Divorce et abstinence : les hommes qui passent l'aspi sont-ils promis aux pires souffrances?

Quand je pense qu'il y a des chercheurs et des chercheuses qui se cognent un boulot d'enquête monstrueux, analysent finement leurs résultats et proposent des hypothèses sérieuses...

Pour qu'à l'arrivée, on résume leur travail à des équations aussi caricaturales qu'insidieuses.

 

Le divorce a plus à voir avec l'indépendance financière qu'avec les tâches ménagères

Ainsi, a-t-on eu droit, en septembre dernier, à la couverture médiatique la plus navrante qui soit de l'étude de Nova, Institut de Recherche Norvégien en sciences sociales, sur le divorce.

Les auteur-es de l'étude constataient une proportion plus importante de divorces dans les couples égalitaires où le partage des tâches ménagères est le plus équitable... Il n'en a pas fallu davantage pour que les titres vengeurs s'affichent à la une de nos journaux : "Homme tâtant du balai, divorce assuré", "votre homme fait le ménage, divorce en vue", "Homme au balai divorce à la clé", "Balayer plus pour divorcer plus?" et on en passe. A l'origine de cette interprétation courte de vue et basse de front de l'étude norvégienne, il y avait, selon Les Nouvelles News, une dépêche AFP titrée à gros traits "Plus un homme aide à la maison, plus il risque le divorce".

Il est bien dommage que les rédacteurs et rédactrices qui ont relayé l'info n'aient pas lu le papier de l'AFP en entier et moins encore les travaux complets publiés par Nova. Ils y auraient appris par exemple qu'un homme qui passe l'aspi n'est pas plus malheureux en ménage, mais qu'il appartient le plus souvent à une catégorie socio-professionnelle plus élevée et que c'est souvent, de ce fait, un homme dont la compagne travaille. Aussi, elle dispose d'une certaine indépendance financière qui permet au couple d'envisager la rupture s'il ne s'entend plus.

N'allez donc pas croire que les hommes et les femmes vivent une meilleure harmonie conjugale quand c'est bobonne qui récure, comme le laissent entendre les titres de presse cités ci-dessus. C'est juste que pendant qu'elle torche, éponge et lessive, ladite bobonne n'est pas en train de gagner sa vie par elle-même. Donc, non, on n'est pas plus heureux-se quand on se répartit le boulot de façon inégalitaire, on a seulement moins d'opportunités d'échapper à la mésentente, à l'ennui et au désamour dans le couple.

Rebelote : après le divorce, c'est la ceinture dont le balai est responsable

Normalement, ce gros contre-sens pas professionnel pour un sou aurait du faire réfléchir un peu les journalistes société sur la façon dont ils abordent ce type de questions.

Sauf que rebelote aujourd'hui. On apprend dans nos journaux que passer l'éponge et faire la poussière, c'est la garantie pour un mec de faire ceinture. Et c'est parti pour le grand délire des titres réducteurs et édifiants : "Sexe ou tâches ménagères, un choix à faire", "serpillère et sexe ne font pas bon ménage", "Pas ce soir, Chérie, j'ai fait le ménage". Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, c'est encore une dépêche de l'AFP intitulée "Plus un homme marié accorde de temps aux tâches ménagères, moins il a de relations sexuelles" qui fait le buzz.

Ce coup-ci, on s'appuie sur (enfin, c'est un grand mot pour dire qu'on parcourt en larges diagonales) une étude parue dans l'American Sociological Review. Où l'on constate effectivement une moindre fréquence des rapports sexuels dans les couples égalitaires, mais où les auteur-es interrogent avec une indispensable pertinence le poids des codes de la séduction et de la sexualité. Ou quand l'obligation faite aux hommes d'être virils, d'être des mecs, des vrais (une injonction portée par les hommes eux-mêmes mais aussi par le regard des femmes dans un contexte social hautement stéréotypé) vient dicter leur conduite au lit. Quand, dans cet espace intime qui devrait normalement être réservé à l'expression de ses désirs profonds, on est rattrapé par les repères et les marqueurs sociaux.

Interroger les codes du désir pour faire mieux l'amour

Alors oui, il n'est pas impossible que l'homme qui passe le balai et étend les bodys du petit dernier soit inconsciemment interrogé sur l'idée du désir qu'il inspire, sans que cela signifie pour autant qu'il n'en inspire pas à sa partenaire. Il se peut qu'il manque de repères pour approcher ces formes du désir et se les approprier, quand la vie de couple ne s'inscrit pas dans les schémas traditionnels. Donnons-les leur, ces repères : disons à nos hommes qu'on les aime et qu'on les sublime même quand ils nettoient la baignoire, qu'on les désire même quand on les a vus avec une éponge à la main!

Car d'une, ce n'est pas l'éponge en soi qui est un tue-l'amour, si j'en crois la permanence de la figure de la soubrette dans l'imagerie pornographique ordinaire : la femme qui époussette est un sex-symbol, alors pourquoi pas l'homme qui fait les carreaux? Et de deux, questionner son désir et celui qu'on provoque n'est pas forcément une mauvaise chose, quand on parle de sexe.

Questionner le désir, c'est aussi interroger ses envies, découvrir ses fantasmes insoupçonnés, imaginer d'autres façons de faire l'amour, s'ouvrir à d'autres visions et d'autres pratiques du sexe et se libérer de l'emprise sociale sur son corps. C'est même tout ce que recommandent les experts sexologues et les coachs amoureux : oser s'aimer différemment, changer les positions et intervertir les rôles, transgresser les codes (à l'exception de celui du consentement mutuel, s'entend) pour entretenir et renouveler le plaisir.

Alors moi, je crois, oui, que les hommes qui envisagent d'autres rapports avec les femmes quand ils sont habillés peuvent aussi prendre un pied incroyable quand ils sont tout nus contre nous. Et je les encourage à faire confiance à leurs compagnes pour les désirer encore plus et encore mieux quand ils les traitent d'égal à égale.