"Fièvres musicales": à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière une semaine de musique par et pour les soignants

La chapelle Saint-Louis C) Bertrand Renard, France Info Culture

 

Première édition du 20 au 25 juin d'un nouveau festival parisien, étrange, intéressant, dans le cadre d'un hôpital fameux, celui de la Pitié-Salpêtrière: de l'heure du déjeuner au concert du soir divers lieux de cette immense établissement ont résonné de musique, soit par les soignants, soit par de jeunes musiciens des conservatoires parisiens et, le soir donc, des  noms... de renoms tels Vanessa Wagner, François-Frédéric Guy ou Marie-Christine Barrault.

 

Fièvres musicales, sous-titrées Festival de piano et de musique de chambre de la Pitié-Salpêtrière. Le simple terme de "fièvre" suppose déjà de regarder le verre comme à moitié plein ou à moitié vide: soit la fièvre de fatigue (ou de maladie) des soignants -plus encore sque des patients- après des mois de tensions permanentes; soit la fièvre d'excitation de voir le bout du tunnel (mais a-t-on des raisons d'être optimisme?) ou de se voir simplement accompagné par un peu de beauté sonore dans un monde cruel et incertain.

François-Frédéric Guy C) AP-HP Pitié-Salpêtrière Sorbonne Université

Encore mieux quand la fièvre, bonne cette fois, est orchestrée par vos congénères. Un festival où les soignants de tous ordres sont amenés à jouer la musique, à la partager, à la promener, c'est le pari de ces Fièvres musicales. Mais, pour ne pas abandonner complètement leur mission de soin, voici que cet immense territoire d'hôpital n'est pas seulement occupé, mis en ondes sonores, par eux mais aussi par quelques soutiens, de jeunes musiciens des conservatoires parisiens (11e et 13e arrondissement si l'on a bonne mémoire) et des artistes professionnels - la pianiste Vanessa Wagner la veille de notre venue et, le lendemain, une Marie-Christine Barrault prêtant sa voix à George Sand (mais aussi à Gide, éminent musicien amateur, et à Jankélévitch, admirable musicologue) pendant que le pianiste Denis Pascal jouait auprès d'elle, l'auriez-vous deviné...  le cher Chopin.

Stéphane Jauréguiberry, médecin et violoncelliste C) AP-HP Pitié-Salpêtrière Sorbonne Université

Un festival sur la semaine, d'abord sur les 5 jours où l'activité de l'hôpital est la plus vive, le samedi un concert d'adieu et rien le dimanche. Mais dès le lundi au moins 5 ou 6 rendez-vous, essentiellement classiques mais pas seulement, du tango, des choeurs de jazz et, sur un parvis (de cardiologie!) divers ensembles de vents, quatuor de cors ou de saxophones; et début dans le parc avec la Siegfried Idyll de Wagner, cette délicieuse aubade qu'offrit un matin Richard à Cosima et qui, cette fois, avec l'orchestre de la Sorbonne Université (partenaire, ô combien!), aura résonné en promenade à l'heure du déjeuner -inventons donc un mot, entre l'aubade du matin et la sérénade du soir: la méridiade (que mon correcteur orthographique semble accepter!)

Le parc de la Hauteur C) Bertrand Renard, France Info Culture

Il faut aussi prendre la mesure du lieu -et, si on le dit pour nos lecteurs de province, on le dit aussi pour tous les Parisiens qui n'ont que des raisons souvent douloureuses d'en franchir les portes: la Pitié-Salpêtrière est sans doute le plus grand hôpital de la capitale en terme de superficie; et quand on indique qu'un concert a lieu sur le "Parvis de cardiologie", tel celui de "Sensibilisation au don d'organe" qui réunissait le mercredi quatuor à cordes et chant, c'est qu'il faut traverser une partie du XIIIe arrondissement du nord au sud, depuis le boulevard de l'Hôpital où se trouve l'entrée principale. Boulevard de l'Hôpital: celui-ci indique bien l'ancienneté du lieu qui fut un des premiers à soigner les malades mentaux sous l'autorité, pendant la Révolution, de Philippe Pinel qui a sa statue d'ailleurs sous le métro aérien à quelques centaines de mètres.

On n'a pu tout suivre, on aura imaginé la musique au "Parc de la Hauteur", un vrai jardin public encastré entre les bâtiments, digne de ses (presque) voisins d'arrondissement, les jardins du Luxembourg ou celui des Plantes. Et, le jouxtant, cette étonnante chapelle Saint-Louis où nous assistâmes au double concert de ce soir-là, amateurs et professionnels. Une chapelle qu'on avait entrevue (on y était même entré) un soir d'automne ou d'hiver, sous la brume de la nuit tombée, éclairée de lumière blanche et l'on avait l'impression d'être dans une gravure de Victor Hugo ou de Gustave Doré, Dieu et les anges surveillant la venue des démons pour leur faire barrière. L'intérieur valait cette silhouette de fantôme pétrifié: un cercle central nu reliant les quatre branches d'une croix, deux dans le sens nef-choeur (immenses et tout aussi vides) deux dans le sens transept mais un transept dont chaque branche a la dimension d'une église à elle seule; et une de ses branches, dominée par un immense buffet d'orgues, accueillant les concerts.

Denis Ducasse, ténor et directeur d'hôpital C) AP-HP, Pitié-Salpêtrière Sorbonne Université

Stéphane Jaureguiberry est violoncelliste -amateur! Ce qui différencie les musiciens amateurs des professionnels, on l'a souvent observé, c'est une forme d'acharnement des premiers à être au plus près de l'oeuvre, au plus près de la musique écrite, ne s'autorisant pas, ou fort peu, la liberté, la fantaisie qu'un professionnel peut s'autoriser -on en donnera un exemple plus loin. Jaureguiberry pratique son violoncelle quasi tous les jours sans considérer cela comme une thérapie -simplement comme ce bien-être nécessaire à son équilibre, qui semble lui avoir permis de traverser la période Covid non pas en jouant Bach comme tant de violoncellistes mais en travaillant d'autres partitions. Un Jaureguiberry qui, ne négligeant pas sa vie de famille (une femme et trois petits enfants qui sont ses plus grands fans) a peut-être décidé dès ce moment-là de jouer la magnifique et difficile Sonate de Grieg, lui qui, désormais à Bicêtre après la Pitié, est le responsable des maladies infectieuses quand sa partenaire de piano Fleur Cohen est elle une Dr House française, travaillant sur ce qu'on appelle les maladies rares.

Un autre aspect de la chapelle Saint-Louis C) Bertrand Renard, France Info Culture

On les aura ainsi entendus jouer Grieg avec une étonnante ardeur et, non pas se féliciter après coup de la performance mais se remettre en cause, chercher toutes les erreurs commises, bref, en vrais musiciens (cela, au moins, ne différencie pas les amateurs des professionnels), ne voir que tous les défauts du concert!  Un concert où l'on avait entendu auparavant deux pianistes, Arthur Bouchut et Pierre Videment jouer une oeuvre rare, la transcription par Brahms lui-même du premier mouvement de sa 4e symphonie, avec beaucoup de probité, de sérieux, de concentration; un peu de liberté supplémentaire, messieurs? 

Des soignants écoutaient, des malades aussi, comme ce grand monsieur en T-shirt à inscription surgissant avec un masque blanc sur le visage et un filet à résille sur le crâne (lui avait-on ouvert?), se déplaçant canne en main et, dans l'autre, une sorte d'appareillage peut-être respiratoire. Assistant à cette heure et demie de beauté, au moment où l'on sert (si tôt!) le repas, qui sera sa nourriture du soir, spirituelle sans doute, le Brahms, le Grieg et ce programme de mélodies françaises d'un directeur d'hôpital, Denis Ducasse, qui confessait ensuite: J'ai été peut-être trop ambitieux. Peut-être mais on vous absout de quelques scories pour l'intelligence de votre choix, Fauré, Duparc, Hahn et Poulenc, et ces merveilles que sont Les berceaux, Si mes vers avaient des ailes ou L'invitation au voyage.

François-Frédéric Guy masqué et Emmanuel Strosser sans masque... C) AP-HP, Pitié-Salpêtrière Sorbonne Université

On aura fini, heureux, dans la même chapelle cette fois-ci très remplie, avec le duo François-Frédéric Guy-Emmanuel Strosser, dans les yeux le bonheur d'ajouter au plaisir de la musique le sentiment profond d'une bonne action: une magnifique Sonate K. 448 de Mozart, une Sonate pour deux pianos de Brahms (la version initiale, et pas si souvent jouée, du Quintette avec piano opus 34) - le son, malheureusement, saturait dans la puissance des accords de certains passages. Et, au milieu, une exquise et rare version du Prélude à l'après-midi d'un faune de Debussy -transcription de Debussy lui-même mais où Guy s'est permis d'ajouter au second piano les traits de harpe initiaux que Debussy avait négligé d'introduire. Et l'effet est magnifique. Voici donc la vraie liberté. Qui n'exclut surtout pas la rigueur.

Fièvres musicales: festival de piano et musique de chambre de la Pitié-Salpêtrière du 20 au 25 juin dans différents espaces de l'hôpital.

Concerts du 23 juin dans la chapelle Saint-Louis: A (à 18 heures 30) Brahms (4e symphonie, 1er mouvement) par Arthur Bouchut et Pierre Videment, pianos. Fauré, Duparc, Hahn, Poulenc (3 mélodies chacun) par Denis Ducasse, ténor et Geung Haeng-Cho, piano. Grieg (Sonate pour violoncelle et piano) par Stéphane Jaureguiberry, violoncelle et Fleur Cohen, piano.

B) (à 20 heures 30) François-Frédéric Guy et Emmanuel Strosser, pianos: Mozart (Sonate pour 2 pianos K. 448) Debussy (Prélude à l'après-midi d'un faune, transcription pour deux pianos par le compositeur) Brahms (Sonate pour 2 pianos opus 34b)