J'ai déjà remarqué que Libération, entre autres organes de presse institutionnels, n'aime pas trop partager le droit d'informer, d'analyser, de commenter et de transmettre...
... Notamment avec les "internautes".
Vous savez, cette masse (populace?) de blogueurs et blogueuses, twittos, facebookeurs et facebookeuses, commentateurs et commentatrices de forums entre autres webchroniqueurs/chroniqueuses de médias participatifs, réduite sous ce terme générique d' "internautes" à la seule capacité des individus à se connecter à Internet.
Je me souviens du mot fleuri (pour ne pas dire ouvertement méprisant) de Gérard Lefort voulant défendre sa collègue Marcela Iacub, au moment de la sortie de son brillant essai sur la porcivité en contexte hôtelier : il nous avait appelé-es, nous qui avions l'audace de prendre le clavier pour autre chose que crier au génie, de "gueulards du web". C'est ça, nous sommes la manifestation informe de ceux qui braillent sous les fenêtres des rois et des seigneurs, des patrons et des maîtres. Notre beuglement est inaudible, quoique trop bruyant encore pour le journaliste, le vrai, qui essaie de se concentrer sur un sujet aussi compliqué que la morsure auriculaire en tant que dynamique symbolique de l'impossibilité de l'agression à l'ère de la libération sexuelle.
Nous "gueulons", donc, nous autres "internautes". Nous faisons du "forcing" aussi. C'est ce que titre aujourd'hui Libération, reprenant une dépêche AFP (parue sous un titre nettement moins orienté*), à propos des initiatives lancées pour aborder la question de la place des femmes au Panthéon sur divers médias on-line (oh pardon, j'ai utilisé le mot "médias" pour parler de blogs, de pétitions en ligne, de sites Internet invitant leurs utilisateurs à donner leur avis - Pour Mediapart et Rue 89, on a le droit de dire "médias" ou il faut aussi dire "internautes"? ).
Non, non, nous ne donnons pas notre avis, nous n'exprimons pas des aspirations personnelles et/ou collectives, nous ne proposons pas des arguments (éventuellement) pertinents pour alimenter la réflexion et la discussion. Nous faisons du "forcing". Nous tentons de passer par les voies illégitimes. Il ne faudra donc pas se laisser impressionner plus que ça. D'ailleurs, le Président du Centre des Monuments Nationaux, dont dépend le Panthéon, interrogé par l'AFP, se veut rassurant : "Ce n’est pas un sondage au sens scientifique du terme" "tient à rappeler" Philippe Bélaval. Ouf, on a eu chaud! Heureusement que c'est pas "scientifique", que c'est pas sérieux. Alors, c'est juste pour la poilade? Pour occuper le temps des "internautes"? Pour distraire les féministes qui n'ont, c'est bien connu, que ça à faire, que de réclamer qu'on promène des cendres dans Paris, du 8ème arrondissement (où repose actuellement Olympe de Gouges, par exemple) au 5è (où se trouve le Panthéon)?
Car, pour le malheur de certains médias à la papa, "internaute" se dit aussi au féminin. Et peut-être un peu trop souvent au féministe.
Zut, alors, on avait réussi à capter la majorité du pouvoir dans les grands médias (comptez avec moi les patronnes de grandes chaînes audiovisuelles et les directrices de la publication de grands - et moins grands - journaux d'information généraliste. Non, non, c'est bon, une seule main suffira). Voilà donc les femmes qui rentrent (au "forcing"?) par la fenêtre du web. Et que ça crée des journaux en ligne (comme l'excellentissime "Les Nouvelles News"), et que ça blogue (comme ici, mais aussi là, là, là, là et là, parmi des dizaine de - bons - exemple) , et que ça s'essaie à la tribune sur le Plus de l'obs (comme là, là ou là) ou sur la plateforme participative "Express Yourself" de l'Express (comme j'ai pu le faire sur Madame/Mademoiselle, par exemple, avant d'être invitée à m'exprimer ici)...
Bien vu, les filles, vous êtes vraiment débrouillardes, vous avez décidément le sens pratique. Comme vous avez vu su faire du cinéma muet avec trois bouts de ficelle avant que le cinéma devienne une industrie, une vraie, avec des moyens, des enjeux, des responsabilités (qu'il aura été donc préférable de confier à des hommes), vous voilà maintenant jouant à faire de l'information, de l'analyse et du commentaire avec une simple connexion à Internet.
C'est mignon comme tout, ces "femmes savantes" qui tiennent salon sur le web, même si ça "gueule" parfois un peu trop, même si ça tente de faire "du forcing"... Mais ne vous leurrez pas non plus, Mesdames, car au fond, l'AFP et Libération, les médias, les vrais, les institutionnels, vous le rappellent à toutes fins utiles : vous n'êtes que des "internautes".
* Le titre original de l'AFP : "les internautes aussi réclament des femmes au Panthéon"