Après avoir vécu plusieurs années à Washington, Laurence Nardon dirige le programme Amérique du Nord de l'Ifri (Institut français des relations internationales). Dans son livre Les États-Unis de Trump en 100 questions, à paraître le 18 octobre, la chercheuse décrypte les évolutions récentes du pays et la politique du Président. Entretien.
Le nom de Donald Trump revient fréquemment dans la presse, sur les réseaux sociaux ou dans les discussions. Comment l'expliquez-vous ?
L.N : La personnalité de Trump est hors-norme. Les experts disent de lui qu'il présente des troubles de la personnalité d'ordre narcissique. C'est quelqu'un qui n'a pas vraiment dépassé le stade de l'enfance dans lequel on pense que tout tourne autour de soi. Trump est donc extrêmement impulsif et agressif. Il n'a pas de filtres sociaux. Il est aussi susceptible et veut être aimé. C'est pour cette raison qu'il est toujours très séducteur et aimable avec les chefs d'État étrangers qui le rencontrent même si, la veille ou le lendemain, il envoie des tweets insultants à leur égard. Au final, il est fondamentalement imprévisible car il n'écoute que ses impulsions.
Comment, avec cette personnalité, a-t-il pu arriver à la Maison-Blanche ?
L.N : Cela ne l'empêche pas d'être malin et intelligent. Son passé de promoteur immobilier à New York l'a armé pour faire des coups, être tactique et savoir négocier de manière assez brutale. Au-delà de sa personnalité, il y a aussi ses idées politiques. Il ne faut pas se leurrer : en France, on dirait qu'elles sont d'extrême-droite. Trump est pour la fermeture des frontières à l'immigration et au libre-échange. Sa politique étrangère est également un peu musclée.
Des idées politiques qui ont trouvé un écho...
L.N : Entre les élites et les minorités ethniques très pauvres, les classes moyennes se sentent trahies et abandonnées depuis des décennies. Leurs usines ont fermé à causes des accords de libre-échange, la crise de 2007 est passée par là, etc. Quant à la classe moyenne blanche, elle s'inquiète d'une évolution démographique qui va faire d'elle une minorité d'ici 2040. Ces personnes ont donc véritablement vu Trump comme un sauveur.
Après deux ans, son électorat reste-t-il satisfait ?
L.N : À la veille des élections de novembre, Trump s'est montré très efficace vis-à-vis de son électorat. Pour les populistes, il a tenu sa promesse anti-immigration avec le mur en construction à la frontière du Mexique et le Muslim Ban [NDLR: un décret qui suspend l'entrée sur le territoire des citoyens de sept pays à majorité musulmane]. Il a également renégocié les accords de libre-échange avec le Mexique et le Canada. Le Président a aussi tenu ses promesses envers une autre partie de son électorat : les conservateurs chrétiens, extrêmement rétrogrades sur les questions de moeurs. Ces derniers ont voté pour Trump car il s'est engagé à nommer des juges très conservateurs à tous les étages de la pyramide judiciaire. Il a effectivement fait nommer Brett Kavanaugh et Neil Gorsuch à la Cour suprême.
Son électorat pourrait pourtant se détacher de lui à cause de ses impulsions et ses affaires...
L.N : Que Trump soit un monstre, ce n'est pas grave pour les conservateurs tant qu'il tient ses promesses. Les populistes ont un autre raisonnement. À chaque fois que Trump dit une horreur, cet électorat n'en est que plus persuadé qu'il est de leur côté. Pour eux, ce sont des transgressions des codes.
Peut-on envisager la réélection de Trump en 2020 ?
L.N : Absolument, d'autant plus que côté démocrates, il ne se passe pas grand chose... Ce parti est divisé entre les centristes modérés — portés par Hillary Clinton en 2016 — qui proposent une politique économique libérale et un autre courant — porté par Bernie Sanders en 2016 — qui propose des réformes beaucoup plus à gauche et très radicales pour les États-Unis. Le parti n'est pas prêt pour porter un seul candidat en 2020.
Quid des élections de mi-mandat ?
L.N : Les démocrates prédissent un raz-de-marrée en leur faveur. Mais je n'en suis pas si sûre... Il est probable qu'ils gagnent la majorité à la Chambre des Représentants; au Sénat, sans doute pas.
Propos recueillis par C.L
L'arrivée d'un populiste à la Maison-Blanche n'est pas un accident, mais le résultat d'années de creusement des inégalités sociales et de transformations de la société américaine. Républicains et démocrates ont encouragé une libéralisation économique et financière excessive, tandis que les élites progressistes se sont concentrées sur les minorités, négligeant les inquiétudes d'une Amérique blanche vouée à devenir minoritaire. En conséquence, Donald Trump est devenu son champion. Son style imprévisible et transgressif tout comme son projet américano-centré bouleversent les règles des relations internationales. De Paris à Téhéran, en passant par Pyongyang, Moscou et Jérusalem, l'ensemble du monde est affecté par cette présidence hors-norme. Après Trump, une autre Amérique peut-elle émerger ? Laurence Nardon décrypte en 100 clés essentielles les évolutions politiques, sociales et culturelles récentes des États-Unis et interroge le rôle et l'avenir de la puissance américaine.
Les États-Unis de Trump en 100 questions, Tallandier, 16,50 €