Ces bobeaufs machos qui se font passer pour de grands libéraux

Entre le pathétique billet de deux blogueurs "tendances" visant à défendre le cas Guillaume Pley (vous savez l'animateur de NRJ qui saute sur des filles dans la rue pour les embrasser avec ou sans leur consentement), les navrants editos de Lui, la ration quotidienne d'élucubrations anti-féministes de Libé (dont le récent et étrange papier de politique fiction pro-DSK de Luc Levaillant) et tant d'autres, j'observe comme une figure qui s'impose chez le macho bien loti (qui bosse préférabelement dans la comm ou les médias) : c'est le grand libéral ouvert d'esprit que rien ne choque... Sauf ce qu'il appelle les dérives "fascisantes" du féminisme.

Le grand-libéral-d'esprit-que-rien-ne-choque et la liberté d'expression

censureL'argumentation est toute trouvée : le grand-libéral-ouvert-d'esprit-que-rien-ne-choque est pour la liberté d'expression, et parce que nous ne raffolons pas de ses insultes misogynes, il se pose en victime de censure et s'inquiète aussi du danger que nous autres, féministes, représentons pour la richesse de la langue et pour la grandeur de la littérature.

Le grand-libéral-d'esprit-que-rien-ne-choque et la séduction

2501337-600x334Le grand-libéral-ouvert-d'esprit-que-rien-ne-choque a tout pigé de la subtilité des rapports humains, et au coeur de ceux-ci des ambiguïtés de la séduction ; et parce que nous rappelons que le consentement et l'équité doivent rester au centre de ce jeu, nous sommes des rabat-joies qui prenons tout tellement trop au sérieux.

Le grand-libéral-d'esprit-que-rien-ne-choque et l'humour

quon-peut-vraiment-rire-L-Ml3wdVCar il le sens de l'humour, et cite volontiers Desproges qui voulait "rire de tout", même si ce n'est pas possible "avec n'importe qui".

Que ses blagues sexistes ne nous fassent pas marrer ne signifie donc pas qu'il n'est pas toujours drôle, mais bien que nous sommes des "n'importe qui" coincé-es du derche quand nous le trouvons gras et lourd.

Le grand-libéral-d'esprit-que-rien-ne-choque et la subversion

801797-961835Nous faisons d'ailleurs erreur en le prenant pour un potacheur de bas étage, le libéral-ouvert-d'esprit-que-rien-ne-choque est en réalité disruptif et non conventionnel.

Il a horreur de "la pensée unique" (même si c'est une posture très "pensée unique" en l'occurrence d'avoir horreur de "la pensée unique") et il mène un inlassable combat contre le "politiquement correct". Il se conçoit en gardien du discours à contre-courant et des voix dissidentes, et si nous doutons de l'originalité, de la créativité et de la subversivité des stéréotypes dont il fait commerce, c'est que nous sommes intolérant-es d'une part et que nous nions la réalité des différences entre les sexes, d'autre part.

Le grand-libéral-d'esprit-que-rien-ne-choque et le réalisme

Lui, il est réaliste. D'ailleurs, quand on lui parle d'égalité, il trouve ça bien joli et il consent (condescend?) à dire que la "côôôôôôôôôse" est juste (quoique forcément "desservie" par les façons hystériques des féministes).

Mais, dans un sourire cynique, il rappelle qu'il faut pas trop rêver, et que si tu te bats pour l'égalité, t'as pas fini de te fatiguer, fi-fille. De toute façon, au principe un peu mesquin d'égalité, lui, il préfère le principe tellement plus romantique de liberté.

Le grand-libéral-d'esprit-que-rien-ne-choque n'est pas le seul à aimer la liberté, contrairement à ce qu'il croit

2281623989_small_1Il a raison, d'aimer la liberté et de la défendre, mon ami le grand-libéral-que-rien-ne-choque.

Mais il a tort de croire que le féminisme n'est pas, lui aussi, d'inspiration libérale. Ca fait juste deux siècles et demi (au moins) que les féministes combattent en faveur de la liberté pour toutes et tous : liberté à disposer de son corps (et à faire de vrais "choix" pour tout ce qui le concerne, pas seulement ceux que la morale ou un prétendu réel immuable imposent), liberté de circuler dans l'espace public (en toute tranquillité, sans peur ni chaperon, sans conditions ni culpabilité), liberté de travailler et de faire valoir ses mérites et de déployer tout son potentiel (et donc de bénéficier d'un environnement accueillant et de conditions équitables pour ce faire), liberté d'être soi, individu unique (et non ce qu'en préjugent les stéréotypes) et d'exprimer son point de vue (au même titre que chacun-e)...

Sont-ce les mêmes libertés, intrinsèquement liées au principe d'égalité si on les veut effectives, que le grand-libéral-que-rien-ne-choque défend?

Le grand-libéral-d'esprit-que-rien-ne-choque et sa vision sélective des libertés

 

Quand je le vois nier la puissance performative du langage pour déclarer qu'une vidéo faisant l'apologie de l'agression sexuelle est sans conséquence ni gravité, j'ai le sentiment que la liberté qu'il défend, c'est celle du chasseur primaire à qui la rue est offerte aux risques et périls de tout ce qui y bouge.

Quand je l'entends s'horrifier qu'on puisse sensibiliser - sinon conscientiser - les clients de la prostitution, j'ai le sentiment que la liberté qu'il défend, c'est celle de considérer le désir et le fantasme comme des valeurs supérieures au respect de l'humain-e.

Quand je le lis prétendant que la parité ou les quotas de dirigeantes sont autoritaires (et accessoirement humiliants pour les femmes qui en bénéficient), j'ai le sentiment que la liberté qu'il défend, c'est celle de garder un accès privilégié aux responsabilités en tenant un darwinisme dégradé pour une démonstration réaliste de la supériorité des hommes en certains domaines (ceux du pouvoir, en l'occurrence).

Quand je le suis dans ses interprétations anti-puritanistes des affaires DSK ou Polanski, j'ai le sentiment que la liberté qu'il défend, c'est celle de ses idoles à échapper au droit commun, au nom de leur génie et de l'esprit "libertin" qu'il leur envie.

Le grand-libéral-d'esprit-que-rien-ne-choque mais qui n'a lu Locke qu'en diagonale

john-lockeDe façon générale, il me semble que le discours de ces grands-libéraux-que-rien-ne-choquent ont lu Locke, le "père" de la pensée libérale, en diagonale : ils en ont retenu que la morale est une affaire strictement personnelle, qu'il est un droit naturel de chacun-e de conduire sa vie comme il ou elle l'entend, et que l'économie des relations humaines se régule par le laisser-faire.

Mais ils ont mis de côté que l'auteur de Law of Nature est aussi un théoricien du "contrat social" et de la responsabilité individuelle face à autrui et au collectif. Autrement dit, que la liberté, sujet passionnant et complexe s'il en est, n'a pas grand chose à voir avec le tout-et-n'importe-quoi du chacun-fait-comme-il-veut, mais qu'elle entre toujours en tension avec le respect du à l'autre. Sauf erreur de ma part, il y a assez peu de respect de l'individu, et donc pas grand chose qui relève de l'esprit libéral, dans la misogynie et le sexisme ordinaires.