Consultation, piège à…

@Patrick Bouchard / Flickr / Creative commons

Cette semaine tous les enseignants ont reçu dans leur boite mail un lien vers la consultation lancée par le ministère afin d’exprimer leurs « attentes », leurs « préconisations », leurs « idées », leurs « volontés pour l’avenir ». Ce n’est pas la première fois que le ministre utilise la consultation en ligne comme moyen de communication. Pas tant pour les enseignants que pour lui.

2018 : « la consultation fantoche de JM Blanquer »

C’est le titre du billet qu’on écrit en novembre 2018, lorsque les profs sont conviés à la « consultation nationale sur les repères annuels », ces nouveaux-programmes-qui-n’en-sont-pas-mais-qui-y-ressemblent-furieusement.

Une consultation lamentable et gonflée de mépris, qui ne se donne même pas la peine de donner le change, de faire croire à elle-même : une seule page, quatre questions balancées à la va-vite et roule ma poule. L’obligation de consulter fixée par la loi est ainsi remplie, l’important est de dire que consultation il y a eu, peu importe si elle est bidon, peu importe si cela se voit. On écrit alors : « La simple page de questionnaire relève de la tartufferie, elle dit en creux "de toute façon on n’a pas prévu de vous écouter, alors on ne va pas se mentir, hein, on ne va pas perdre de temps à pondre une consultation qui ne servira à rien et à laquelle vous-même ne croyez pas franchement" ».

2019 : les directeurs d'école consultés, pas écoutés

Plusieurs semaines après que le suicide de Christine Renon a secoué la profession, le ministère conçoit une consultation en ligne destinée aux directeurs d’école. Cette fois le questionnaire est plus construit et veut donner le sentiment que les directeurs et directrices sont écoutés. Mais les questions sont jugées très orientées : « on avait l’impression que certaines questions étaient calibrées pour les services civiques qu’ils voulaient nous envoyer » confie une directrice d’école.

Certains directeurs refusent de jouer le jeu, considérant que Christine Renon a tout dit dans sa lettre, que les directeurs d’école s’expriment déjà ici ou là (et même sur ce blog) et que la consultation n’est que pure façade. De fait cette enquête ne sera que peu suivie d’effets : les emplois aidés supprimés par le gouvernement, qui aidaient tant les directeurs, ne sont pas remplacés par les quelques « service civique » déjà prévus et qui n’ont de toute façon pas le droit de faire des tâches administratives – la principale requête des directeurs. Quelques heures de décharge supplémentaires sont accordées ici ou là : « Un os à ronger ».

La parole a été donnée, pour la forme, mais pas entendue. L’essentiel était de pouvoir dire qu’on avait fait quelque chose.

Mars 2020 : une consultation des profs… ouverte à tous

Avec la consultation lancée cette semaine, le ministère tente à nouveau le coup de l’oreille tendue : le questionnaire en ligne ne vole pas haut mais donne le change, même s’il évite soigneusement d’aborder la politique ministérielle et les mesures prises depuis trois ans. La question de la rémunération, pourtant au cœur des débats actuels, n’est abordée qu’incidemment. La question des retraites ? Tout simplement absente… Mais au final, la quarantaine de questions peut donner l’impression de vouloir réellement sonder les profs. Alors, enfin écoutés, les enseignants ?

Tout porte à croire que non.

- D’abord parce que, si le ministre Blanquer avait vraiment voulu écouter les profs, il avait largement le temps de le faire depuis presque trois ans qu’il est rue de Grenelle. Au contraire, il n’a eu de cesse depuis son arrivée de contrôler et museler la parole enseignante (renforcement du devoir de réserve dans la loi Blanquer, intimidations hiérarchiques…) et de faire la sourde oreille quand elle se faisait trop vive (les fortes réactions aux suicides de C. Renon et J. Willot, le #pasdevague…). Pourquoi commencerait-il aujourd’hui à se soucier de ce que pensent les profs ?

- Ensuite, parce qu’il y a cet incroyable biais : n'importe qui peut remplir ledit questionnaire, autant de fois qu'il le veut. Les réseaux sociaux se sont bien sûr rapidement étonnés de cette incongruité.

Bon, d’accord, il n’y a sans doute pas tant de personnes que cela qui iront perdre leur temps à répondre au questionnaire sans être prof, a fortiori plusieurs fois, mais les explications d'OpinionWay, en charge de la consultation, ne convainquent pas. La réalité est la suivante : la possibilité offerte à n’importe quel troll de s’exprimer à la place des profs dévalue illico la consultation, sa prétention à rendre compte de la parole enseignante, et donc les résultats qui nous seront présentés par le ministère.

- Enfin, parce que le ministre sait parfaitement où il veut aller, quoi qu'expriment les profs lors de cette consultation.

L’ « enseignant du 21ème siècle » est déjà dans les cartons

Le ministre n’a pas fait mystère de ses intentions : les résultats de cette consultation serviront pour les discussions avec les syndicats et pour la conférence prévue fin mars sur « L’enseignant du 21ème siècle » (d’après le site ToutEduc, la conférence pourrait être reportée à juillet ou septembre). Sauf que la consultation risque fort de servir uniquement d’alibi à une vision politique déjà très précise, maintes fois évoquée par le ministre, le premier ministre et le président Macron lui-même depuis cet automne, dans laquelle « l’amélioration des ressources humaines » et « celle du service public d’éducation », telles que pudiquement citées dans le mail d’accompagnement à la consultation, sont les deux mamelles des transformations à venir.

Au ministère on travaille déjà depuis des mois sur ces chantiers, on a fait une loi comportant de multiples articles pour le futur et publié des décrets allant dans la même direction : on sait que la formation continue sur le temps de vacances est prête (la question 31 de la consultation lui est consacrée, on attend avec curiosité les résultats…), que le temps de vacances lui-même est « un sujet », de nouvelles missions sont dans les tuyaux (remplacements des profs absents dans le secondaire, cours gratuits durant les vacances pour le primaire, comme évoqué par le ministre en guise de contreparties à la « revalorisation »), on sait que l’annualisation du temps de service, le temps de présence dans les établissements et la bivalence vont sortir…

Parallèlement, la gouvernance de l’école évolue selon les principes du New Public Management, on verticalise à outrance la gestion des effectifs en renforçant la hiérarchie (plusieurs questions sur ce thème dans la consultation), on organise l’encadrement et la surveillance resserrée des pratiques enseignantes, on met en place l’évaluation des enseignants et la comparaison entre écoles et entre établissements, on programme le pilotage par les résultats…

Dans ce vaste dessein, la consultation à laquelle les profs sont conviés n’est qu’un outil de communication à instrumentaliser et la conférence sur « L’enseignant du 21ème siècle » une étape dont le principal enjeu sera de définir, s’agissant des profs, la manière la moins bruyante d'avaler des couleuvres.

Nota : Pour prolonger, cette intéressante réflexion sur consultation et l’illusion démocratique.

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