légitimité aux discours masculinistes qui entendent alerter l'opinion publique sur une prétendue domination des femmes, lesquelles, à force de gagner des droits sur tous les terrains, seraient parvenues à renverser le sexisme en leur faveur et à justifier une forme de maltraitance vengeresse à l'égard des hommes. Fantasme délirant mais qui fait évidemment recette auprès de certains hommes psychologiquement précarisés par une pénible situation donnée.

La maltraitance a-t-elle un genre?

si-j-avais-un-million-1932-03-gOui, les hommes peuvent faire l'objet de violences. Oui, il y a des hommes battus. Je ne suis pas de celles et ceux qui se contenteront de dire qu'ils sont statistiquement moins nombreux que les femmes à mourir sous les coups d'un-e conjoint-e pour balayer cette réalité d'un revers de main.

A l'échelle de l'individu, être frappé-e par son ou sa conjoint-e est un drame qui ne supporte aucune relativité de genre (ni de classe sociale). Or, face à cette souffrance odieuse, seule l'échelle de l'individu compte. Un homme battu n'est pas moins battu qu'une femme battue.

La violence faite aux femmes, un terrorisme

 

Ce qui change à l'échelle de la société, c'est que la menace de la violence, le terrorisme qu'elle exerce, même chez les personnes qui ne la subissent pas directement, ne sont pas vécus de la même manière par les hommes et les femmes. Comme pour les violences sexuelles, cela se joue à deux niveaux : la peur d'être agressé-e et la honte de l'avoir été.

La peur d'être agressé-e, d'abord. Les femmes vivent dans une peur assurément plus prégnante d'être physiquement maltraitées. Intégrant dès l'enfance et à travers toute une culture machiste prétendument potache ("Si tu ne sais plus pourquoi tu tapes ta femme, ne t'inquiète pas, elle le saura", ah, ah, ah, etc.) que leur genre et leurs comportements sont susceptibles de susciter la prédation ou l'agression, elles vivent avec cette potentialité funeste de l'agression sexiste et/ou sexuelle. Les hommes sont sans doute plus surpris quand ça leur arrive.

Plus socialement difficile d'être un homme battu qu'une femme battue?

 

1913200506Et c'est là que le second niveau de violence intervient : celui de la culpabilité et de la honte, en contexte social.

Un homme battu est un homme au secret, la société lui interdisant d'être faible, d'être victime. C'est l'absolu de la figure du dominé dévirilisé. Dans un environnement sexiste où les hommes sont élevés et entretenus dans l'idée d'être forts et de ne pas se laisser faire par une gonzesse et encore moins de se comporter comme telle, cela représente effectivement une agression symbolique majeure d'être battu par une femme. D'ailleurs, les hommes sont-ils aussi humiliés quand ils sont frappés par un autre homme ?

"Sexe faible"/"sexe fort" : une dialectique qui ne valorise personne

Etre faible, est-ce mieux autorisé aux femmes ? Oui et non.

Oui, au premier abord, parce que le système patriarcal est précisément pensé pour qu'elles troquent leur liberté contre la sécurité, leur indépendance contre la protection. Leur "sexe faible" les place dans une situation de victime potentielle et les convainc de rechercher une protection à l'ombre d'une solide épaule masculine. D'aucunes s'y complaisent.

Mais pas toutes. La plupart n'ont pas spécialement envie d'être considérées comme des êtres d'essence faible, ni de recevoir pour seule réponse à leur besoin de sécurité une offre de protection par l'autre sexe. La vraie sécurité, ce n'est pas d'être protégé-e, c'est bien l'accès de plein droit, pour tous et toutes, à la liberté.

Le juge est une femme

video-nantes-le-pere-divorce-passe-une-3e-nuit-sur-sa-grue_252493Mais revenons-en à nos papas et à la discrimation qu'ils dénoncent quand les juges aux affaires familiales les privent de voir leurs enfants.

Là encore, pas question pour moi de renvoyer dos à dos le décompte statistique des pères qui réclament la garde et le nombre de ceux qui s'épargnent les contraintes de la parentalité au moment d'une séparation. La cause des pères qui veulent voir leurs enfants (pourvu qu'aucune violence précédemment exercée contre les enfants ni contre leur mère n'y fasse obstacle) est une cause juste.

220px-Palais_de_justice_de_Brive-la-Gaillarde,_FranceCe que les associations de pères divorcés dénoncent le plus souvent, c'est le prisme des juges qui ont tendance à accorder par défaut la garde aux mères. La raison de ce prisme, selon ces mêmes associations, serait la féminisation de l'institution judiciaire. J'y vois un contresens.

Il est certes dommage (pour ne pas dire inquiétant) de voir un corps de métier entier se genrer (se féminiser ou se masculiniser). C'est le cas des juges (quoique les femmes, très nombreuses dans l'ensemble de l'institution, se fassent rares aux plus hauts postes), comme c'est le cas pour le corps enseignant, tous les métiers du care et de la petite enfance. C'est souvent le signe du déclassement en marche d'une profession, devenue trop contraignante et insuffisamment rémunérée et valorisée pour attirer suffisamment de candidats masculins.

Mais est-ce que c'est parce que la juge est une femme qu'elle prend systématiquement le parti de la femme? Il est bien là, le contresens! Car ce n'est pas tant l'identité du ou de la magistrat-e qui influe sur la décision que la permanence des stéréotypes sur la parentalité. Au sommet de ces clichés, celui selon lequel une mère saurait mieux prendre soin des enfants, surtout quand ils sont très jeunes.

On dit et on répète partout, aux femmes en premier lieu, dès la naissance des enfants, qu'elles sont mieux faites pour s'en occuper, que leur douceur naturelle (ah bon?) les y prédispose et répond aux besoins fondamentaux du tout-petit. A travers cette figure imposée (qui effectivement écarte d'emblée les pères du berceau et renvoie les mères qui ne sentent pas une fibre maternelle démesurée au rang d'indignes de la maternité), c'est un système familial traditionnel dans lequel chacun-e doit tenir un rôle défini que l'on installe et que l'on renforce en permanence. Un système emprisonnant pour tous et toutes, les hommes et les femmes.

Il n'y a pas de gagnant-es du sexisme, il n'y a que des perdant-es

Smash_Patriarchy-365x405Ce ne sont pas des femmes que les hommes discriminés sont les victimes. C'est bien du patriarcat! C'est bien du machisme et de sa vision figée des genres et des fonctions.

Aussi, quand le mouvement masculiniste, qui aime à manipuler les individus en souffrance, accuse le féminisme (qu'il tient pour un mouvement sexiste, quand il est de toute évidence un mouvement égalitariste) et la montée en puissance des femmes d'être responsables des violences et discriminations faites aux hommes, c'est bien dans le camp de ceux qu'il dit défendre qu'en réalité il tire. C'est l'effet boomerang de la discrimination de genre : il n'y a pas de gagnant-e du sexisme. Il n'y a que des perdant-es.

Partageons les responsabilités, toutes les responsabilités

Ce vers quoi tend l'antisexisme (si c'est un terme qui vous est plus agréable que le féminisme), c'est le partage des responsabilités, celles du monde professionnel comme celles de la parentalité (tout le temps, d'ailleurs, pas seulement une fois le couple séparé), celles de la vie publique comme celles de la vie privée. Nous ne demandons qu'à être les parfaites égales des hommes, sur tous les terrains.

Ce n'est pas ce que veulent les masculinistes, qui mettent volontiers dans le même sac foutraque les violences faites aux hommes et l'ambition des femmes, le fantasme de la dévirilisation des hommes et celui de la domination féminine, l'égalité des genres et l'antiféminisme.

Ne vous trompez pas d'ennemi !

 

 

Lire aussi : l'article de ma voisine de blog, Emma Defaud "Nantes : le tarif de base pour un papa."

 

Bonus track : Ce que masculinisme veut dire
18581435_2571337Pour vous convaincre que le masculinisme n'est pas un mouvement d'égalité des genres mais bien de perpétuation de la domination de l'un sur l'autre, un petit extrait parlant des écrits d'un digne défenseur de la cause masculiniste, Eric Zemmour :

"Les femmes conduisent quand la vitesse est limitée ; elles fument quand le tabac tue ; elles obtiennent la parité quand la politique ne sert plus à grand-chose ; elles votent à gauche quand la Révolution est finie ; elles deviennent un argument de marketing littéraire quand la littérature se meurt ; elles découvrent le football quand la magie de mon enfance est devenue un tiroir-caisse. Il y a une malédiction féminine qui est l'envers d'une bénédiction. Elles ne détruisent pas, elles protègent. Elles ne créent pas, elles entretiennent. Elles n'inventent pas, elles conservent. Elles ne forcent pas, elles préservent. Elles ne transgressent pas, elles civilisent. Elles ne règnent pas, elles régentent. En se féminisant, les hommes se stérilisent, ils s'interdisent toute audace, toute innovation, toute transgression. Ils se contentent de conserver. On explique en général la stagnation intellectuelle et économique de l'Europe par le vieillissement de sa population. Mais Cervantes écrivit Don Quichotte à soixante-quinze ans ; de Gaulle revint au pouvoir à soixante-huit, et le chancelier allemand Adenauer à plus de soixante-dix. On ne songe jamais - ou on n'ose jamais songer - à sa féminisation."  in Le Premier Sexe, 2006.