Prodige, cela fait quelque temps qu'on le dit. Ou "le nouveau Yehudi Menuhin". Daniel Lozakovitch, suédois comme son physique ne l'indique guère, était l'autre jour à la Fondation Louis-Vuitton pour un récital en solo mêlant Bach à Paganini et d'autres pièces virtuoses. Prélude d'un été où l'on pourra l'entendre souvent.
"Le nouveau Menuhin"
Le nouveau prodige du violon, le nouveau Yehudi Menuhin, l' "archet prodige": cela fait deux à trois ans que Daniel Lozakovitch est couvert de surnoms dithyrambiques et qu'il les assume de concert en concert, concerts dans des lieux de plus en plus prestigieux, avec des partenaires de plus en plus célèbres. Dans le "Concerto pour deux violons" de Bach, Shlomo Mintz d'abord, Renaud Capuçon ensuite, et cela c'était dès 2016. Il était l'autre jour à la Fondation Louis-Vuitton, tout seul. Dans un programme bien composé, la musique d'abord, la virtuosité ensuite. Les deux ne s'excluant pas.
Un jeune violoniste bien sérieux
Il entre, long corps mince sanglé dans un costume noir impeccable, chemise blanche et cravate noire. On dirait un collégien anglais qui vient d'obtenir son prestigieux diplôme, n'était qu'il n'a pas l'air anglais du tout. Ni suédois, lui qui est né à et est citoyen de Stockholm. Plutôt asiatique, discrètement. On lit que ses parents sont venus de Russie, sans doute côté Caucase. On pourrait le croire un de ces prodiges que nous envoie par concours entiers l'Extrême-Orient, mais non plus. Et, en l'écoutant quelques minutes, on s'aperçoit vite, immédiatement charmé que l'on est, qu'il est lui-même: 17 ans, sérieux comme à cet âge (je l'ai déjà dit, l'intuition de Rimbaud est souvent démentie!) mais, on l'espère, peu impressionné par la présence au centre de la salle de Bernard Arnault et de l'ancien ministre des finances, Thierry Breton (qui est Thierry Breton pour un jeune Suédois qui parcourt le monde?)
L'ange gardien Bach
Peu impressionné parce que lui a un allié, une sorte d'ange gardien: Jean-Sébastien Bach. La "Partita numéro 2", une sorte d'acmé du violon. L'impressionnante et admirable "Partita n°2", dont il entame l' "Allemande" et, d'emblée, on est frappé par la souplesse des attaques, le son plein, jamais appuyé, et aussi, au bout de quelques minutes, par l'égalité de la sonorité dans tous les registres. Le son de Lozakovitch s'épanouit, retombe, se réduit, les diminuendos forment des sortes d'échos. La "Courante" change de climat, très vive, très énergique, avec un beau sens du rebond de la phrase, bien sûr cela pourrait sourire davantage mais Lozakovitch ne sourit pas, conscient qu'il est du monument qu'il affronte.
Quand jouer Bach?
Et justement, c'est très beau et très judicieux: à aucun moment ce garçon de 17 ans, si doué, ne cherche à nous faire croire qu'il peut tout déchiffrer de Bach. Toutes les intentions, tous les arrière-plans, toutes les nuances, toute la philosophie. "J'ai 17 ans, nous dit-il par son jeu. Ne me demandez pas encore ce que je ne peux vous donner, même si, en regardant mes compositeurs favoris jusque là, vous y verrez Bach-Mozart-Beethoven. Les trois plus grands, ceux où la musique demande bien autre chose" Et pourquoi ne pas jouer Bach à 17 ans, ce que s'interdisent parfois d'autres violonistes parce qu'ils ne se sentent pas prêts (c'est d'ailleurs davantage vrai des violoncellistes)? Pourquoi pas, si c'est une étape? Ou alors cela voudrait dire qu'il faut, à 17 ans, en rester à la pure virtuosité de peur d'abîmer la musique?
Enfin, la "Chaconne"!
La "Sarabande" est intime, presque triste, avec une fin murmurée, un peu tremblée, d'autant plus émouvante. Dans la "Gigue" son clair, parfaite virtuosité, pureté de la ligne musicale. Parfois une note un peu (trop) rapide. Quasi rien. Et, très joliment, Lozakovitch rend cette joie austère typique de Bach, du protestant Bach, du cantor Bach, même si les "Partitas" datent d'avant Leipzig, d'avant Saint-Thomas.
Enfin la fameuse, immense "Chaconne" (dont Brahms fit une si belle transcription au piano): on a entendu début plus contrasté, plus majestueux. Les sons ne sont pas toujours beaux. On s'inquiète. Mais c'était un trac passager: celui d'un jeune homme qui affronte le plus difficile et qui a le droit d'avoir peur. La confiance retrouvée (en ses formidables moyens), on admire la musique qui monte vers nous comme improvisée, un jeu "sur la corde" superbe. Lozakovitch trouve des effets sur certaines notes qui donnent le sentiment d'un combat du violon contre lui-même et s'il ne met pas assez en relief la reprise du thème, il mène les dernières mesures vers une sorte d'extinction fantomatique qui est déjà celle d'un jeune maître.
On se souvient alors que Menuhin avait, rare parmi les violonistes de son temps (et de toute façon ces "Partitas" avaient disparu du paysage jusqu'à la fin du XIXe siècle), enregistré très tôt (à l'âge actuel de Lozakovitch ou même plus tôt encore) ces oeuvres, y revenant sans cesse et les jouant en concert tout le long de sa vie. "Le nouveau Menuhin" fera-t-il de même?
De la virtuosité en chemise noire
La seconde partie n'est évidemment pas du même niveau musical. Lozakovitch a laissé son costume et sa chemise blanche pour une simple chemise noire. Dans le "Récitatif et Scherzo-Caprice" de Kreisler, qui est un morceau de bravoure, il réussit à mettre beaucoup de musique, sans exacerber les contrastes (superbes couleurs dans les graves) mais en accentuant le côté hongrois. L'archet saute de corde en corde mais il y a toujours de la musique dessous et on le doit aussi à Kreisler lui-même.
Deux "Caprices" de Paganini, le 21e qui, aussi bien joué soit-il (et il l'est), reste un exercice de style. Le "24e", c'est autre chose. Pris très vite en plus. Parfait d'articulation, follement virtuose dans les "pizzicati": Lozakovitch ose enfin nous dire: "Regardez, écoutez ma virtuosité". Il se trouve que c'est exactement là qu'on l'attendait, avant ce passage dans l'extrême aigu qui résonne comme une plainte... pleine de musique.
S'amuser à 17 ans
Le "Paganiniana" de Nathan Milstein, variations sur différents thèmes de Paganini, commence par le "24e Caprice" Il y a des passages où l'archet effleure la corde pour en tirer des notes "fantômes", d'autres plus martiaux où Lozakovitch n'hésite pas à "salir" le son, oh! à peine, pour retrouver une sorte de sauvagerie démoniaque, à la Paganini. L'oeuvre n'est, de toute façon, guère fondamentale. Mais, à 17 ans, on peut s'amuser.
Enfin!
Récital Daniel Lozakovitch, violon. Oeuvres de Bach, Kreisler, Paganini, Milstein. Fondation Louis-Vuitton, Paris, le 28 juin.
(Le 1er juillet, Lozakovitch jouait à Saint-Denis le "Concerto" de Beethoven, le 6 juillet à Evian celui de Tchaïkovsky. Deux concertos de haute virtuosité, l'un plus ardent, l'autre (le Beethoven) de pure musique. Et, pour le diriger, deux chefs parmi les plus demandés de notre époque, Gergiev et Salonen. Si on ne l'avait pas entendu dans ce Bach, cela nous en dirait assez sur la maturité du garçon)
Ce lundi 9 juillet, Lozakovitch sera au festival de Colmar pour y jouer deux concertos, le 3e de Mozart et le 1er de Max Bruch. Il faudra ensuite passer la frontière pour le suivre... en Suisse: Verbier les 19 ("Introduction et Rondo Capriccioso" de Saint-Saëns) et 27 juillet (en récital: Brahms, Ravel, Elgar), Gstaad le 15 août ("Concerto" de Tchaïkovsky). Retour en France le 1er septembre à Annecy (programme Bach) et, pour les Parisiens, ce sera en récital le 19 décembre au Théâtre des Champs-Elysées.