J'ai manifestement heurté, parfois choqué, avec mon dernier billet consacré aux étudiants masculinistes de l'IEP de Bordeaux.
J'ai reçu en retour une foule de commentaires, pas toujours aimables, parfois franchement insultants, sur des forums, sur d'autres blogs, sur twitter. J'ai aussi eu la chance de pouvoir dialoguer intelligemment avec des personnes concernées, étudiant-es de l'IEP de Bordeaux, notamment, dont les propos m'ont permis de faire avancer ma réflexion, d'apporter des précisions factuelles quand il le fallait (que j'ai reportées dans des mises à jour successives de mon billet) et de dépasser ma colère initiale pour envisager une manière constructive d'envisager les faits et leurs suites. Je les remercie ici, de tout coeur, pour l'effort qu'ils ont fait et la maturité avec laquelle ils et elles ont engagé la discussion avec moi.
Je laisse de côté les insultes...
Je laisse de côté les "mal baisée" et autres "connasse" qui n'apportent rien d'autre qu'un surcroît de violence machiste à ce qui n'est plus un débat mais un défoulement sordide. Je m'épargne le déplaisir de retourner à leurs auteur-es leur mépris. Passons sur ces injures qui disqualifient davantage celles et ceux qui les ont écrites que ma personne et mon propos.
Mais il y a une critique qui me reste en travers de la gorge, c'est celle qui dit, à plusieurs reprises, que mon "féminisme exacerbé" (forcément!) "aveuglé" (évidemment) et sans nuance (si vous le dites) "dessert ma cause".
Je persiste à penser (ce qui n'engage que moi) qu'une sanction est utile et nécessaire
J'entends que l'excès a de lourds défauts. Je persiste à penser que les étudiants masculinistes qui ont créé le groupe et la page facebook invitant au débat "pour ou contre le viol collectif" doivent être sanctionnés, tout simplement car ils ont utilisé le logo et l'image de leur école pour diffuser des valeurs contraires à l'esprit de celle-ci. Aucune organisation (entreprise, association, centre de formation) ne peut accepter un détournement de son image de ce type. Aussi parce que le machisme exacerbé (oui, pour le coup), même s'il se drape dans le prétexte de potacherie et de second degré, ne fait pas rire tout le monde. D'autres choses me font rire (car oui, j'ai de l'humour, quoi qu'on m'ait reproché l'inverse), mais ça non.
Appeler à exclure ces étudiants, je reconnais que c'était m'immiscer dans les affaires internes de l'IEP et que ce n'était pas mon rôle. Ainsi que les étudiant-es qui ont interagi avec moi hier me l'ont dit, une enquête est en cours au sein de l'IEP et nous devrions avoir connaissance de ses résultats prochainement. A suivre, donc...
Pourquoi je suis en colère
Reste la question de la colère.
Y ai-je droit en tant que féministe? Y ai-je droit en tant que femme sans me faire taxer d'hystérique?
Oui, je suis en colère contre le machisme, contre le patriarcat, contre le sexisme. Je suis en colère contre ça, depuis que je suis toute petite parce qu'en reprenant les propos d'une femme que j'ai récemment interviewée "je trouve injuste qu'une fille puisse penser qu'elle aurait été mieux traitée si elle avait été un garçon". Parce que, quand j'observe les effets concrets du machisme et du sexisme sur des hommes et des femmes de toutes générations, j'ai mal à ma culture, j'ai mal aux mentalités de mon pays.
Quand des femmes me disent qu'elles se sentent coupables d'avoir été agressées, j'ai mal et je suis en colère. Quand des femmes me parlent du "complexe d'imposture" qui les poursuit tout au long de leur carrière, j'ai mal et je suis en colère. Quand des femmes me parlent de la crainte qu'elles ont de s'affirmer dans le monde professionnel ou dans le monde politique de peur de passer pour des "harpies" "pires que des mecs" et de perdre en féminité dans leur propre regard et celui d'autrui, j'ai mal et je suis en colère. Quand des femmes me rapportent qu'on leur reproche de trop travailler et de ne pas être suffisamment maternelles, voire qu'elles entendent comme récemment l'une d'elles "Mais pourquoi tu as fait des gosses, si tu ne t'intéresses qu'à ton job", j'ai mal et je suis en colère. Quand des hommes me disent qu'ils sont épuisés de n'avoir le choix qu'entre être des losers ou des winners parce que la société exige d'eux qu'ils soient forts, j'ai mal et je suis en colère. Quand des hommes se sentent encore plus humiliés d'être au chômage quand leur compagne travaille parce qu'on les traite en cossards et gigolos qui vivent aux crochets d'une femme, j'ai mal et je suis en colère. Quand des hommes me disent qu'ils n'osent pas prendre un congé paternité parce qu'ils ne se reconnaissent pas dans la figure nu-nuche du papa-poule qui se complait dans les biberons et couches, j'ai mal et je suis en colère. Quand des hommes me disent qu'on les traite de "pédés" ou qu'on les soupçonne de vouloir draguer plus facilement de la poulette associative quand ils rejoignent la cause féministe, j'ai mal et je suis en colère.
Ma douleur et ma colère sont-elles si peu légitimes?
Faut-il qu'une femme soit douce et tranquille pour être audible?
J'ai mal et je suis en colère quand on me demande encore de "me calmer", quand on me fait passer pour la folle obsessionnelle que je ne suis pas, quand on réduit le travail que je mène depuis des années sur ces sujets (en multipliant les lectures, en interviewant des personnes ressources et des témoins, en acceptant de me confronter à des contradicteurs et contradictrices, en m'imposant chaque jour une discipline de progrès dans la réflexion) à des caricatures écervelées.
Pourquoi devrais-je être douce, tranquille et mettre toujours de l'eau dans mon vin? Quelles qualités prétendument "féminines" attend-on de moi quand je m'exprime? Est-ce qu'aux hommes qui s'affirment avec poigne, laissent parler leur colère et versent parfois eux aussi dans l'excès de forme, on dit qu'ils sont hystériques et mal sucés et qu'ils se desservent eux-mêmes? Les disqualifie-t-on en tout quand ils osent aller loin, quand ils ont besoin d'interpeller, quand ils demandent à se faire entendre?
S'il vous plait, entendez ma colère et respectez-la pour ce qu'elle est. Vous m'aiderez, comme les étudiant-es pertinents cités ci-dessus l'ont fait, à avancer, à dépasser le stade de la réaction immédiate pour bâtir du discours constructif avec toutes les bonnes volontés, féminines et masculines, qui veulent en finir avec le sexisme.
Il y avait aussi du discours constructif dans mon billet sur l'IEP de Bordeaux, j'y évoquais en particulier les efforts faits par les entreprises et certains milieux politiques pour favoriser positivement la mixité et l'égalité, des efforts colossaux et porteurs de progrès, de performance et de solutions. Je suis déçue que ces lignes-là, si elles ont été lues, n'aient pas été commentées. Ca me met un peu colère, aussi...