Cd: de Wagner à Mahler la révélation Lise Davidsen, la "crème Chantilly" Renée Fleming

Mademoiselle Davidsen C) Ray Burmiston

Les amateurs de voix auront pu confronter deux Cd parus avant l'été sous le même label, Decca, l'un d'une star, Renée Fleming, l'autre d'une jeune femme de 32 ans dont on commence à beaucoup parler, Lise Davidsen. L'une avec les qualités... et les défauts, des stars. Quant à l'autre, Lise Davidsen, c'est une absolue révélation!

Révélation d'un timbre

Brahms, Wagner, Schumann, Mahler, Richard Strauss: à elles deux le meilleur du chant germanique. Mais le poids et la qualité ne sont pas les mêmes; et la balance penche vers Lise Davidsen. Je vais joindre ma voix à ceux qui déjà l'encensent, la considérant comme une des révélations (la révélation?) lyriques de ces dernières années. La jeune femme, 32 ans, commence à tourner avec soin dans les festivals: le rôle d'Ariane à Glyndebourne en 2017, à Aix-en-Provence en 2018, le rôle d'Elisabeth de "Tannhäuser" à Bayreuth cette année. Rôles dont elle nous donne un aperçu sur son Cd, qui contient d'autres merveilles.

On l'a comparée, parce qu'elle est norvégienne, qu'elle a grandi loin des villes, à la légende Kirsten Flagstad. Flagstad, immense wagnérienne mais qui créa aussi les "Quatre derniers lieder" de Richard Strauss. Mais si l'on voulait pinailler on dirait que Flagstad est wagnérienne avant d'être straussienne, Davidsen l'inverse. Pas seulement de voix mais aussi de goût, elle qui a consacré une thèse de musicologie aux lieder de Richard Strauss, justement.

Lise Davidsen C) Ray Burmiston

Beauté plastique absolue

Cela ne vous donne pas forcément la voix pour. Et pour Wagner non plus. Or les deux extraits de "Tannhäuser"  nous fascinent, et d'abord par les qualités plastiques du timbre: souple, naturel, ambré, d'une parfaite égalité sur toute la tessiture. Et avec une expressivité retenue. Le premier air, "Dich, teure Halle", où Elisabeth est tout à la joie de son amour, Davidsen y met une pointe de mélancolie, annonciatrice du second air, "Allmächt'ge Jungfrau!", où la jeune femme a compris qu'elle a perdu Tannhäuser, celui qu'elle aime. Tristesse diffuse, qui manque peut-être un peu de spectaculaire, très bien soutenue par Esa-Pekka Salonen à la tête du Philharmonia Orchestra.

Aigus glorieux dans Strauss

Mais les Wagner sont presque un beau hors-d'oeuvre, comparés à la splendeur qui arrive ensuite, le "Es gibt ein Reich" d' "Ariane à Naxos", absolument somptueux: de la pauvre Ariane qui envisage la mort presque comme une délivrance bienheureuse, Davidsen fait une héroïne aux graves somptueux, aux aigus glorieux, avec quelque chose de voluptueux dans la fin qu'elle s'imagine, telle une Thérèse d'Avila en extase à l'idée de la vie éternelle. L'adéquation de Lise Davidsen avec l'univers pas toujours aisé de Richard Strauss se confirme avec six lieder où elle est magnifique d'évidence, de rayonnement, de tendresse, du célèbre "Cäcilie"  au peu connu "Malven", en passant par un "Ruhe, meine Seele!" d'une infinie tristesse, auquel Salonen, parfait comme son orchestre, confère les accents désolés d'un Sibelius (et quelle beauté dans l'introduction au violon solo de "Morgen"! Et quelle merveille en demi-teinte que le "Wiegenlied!")

C) Ray Burmiston

Les "Quatre derniers lieder", pure merveille

Ce cd magnifique s'achève sur les "Quatre dernier lieder", qui trouvent ici une de leurs plus belles versions. Le si difficile "Frühling", à la tessiture incertaine, trouve une Davidsen en apesanteur, le chant s'épanouissant comme dans un ciel ensoleillé d'automne avec une évidence et une pureté qui laisse sans voix. Mais Davidsen, qui ressent l'univers straussien comme peu de cantatrices avant elle, n'oublie jamais d'ombrer son chant d'une vraie tristesse (au contraire d'une Elisabeth Schwarzkopf, référence dans cette oeuvre, au chant solaire et un peu glacé), consciente que la mort (et d'abord celle de Strauss) se cache dans l'ombre derrière les jours de "Septembre" ou d' "Im Abendrot" (Au soleil couchant) Et Salonen, là encore, fait un magnifique travail, alliant volupté orchestrale et profonde angoisse. Oui, un Cd miraculeux, que tout mélomane, même le moins straussien d'entre nous, se doit d'avoir.

Trop de crème Chantilly...

On est plus réservé sur le Cd de Renée Fleming, selon le principe que le mieux est l'ennemi du bien. Ou plus exactement il arrive à Fleming que les qualités de sa voix, poussées à l'extrême, font basculer son chant dans un excès de chantilly ("de la Chantilly" , c'était ainsi que le chef George Solti avait qualifié le timbre de la chanteuse) qui, d'ailleurs, et paradoxalement, conviendrait plus à certains Strauss qu'aux compositeurs qu'elle aborde.

Renée Fleming C) Timothy White

Certes la voix est toujours là, et les amateurs de Fleming pourront encore se pâmer devant ce gosier ensorcelant aux aigus somptueux, même si l'on sent désormais (c'est bien normal) l'effort pour les préparer. Mais peut-on chanter les "Rückert Lieder" de Mahler ainsi, avec une volupté vocale que Fleming songe parfois à estomper ("Liebst du um Schönheit") mais c'est alors en y mettant un pathos excessif? On sent d'ailleurs (voir le dernier de ces chants, le "Ich bin der Welt abhanden gekommen") qu'elle ne sait pas très bien comment aborder un univers qui ne lui est pas très familier, peu aidée par un Christian Thielemann qui sculpte son orchestre philharmonique de Munich avec soin, sans se préoccuper de guider sa chanteuse.

Des Brahms et du sucre

Les huit lieder de Brahms la trouvent aussi en difficulté. Difficulté de tessiture parfois, ou de passages de registres; difficulté aussi à trouver un ton, à ne pas en faire trop, dans la sentimentalité ou dans le drame. Si l'on était méchant (mais l'est-on?) on dirait "c'est à l'américaine", avec cette propension à l'excessif, aussi bien dans les glaces trop sucrées que dans les numéros d'handicapés qui vous valent un triomphe aux Oscars... ou dans une voix Chantilly cette fois peu recommandée aux diabétiques! Dommage car ces lieder, joliment choisis, sont-ils si connus, si défendus?

C) Timothy White

Reste le cycle de Schumann, "L'amour et la vie d'une femme", où, malgré ses excès stylistiques, Fleming peut s'appuyer sur une vraie structure au long de ces huit (aussi!) lieder et faire basculer son chant de la joie feutrée à l'accablement d'une veuve (mais est-ce adéquat de mettre, dans le "Nun hast du mir..." de la veuve, le pathétisme d'un Verdi?) Quant à l'accompagnement d'Hartmut Höll, il est parfois excessivement sonore et globalement peu nuancé ( sur un piano qui sonne bien dur)

On l'a compris, Davidsen for ever (on l'espère) et Fleming seulement pour ses aficionados...

Lise Davidsen, soprano: Wagner:"Tannhäuser", 2 extraits. Richard Strauss: "Ariane à Naxos", extrait. 6 Lieder. "Quatre derniers lieder". Avec l'orchestre Philharmonia, direction Esa-Pekka Salonen. 1 Cd Decca.

Renée Fleming, soprano: Brahms: 8 Lieder. Schumann: "L'amour et la vie d'une femme". Mahler: "Rückert Lieder". Avec Hartmut Höll, piano (Brahms, Schumann) et l'orchestre philharmonique de Munich, direction Christian Thielemann (Mahler). 1 Cd Decca