Les hommes en talons de Sarenza & Marie-Claire : l'anti-sexisme à côté de ses pompes?

camille-talons-286x300Teasing : il y a quelques jours sur le site Internet d'un mensuel fém-hiiiii-nin et d'un marchand de chaussures en ligne : une photo d'escarpins vernis à talons hauts en pointure environ 45, peut-être même 46 ou 47.

Attention, slogan énigmatique : "Devinez qui porte ces chaussures?". Pour les gourdasses qui n'ont pas plus de vivacité d'esprit qu'une semelle de godasse, petit indice visuel : un looooong bras poilu pendouille comme un koala moelleux entre les deux panards.

Devine qui a du poil aux pattes?

 

Oh! Nom d'une bobine! Me dites pas que, arrêtez, ce serait un... Noooon? Siiiiii? Un mec! Un mec en talons? Un travelo, peut-être, après tout, c'est pas bête de la part du marchand de shoes de diversifier sa clientèle, en période de crise. Hin hin hin (rire mi-gêné mi-méprisant dès que l'on évoque la question transgenre).

En théorie de la pub, le teasing précède... La révélation! Attention, vous allez en avoir une sacrée de révélation : pour le 8 mars, huit hommes ont accepté de se faire photographier en talons aiguilles pour lutter contre le sexisme. Aaaah! Les chics types!

Le premier, c'est Camille Lacourt. C'est plutôt sympathique et assez esthétique. La photo est pro, le nageur est beau et aussi vrai que j'aime les femmes en pantalon, je rêve de voir des hommes endosser vêtements et accessoires réputés féminins parce que je trouve que souvent, ça leur va bien.

Comme un caillou dans l'escarpin de l'anti-sexisme

Là où il y a comme un caillou dans l'escarpin, c'est que cette série est annoncée par Marie Claire et son partenaire comme une campagne de mobilisation pour les femmes et contre le sexisme. Or, j'ai comme un doute sur le caractère anti-sexiste de cette petite galerie d'hommes bien chaussés.

Il y a un an presque jour pour jour, Marie Claire faisait la même opération dans le sens inverse : des femmes d'influence (politique, économique, intellectuelle, sportive) avaient accepté de se grimer pour répondre à la question "M'aurait-on traitée différemment si j'avais été un homme". Rachida Dati était gominée, Hélène Darroze portait un collier de barbe fourni de syndicaliste des années 1970, Florence Arthaud une grosse moustache à faire pâlir de jalousie José Bové... Le doute n'était pas permis : elles aussi "jouaient le jeu" du déguisement "en hommes", en s'appropriant le temps d'un shooting les attributs les plus superficiels des hommes.

Le talon aiguille rouge, symbole de la féminité, vraiment?

couv-mc-727Cette question des attributs de genre me chatouille (pas que la plante des pieds) car l'exercice du travestissement renvoie presque systématiquement à la caricature des genres, au partage défini de ce qui appartient aux hommes et de ce qui relève de l'univers des femmes.

Christine Leiritz, directrice de la rédaction du magazine, ne semble d'ailleurs pas du tout remettre en question cette dimension, déclarant dans son édito que l'escarpin rouge a été choisi précisément parce qu'il représente "l'ultra-féminité".

Est-ce le talon aiguille (rouge de surcroît), la jupe droite ou le gloss à lèvres qui fait la femme? Est-ce la cravate, la moustache ou le collier de barbe qui fait l'homme?

On en revient toujours au fond à l'idée que les hommes et les femmes ont chacun leurs rôles à "jouer". Quand ils intervertissent les costumes, ce n'est que pour un temps, que pour un événement donné, que pour faire le spectacle. L'homme joue à la femme quand il fouille dans sa penderie pour lui piquer ses talons. La femme joue à l'homme quand elle se colle une moustache postiche. C'est prêté, mais pas donné. Et le reste surtout ne s'échange pas. La sensualité reste du domaine des unes, l'autorité du domaine des autres, le charme du domaine des unes, le charisme du domaine des autres, la séduction du domaine des unes, la conviction du domaine des autres, l'influence du domaine des unes, la décision du domaine des autres.

 

Polarités féminines, polarités masculines : en chacun-e de nous, réconcilions-les!

IMG_0165Pourtant, en interrogeant des dizaines de personnes (essentiellement du monde de l'entreprise) sur la question de l'égalité professionnelle, j'ai recueilli nombre de témoignages d'hommes et de femmes disant leur lassitude d'être confronté-es pour les uns à l'obligation sociale d'être viril et pour les autres à celle d'être féminine, selon des critères stéréotypés.

Je les ai entendus assumer pour leur part une double polarité, "féminine" et "masculine". J'ai entendu des hommes dire leur envie d'exprimer davantage leur polarité "féminine" sans être soupçonnés ni d'homosexualité rentrée ni de faiblesse, ni d'insincérité. J'ai entendu des femmes dire leur envie de donner de la voix à leur polarité "masculine" sans qu'on enquête sur leur vie privée (ont-elle un Jules, des gosses? Le cas échéant, sont-elles de bonnes compagnes ou de bonnes mères?), sans être taxées de "pire qu'un mec" quand elles lèvent le ton ou tranchent dans le vif, sans se faire traiter en Précieuses ridicules quand elles font valoir leur intelligence et leurs compétences avec une juste assurance.

Tous ces hommes et toutes ces femmes ne réclament pas le droit de porter des talons hauts ou de se transformer en femme à barbe, bête de foire s'il en est. Tous ces hommes et toutes ces femmes ne cherchent pas à s'approprier les attributs de "l'ultra-féminité" (sic) ou de l'ultra-masculinité. Ils et elles demandent juste à être eux-mêmes et elles-mêmes, sans masque ni travestissement. Ils et elles veulent réconcilier toutes les facettes de leur personnalité et faire de leurs polarités diverses une vraie richesse de personnalité.

Bref, être bien dans leurs pompes.