Beethoven et Brahms, rien que du très classique à l'orchestre de Paris -ce qui est loin d'être désagréable. Un concerto du premier par un bon pianiste allemand, une symphonie du second. Pourquoi ce concert-là avait-il particulièrement retenu mon attention? A cause d'une absente. Maria Joao Pires...
Le départ de Maria Joao Pires
Et dans ma précipitation, inattentif aux informations que j'avais, comme tout journaliste et tout mélomane, je m'étais référé au programme imprimé l'an dernier: "Maria Joao Pires s'attaque pour la première fois au cinquième et dernier concerto de Beethoven, surnommé Empereur, qu'elle n'a jamais joué en concert"... C'est comme si Martha Argerich annonçait qu'elle allait jouer les deux concertos de Brahms. Dans tes rêves, oui....
Et dans tes rêves aussi pour Pires... Car je me suis soudain souvenu que Pires avait entre-temps annulé tous ses concerts pour une retraite progressive durant l'année 2018, on ne sait plus très bien quand et où, si la retraite est accomplie ou pas encore. Bref...
Pas de glamour pour les Allemands
Bref Lars Vogt était annoncé en remplacement de Pires. C'est moins prestigieux peut-être mais tout aussi solide. Et puis je n'ai pas écouté l' "Empereur" en concert depuis quelque temps. Va pour Vogt...
Au demeurant tous ces musiciens allemands (l'Allemagne, pays le plus mélomane du monde, où l'on voyait encore, à l'époque des Cd, des gamins de quatorze ans farfouiller dans les bacs à la recherche d'une "Cinquième symphonie" pas trop chère) ne cherchent pas le vedettariat, à l'exception d'une Anne-Sophie Mutter qui a fini par confondre glamour et musicalité. Isabelle Faust, Christian Tetzlaff, Franck-Peter Zimmermann, dont vous vous dîtes toujours après les avoir entendus: "Quel violon!", les prendriez-vous pour exemple de flamboyance? Ou l'altiste Tabea Zimmermann, ou le violoncelliste Daniel Muller-Schott? Non, on fait de la musique, avec la plus grande probité qui soit. L'Allemagne, dernier pays à retarder la starisation du milieu classique.
Mon troisième "Troisième"...
Donc Lars Vogt. Et patatras... S'apercevoir en arrivant que ce n'est plus l' "Empereur", le plus long, le plus spectaculaire, le plus grandiose des concertos pour piano (il faut ceux de Brahms pour faire autant), mais le "Troisième". Admirable aussi, certes, mais ce sera mon troisième "Troisième" en un mois: voir mes chroniques sur Fazil Say (16 avril) et Yefim Bronfman (28 avril) A frôler la saturation.
Lars Vogt a un physique de sportif. Après une entrée assez neutre de l'orchestre il joue les premières gammes avec une grande clarté, une légère réserve, mais une attention bienvenue à varier les phrasés, trouver des nuances, faire surgir la poésie, au point d'entraîner peu à peu les musiciens malgré quelques accélérations inutiles. La cadence est formidable: Lars Vogt se lâche dans un engagement un peu échevelé, et l'accélération finale (cette fois écrite par Beethoven) est remarquablement menée.
Notre latinité cachée
Je serai plus réservé ensuite. On doit un peu tendre l'oreille dans le mouvement lent, comme si Lars Vogt confondait l'intime et le poétique. L'orchestre est un écrin attentif, il y a un vrai dialogue (conduit davantage par le pianiste que par le chef) Mais je ne peux m'empêcher de penser, devant la netteté sans surprise du rondo final, aussi précis de touche qu'un peu inhabité, que Lars Vogt, ce pianiste qui est un nom très connu chez lui et un excellent musicien, fait bondir notre latinité cachée qui demande de l'inattendu, de la surprise, du "soulevez-moi de mon fauteuil". Et son "bis", cet "Intermezzo" de Brahms murmuré, est à la fois juste musicalement et totalement inadapté à une salle aussi grande...
Confiance rompue?
Jolie transition en tout cas qu'il offre à ses partenaires, qui viendront jouer Brahms sans lui. La "Troisième symphonie", sans doute la plus accessible, la plus mélodieuse. Mais c'est un tout autre problème qui se pose: où en est-on de la confiance qui réunit le chef et son orchestre? S'est-elle distendue depuis l'annonce que Daniel Harding allait partir alors qu'on a l'impression qu'il vient à peine d'arriver?
Monter plus haut en retombant moins bas
C'est qu'après un Beethoven irréprochable, y compris dans la neutralité, vient une oeuvre qui, si belle, doit être soulevée de terre, surtout dans ce premier mouvement où la vague mélodique monte et retombe, et doit ensuite monter plus haut en retombant moins bas. Et l'on voit Harding s'évertuer à soulever des musiciens qui jouent "petit bras", routinier, sans vie. Et l'on est triste, et l'on s'ennuie.
Mais allez comprendre. Au moment où on s'y attend le moins, un frémissement des contrebasses, qui donne à la phrase un poids nouveau. Et soudain ça y est, il y a enfin de l'assise, un sentiment puissant, une ampleur terrienne, des contrastes, un souffle rythmique. On se dit enfin, c'est fait. Le mouvement lent sera de cette belle eau-là: jeux-réponses de solistes, qui sont difficile à rater vue la qualité des vents. Les musiciens jouent sur du velours, même s'ils pourraient y mettre plus de charme. Mais quand le tissu orchestral s'éclaire, comme si l'on arrivait dans une clairière où le soleil frappe, cela devient vraiment très beau, grâce aussi aux touches colorées des bassons et des flûtes...
"Babe alone in Babylone"
On se dit alors qu'on va être bouleversé par le fameux troisième mouvement dont on a tous le souvenir selon la voix si particulière de Jane Birkin. C'est "Babe alone in Babylone", la chanson mythique de Gainsbourg, qui a dit fortement que c'était Brahms le génie, pas lui. Mais comme Gainsbourg a été génial ailleurs, et qu'il a surtout reconnu le génie de ceux auxquels il empruntait (Brahms ou Chopin), ce que n'ont pas toujours fait certains de ses homologues dits "de variété", on lui gardera notre admiration. D'autant que la mélodie, bien lancée par les violoncelles, passe ensuite aux flûtes mais surtout au cor dans une certaine indifférence, hélas!.
Indifférence qui se poursuit dans le final et puis là aussi le sursaut. Des crescendos, un orchestre tout entier qui se plait enfin à jouer ENSEMBLE: la fougue, la puissance brahmsienne, les voici enfin, avec les couleurs exquisement boisées qui rappellent les forêts viennoises alors que cette oeuvre-là fut écrite sur les bords du Rhin.
Le retour de Maria Joao Pires
On sort donc un peu déconcerté. Ayant appris en plus que Maria Joao Pires est de retour! Voici que nos musiciens, après ces concerts, entament une tournée d'une semaine en Espagne, tournée pour laquelle Pires reprendra sa place. Mais pas dans le fameux "Empereur". Dans le "Troisième concerto", qu'elle a souvent joué, pour être dans la continuité de Vogt. On nous indique aussi que la "retraite" n'est peut-être pas définitive, ou en tout cas qu'elle n'inclut pas forcément son cher Portugal et, au-delà, toute la péninsule ibérique. Paris est, semble-t-il trop loin. Et puis, après tout, "elle prendra sa retraite courant 2018"...
Or nous ne sommes qu'en mai. Le feuilleton Maria Joao Pires n'est pas achevé.
Ah! Ce n'est pas ce genre de "buzz" que nous réservera Lars Vogt!
Orchestre de Paris, direction Daniel Harding: Beethoven (Concerto pour piano numéro 3, soliste Lars Vogt) Brahms (Symphonie numéro 3). Philharmonie de Paris le 9 mai.
Tournée en Espagne avec le même programme mais Maria Joao Pires, piano: à Barcelone, ce 14 mai, Valence le 15, Murcie le 16 et Madrid jeudi 17 mai;