A Nantes, la "Folle journée 2019" nous fera voyager jusqu'en Extrême-Orient

Le grand auditorium de Nantes C) Frank Perry, AFP

25e "Folle journée" déjà, qui va, dès cette semaine en région Pays de Loire et du mercredi 30 janvier au dimanche 3 février à Nantes même, nous inonder de musique. 290 concerts payants (à des prix, rappelons-le, qui feraient pâlir d'envie les mélomanes d'autres villes), des concerts gratuits, des conférences... Le thème cette année retenu par René Martin, le directeur artistique, est "Carnets de voyage"

 

Et bien sûr c'est un thème qui peut se décliner de diverses manières. J'en retiens au moins trois:

  • Jusqu'au XVIIIe siècle, des compositeurs qui parcourent l'Europe parce qu'ils ont obtenu des postes auprès des princes ou des rois: Bach à travers l'Allemagne. Haendel ralliant Londres, l'Italien Scarlatti installé à Madrid. L'Italie d'ailleurs étant le premier théâtre de ces déplacements (Haendel), y compris de ses propres compositeurs qui circulaient de Rome à Venise ou Naples (et d'autres lieux). Par ailleurs certains musiciens qui étaient aussi interprètes vont, comme Mozart, commencer des tournées (Paris pour Wolfgang, où il perdra sa mère) Paris aussi pour le grand voyageur qu'était Telemann qui ira jusqu'à la Pologne...
  • Au XIXe siècle on voyage pour soi. D'abord quand on est virtuose (Liszt parcourant l'Europe) Mais aussi quand on est curieux (Tchaïkovsky en Italie, Allemagne, France, se taillant la réputation d'être plus européen que russe). On voyage aussi bien sûr par des évocations exotiques de pays dont on (re) découvre la musique populaire: l'Espagne (de "Carmen" de Bizet au "Capriccio espagnol" de Rimsky-Korsakov), l'Italie (Berlioz, d' "Harold en Italie" en "Carnaval romain", Mendelssohn et sa "Symphonie italienne") mais aussi l'Ecosse (Symphonie "Ecossaise" de Mendelssohn encore). A la fin du siècle on ira plus loin, vers l'Orient mystérieux tel Saint-Saëns (concerto "Egyptien"), ou l'Ouest sauvage (Dvorak, la "Symphonie du Nouveau Monde ou le "Quatuor américain"), et même jusqu'en Asie (Borodine, "Dans les steppes de l'Asie centrale")
  • Rimsky-Korsakov, très présent à ces "Folles Journées" C) Pavel Balabanov / Spoutnik

  • Le XXe siècle accentuera cette tendance, avec des échanges où l'Amérique devient un acteur à part entière (Gershwin venant en "Américain à Paris" comme Ravel faisant une tournée aux U.S.A. où il rencontre... Gershwin), où l'Arménie, l'Inde, le Brésil, le Japon, apparaissent dans le paysage musical. Où l'on s'embarque pour des croisières ("Escales" d'Ibert) à destination de rivages lointains ("Les heures persanes" de Koechlin, les "Poèmes hindous" de Maurice Delage) Mais le XXe siècle, c'est aussi le temps des tristes voyages de l'exil, souvent d'abord en France puis aux Etats-Unis: Bartok, Martinu, Schönberg et Kurt Weill pour cause de judéité. Ou Rachmaninov fuyant l'U.R.S.S. et finissant sa vie à Hollywood.

Sur ces grandes tendances historiques on peut bâtir une série de thématiques qu'il sera intéressant de suivre (et je les emprunte en partie aux conseils souvent éclairés de René Martin et de son équipe qui nous aident à voir plus clair dans cet énorme forêt de près de 300 rendez-vous):

    1. Faire un grand voyage maritime autour de compositeurs dont le premier métier était de sillonner les mers. Ils sont quatre: le Russe Rimsky-Korsakov ( "Schéhérazade"), officier de la marine du tsar.  Le Français Albert Roussel (qui écrit "Evocations" après un périple au Cambodge) et deux de ses compatriotes:  le Breton Jean Cras, aux merveilleuses musiques de chambre inspirées aussi bien par l'Asie que par les rythmes africains. Enfin l'inconnu Antoine Mariotte, qui baigne sa musique dans la mer, celle de Chine et celle du Japon.

Le monument de Jean Cras à Brest C) Philippe Turpin, Photononstop

  1. Suivre les pas d'un globe-trotter de l'Europe: Liszt, qui sut mettre en musique (dans les "Années de pèlerinage") ses multiples voyages suisses et italiens, mettre à l'honneur sa Hongrie natale, écrire les "Jeux d'eau à la Villa d'Este" de Tivoli, concevant sa vie tout entière comme un grand voyage rythmé de concerts de piano ou de jeux d'orgue. On y ajoutera Grieg et son "Concerto pour piano": le jeune Norvégien créa celui-ci au Danemark, après l'avoir montré à Liszt qui, l'ayant déchiffré, lui dit: "Vous avez trouvé le truc".
  2. S'immerger dans un pays de voyages. Le plus emblématique, le plus fréquenté: l'Espagne: "Symphonie espagnole" de Lalo, "Capriccio espagnol" de Rimsky-Korsakov, "Espana" de Chabrier, "Rhapsodie espagnole" de Ravel sans compter les compositeurs espagnols, Albeniz, Granados, Falla, Rodrigo, qui, eux, firent le voyage à Paris.
  3. Aller voir comment on voyageait à l'époque baroque: Mozart à Paris, Mozart à Prague, Telemann à Paris ou en Pologne, Haendel à Londres, comme Haydn, comme Jean-Chrétien Bach, et "Le grand tour" en sens inverse, ce voyage des jeunes insulaires anglais faisant le tour de l'Europe continentale. Quant à Jean-Sébastien Bach, jeune encore, il fait une marche de 400 kilomètres pour aller voir son maître Buxtehude. Le carnet de voyage est parfois celui d'un pèlerin.
  4. Un bus nantais de la "Folle journée" avec portraits de Mozart et Haydn C) Frank Perry, AFP

  5. Choisir de quitter l'Europe, étape supplémentaire: Saint-Saëns et son amour de l'Egypte ou du Maghreb (Concerto "Egyptien", Suite algérienne, cette Algérie où il mourut). L'Inde de Delage ou de Delibes, l'Amérique de Dvorak, l'Asie Centrale de Borodine, l'Ouest américain de Messiaen ("Des canyons aux étoiles"), le Japon de Stravinsky, le Brésil de Darius Milhaud et même, moins lointaine peut-être, la Russie de Debussy,
  6. Faire au contraire de petits sauts de puces car le voyage, c'est aussi aller dans un lieu où l'on se sent chez soi: l'inspiration de Brahms, qui vivait à Vienne, réveillée dans le pays voisin, la Suisse, au bord du lac de Thoune. L'amour du Viennois Mozart pour Prague. Les voyages sur les bords de Loire des musiciens de la Renaissance. Bizet composant les "Chants du Rhin", voire "Carmen" sans avoir jamais mis les pieds en Espagne (son seul voyage fut romain), Chopin le Polonais qui ne bougea guère de France et toujours dans les pays voisins: un peu d'Allemagne, un peu de Londres, un peu d'Italie, un peu de Baléares (où il écrivit les "Préludes"). L'imagination d'un créateur transcendant dans l'art son désir de voyage.
  7. Voyager enfin vraiment avec des musique d'ailleurs sans le prisme des grands musiciens. Musiques nues, directement venues des rives klezmer (Sirba Octet) ou tziganes de Roumanie (la fanfare Ciocarlia), de Corse (les chanteurs de "Tavagna"), du Japon (Eitetsu Hayashi et ses percussions)
  8. Considérer que le voyage est d'abord un état d'esprit, et il suffit d'un piano: "Album d'un voyageur" par Florian Noack, "Voyage imaginaire" par David Bismuth,  "Voyage de nuit" par Mara Dobresco, "Voyage-Paysage" par Gaspard Dehaene, "Après un voyage" par Kotaro Fukuma qui propose aussi un "Voyage sur l'eau" (douce) Sans oublier l' "Histoire d'un voyage" par Claire-Marie Le Guay: celui, illustré par Poulenc, du petit éléphant Babar.
  9. Ou suivre son instinct

L'ensemble anglais "Voces 8" en 2015 C) Georges Gobet

Deux conseils pratiques pour finir, pour ceux qui n'auraient pas encore trop l'habitude de l'ambiance particulière de la "Folle Journée": ne pas trop "serrer" les concerts. Il faut garder du temps pour se déplacer d'une salle à l'autre, et compter, quand il y a plusieurs oeuvres, des respirations entre chacune. Une heure et quart me paraît le délai minimum pour "enchaîner" deux concerts.

Enfin si l'on est désespéré de n'avoir pu trouver des billets, se rappeler qu'il y en a en revente soit aux guichets soit entre mélomanes (à l'entrée) car il y a toujours quelqu'un qui n'a pu venir, qui est malade, qui a pris deux horaires semblables, etc.

Je vous en dirai plus dès jeudi.

"La folle Journée", 25e édition, du mercredi 30 janvier au dimanche 3 février. Nantes (44000), à la Cité des Congrès, à l'Auditorium, au Lieu Unique et pour la première fois des concerts d'orgue à la cathédrale Saint-Pierre (le samedi)