Il parait que Facebook va serrer un peu la vis. Sur les contenus haineux et sexistes. Enfin, pour l'heure, on en est encore au stade de l'intention de prendre des engagements.
Mais les masculinistes sont déjà sur le pied de guerre et avant d'avoir mal, ils crient déjà à la censure. Queuhoi? On veut restreindre leur liberté d'expression? C'est dégueulaaaaaasse! C'est encore un coup du lobby hystéro-malbaiso-féministe qui infuse la théorie du genre dans les esprits, pratique "le sexisme à l'envers" et menace d'une prise de contrôle du monde par une armée de castratrices le sécateur entre les dents!
Le masculinisme, ce faux miroir du féminisme
Le masculinisme, pour qui n'est pas complètement averti-e des questions d'égalité femmes/hommes, c'est une rhétorique bien tentante. Le mouvement se présente comme un miroir du féminisme, désireux de lutter contre le sexisme anti-hommes. Comme si le sexisme n'était pas toujours anti-femmes ET anti-hommes, par nature, puisqu'en tant que vision stéréotypale des genres, il impose évidemment à tout le monde des injonctions entravant la liberté pour tous d'être soi. Après tout, on n'a pas trop de bras pour lutter contre le sexisme sous toutes ses formes et s'il y a de bonnes raisons de défendre les droits des femmes, pourquoi n'y en aurait-il pas de défendre parallèlement ceux des hommes?
Et les masculinistes de répondre aux chiffres de la violence sexuelle et conjugale (89% des personnes violées sont des femmes, 75% des personnes victimes de violences familiales sont des femmes et elles représentent 84% des personnes décédées sous les coups d'un-e conjoint-e ou ex-conjoint-e), des inégalités salariales (les femmes gagnent 27% de moins que les hommes) ou de la répartition des taches domestiques (les femmes assurent 63% du temps consacré par le couple aux taches domestiques) par ceux de la grande précarité (64% des SDF sont des hommes), de la population carcérale (96% des personnes détenues sont des hommes), des domiciliations d'enfants en cas de divorce (28% des pères ont la garde de leurs enfants et 34% des hommes divorcés ne verraient plus du tout leurs enfants)...
La tentation masculiniste des hommes démunis
Alors, naturellement, leur discours rencontre un certain écho auprès de tous les hommes démunis, socialement, affectivement, financièrement et/ou culturellement et il conforte volontiers l'idée chez ceux qui vivent une situation particulière douloureuse que c'est la montée en puissance des femmes qui est directement responsable de leurs malheurs. Il y faut bien un coupable. Et l'humain est ainsi fait que quand la bête est blessée, elle tape sur ce qui passe à la portée de ses poings même si les vrais coupables sont ailleurs (les victimes de violence conjugale sont là - ou plus là, justement - pour en témoigner).
C'est précisément le premier reproche que l'on peut faire aux masculinistes, celui de s'engouffrer avec cynisme dans des contextes scabreux au possible et d'en faire leur miel, pour servir non pas l'égalité mais bien une idéologie anti-féministe.
Pas une défense des droits des hommes, mais une farouche opposition à la montée en puissance des femmes
Car plus qu'ils ne défendent les droits des hommes, les masculinistes s'inscrivent avant tout dans une farouche opposition aux féministes.
Ils aiment à les caricaturer en hystériques montées sur ressorts (lire à ce propos l'excellent billet du Marie-Couche-Toi-Là-Gang paru hier sur rue 89), à les résumer hier aux Chiennes de Garde et aujourd'hui aux Femen, à les présenter comme de dangereuses activistes qui mettent gravement en péril les structures de la société...
Masculinisme n'est jamais que le nouveau nom de machisme
Et c'est bien l'enjeu, car ce que défendent au fond les masculinistes, c'est la préservation d'un système social qui renvoie les femmes et les hommes à des assignations traditionnelles (voir par exemple les allégations d'une des idoles de ce mouvement, Zemmour, que je citai dans un récent billet). Ce en quoi, ils sont précisément et profondément sexistes. Les femmes sont des femmes, les hommes sont des hommes, chacun-e à sa place et les fondations patriarcales de notre civilisation seront bien gardées.
En d'autres termes, le masculinisme, c'est juste le nouveau nom du machisme.
Femmes et masculinistes : les Antigones (qui n'ont pas lu Sophocle)
Ce n'est d'ailleurs pas réservé à un collectif d'agités misogynes, de frustrés qu'être encadré-s par une patronne plutôt que par un homme heurtent dans leur virilité, de dragueurs éconduits par une bêcheuse ou de papas capables de terroriser leurs propres enfants en menaçant de se jeter d'une haut d'une grue sous les caméras de télévision pour faire plier un-e juge des affaires familiales...
Il y a aussi des femmes masculinistes : les Antigones (qui ont juste oublié de lire Sophocle avant de se choisir un nom), étroitement liées au mouvement identitaire (lequel ne véhicule pas que de l'anti-féminisme, au passage...), en sont aussi : en se définissant comme "filles de leurs pères" (mais pas de leurs mères), "épouses de leurs maris" (mais pas soeurs ou amies des autres femmes) et "mères de leurs fils" (leurs filles comptent-elles pour du beurre?), elles ont à coeur de lutter contre toute forme d'évolution de la société qui serait favorable à une autre vision de la femme que "complémentaire" de l'homme.
Liberté d'expression ou coprolalie?
Alors, tous ces gens-là ont-ils le droit de s'exprimer, sur facebook et ailleurs? La loi française, qui en matière de liberté d'expression, ne restreint que la diffusion de propos xénophobes, antisémites et négationnistes, ne les en empêche aujourd'hui pas.
Avant de savoir s'il faut le regretter ou souhaiter que la loi évolue, quelques rappels utiles sur ce qu'est cette liberté fondamentale s'imposent : liberté d'expression n'est pas coprolalie.
La liberté d'expression est corrélée à la liberté d'opinion, laquelle relève de la liberté de raison. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Kant. Certes, Kant n'est pas toute la vérité philosophique, mais il suffit d'en revenir à un peu de bon sens pour savoir qu'il y a de la responsabilité dans toute liberté, de la même manière qu'il y a du devoir dans tout droit. Et en l'occurrence, le devoir de la liberté d'expression, c'est de participer au débat et de le faire progresser utilement.
Ce qui signifie que la liberté d'expression n'est pas un chèque en blanc pour l'insulte ni pour toute forme de haine verbale.
Donc, effectivement, s'il reste autorisé aux masculinistes de faire connaître leur opinion, on ne peut pas parler de censure quand on signale à ceux qui écrivent, comme je l'ai vu pas plus tard qu'hier sur un mur Facebook que "Marion Bartoli a un physique de caissière de Franprix", comme j'ai lu au sujet de Margarita Louis-Dreyfus qu'elle allait "abouler vite fait le fric, salope" ou qu'il "faudrait punir d'excision les féministes qui s'offusquent de l'excision (...), ces connasses qui n'ont jamais joui de leur vie et qui tiennent au clitoris des autres comme à la prunelle de leurs yeux" (citation sur le mur d'une communauté anti-féministe) et j'en passe, que oui, ils franchissent la ligne rouge et que leur mépris, leur agressivité, leurs tentatives d'intimidation, leurs menaces constituent bien en soi une inadmissible violence faite aux femmes.
Merci à E.J. qui m'a encouragée à écrire ce billet.