Ceci n’est pas une revalorisation

Alors que l’Assemblée a commencé de débattre cette semaine sur la loi retraite, les premières propositions de « revalorisation » des enseignants ont été présentées aux syndicats par le ministère. Mais en réalité, on ne peut déjà plus vraiment parler de revalorisation.

La revalorisation aura déjà pu dû avoir lieu

Une réelle et pleine revalorisation, entendue comme le fait de redonner de la valeur au métier d’enseignant, notamment en augmentant leur rémunération à charge de travail égale, aurait déjà dû avoir lieu. Le gouvernement et le ministre Blanquer ne découvrent pas aujourd’hui la baisse du pouvoir d’achat des profs, la faiblesse de leur salaire en comparaison à ceux des pays voisins, et en presque trois ans d’exercice du pouvoir, ils avaient largement le temps de s’en préoccuper.

Non seulement l’exécutif n’a rien fait pour revaloriser les profs, mais il a au contraire tout fait pour dévaloriser le métier et ses acteurs :

- en maintenant le gel du point d’indice, en rétablissant le jour de carence, en ne compensant que partiellement la hausse de la CSG, le gouvernement n’a montré aucun égard pour le pouvoir d’achat et le salaire des profs ; pire, il a de surcroit fait des économies sur leur dos, en reportant d’un an les accords du PPCR (plusieurs centaines de millions d’euros). Seul le versement d’une prime à une partie des profs travaillant en REP est à mettre à son crédit.

- en multipliant les injonctions ultra-verticales, particulièrement prescriptives, en renforçant leur devoir de réserve, la surveillance et le musellement hiérarchique, en tenant un double discours pour le grand public en contradiction avec ce qui se jouait réellement sur le terrain, le ministre Blanquer a continuellement montré sa défiance du corps enseignant et le peu de cas qu’il fait de leur quotidien et de leur professionnalisme. Le plus marquant aura sans doute été l’absence totale d’empathie et de soutien de l’institution lors des divers suicides ayant frappé la profession ces derniers mois.

A mi-mandat, le métier d’enseignant a été bien davantage dévalorisé que revalorisé.

Retraites : revalorisation compensatoire ( ?)

On n’a jamais autant entendu parler de revalorisation des profs que depuis l’arrivée de la loi retraite dans le débat public. Il faut dire que tout le monde, et même l’exécutif, convient que les profs seront les grands perdants de cette réforme. D’où les promesses, pour compenser la forte baisse de pension des profs, de leur accorder une revalorisation maintes fois qualifiée d’« historique ». Cette semaine encore, le ministre Blanquer était de sortie pour affirmer que « l’objectif, c’est que nous soyons au cours de la décennie 2020 un des pays qui paye le mieux ses professeurs » (on a hâte de rejoindre les collègues allemands qui touchent deux fois plus que nous, et les luxembourgeois, qui touchent trois fois plus…), que « ce qui va se passer, ce ne sera pas des clopinettes ».

Tout le monde, les médias en tête, reprend le terme de revalorisation sans l’interroger : mais puisqu’il s’agit ici d’argent censé contrebalancer l’énorme perte de retraite, on n’est plus dans le cadre d’une revalorisation stricto sensu, qui s’entend à contexte égal. Au terme de revalorisation, quelque peu usurpé, on devrait préférer celui de compensation, ou de revalorisation compensatoire.
Mais cette revalorisation ne pourra être réellement compensatrice que si elle couvre pleinement la baisse des pensions enseignantes, sans quoi elle ne constituera qu’une forme de dédommagement, une sorte d’indemnisation partielle, une compensation au rabais, de façade.

Or, voici les quatre scénarios de « revalorisation » proposés aux syndicats par le ministère, pour 2021 :

Scénario 1 : prime aux échelons 2 à 5, entre 157 € et 64 € nets par mois. Rien pour les autres profs (86%).

Scénario 2 : prime aux échelons 2 à 6, entre 128 € et 50 € nets par mois. Rien pour les autres profs (77%).

Scénario 3 : prime aux échelons 2 à 8, entre 114 € et 14 € nets par mois. Rien pour les autres profs (56%).

Scénario 4 : prime aux échelons 2 à 11, entre 92 € et 14 € nets par mois. Rien pour les autres profs (24%).

Voici le tableau de synthèse fait par un syndicat, le SNUDI – FO. Parlant.

On comprend plusieurs choses :

  1. La prime ne concernera pas tout le monde, et la majorité des profs ne touchera soit rien, soit très peu (des clopinettes, donc). Autant dire que si on tient compte de l’inflation, le pouvoir d’achat de la majorité des profs a de fortes chances de baisser en 2021.
  2. A priori, rien n’est prévu pour les profs les plus âgés, alors que le ministre a répété que tous les enseignants seraient augmentés. Certains pourraient cependant l’être, par le biais d’une augmentation du nombre d’enseignants à accéder à la hors-classe et à la classe exceptionnelle. Il faudra quand même vérifier que cela ne recoupe pas ce que les accords PPCR prévoient déjà.
  3. Comme le montre Pascale Fourier sur son blog, les primes proposées pour certains échelons « font que le salaire recule parfois si on monte d’échelon ». Elle note par ailleurs que dans le meilleur des cas, la prime rapportera 2,55 € de retraite brute mensuelle sur l’échelon.

Pour une première année de mesures "historiques" c’est très peu et comme le gouvernement, ainsi qu’on l’a précédemment montré, ne peut garantir la pérennité de son "effort" budgétaire, cela jette un sérieux doute sur une compensation réelle de la baisse des retraites.

Contreparties = rémunération

Mais il y autre chose à noter, dans ces scénarios ministériels : le compte n’y est pas. Au lieu des 500 millions annoncés, seule la moitié de l’enveloppe est réellement dédiée au versement d’une prime, quel que soit le scénario. La seconde moitié sera destinée aux profs méritants et à ceux qui seront d’accord pour… travailler plus.

Le mot de mérite a fait son apparition ces derniers jours dans le discours ministériel. Le 14 février sur BFM : « Il y a une dimension commune à tous qui va faire qu’il y a une augmentation pour tous, car il faut monter le niveau général des rémunérations, et bien entendu il y a une dimension au mérite, ça existe déjà en partie, et on va probablement l’accentuer (…) La nation française va mettre plus d'argent, donc une amélioration de la rémunération, mais il faut aussi des éléments de motivation ». Le terme de "mérite" a surpris les syndicats : « Le mot mérite n’avait jusqu’ici pas été prononcé lors des discussions et là on ne sait pas ce qui a été mis derrière » (Nave Bekhti, Sgen). Personne en effet ne sait pour l’heure quels critères définiraient le mérite dans l’ « école de la confiance ». Par ailleurs, ainsi que le montre parfaitement Paul Devin, s’appuyant notamment sur un rapport de l’OCDE, nombre d’études scientifiques prouvent que la rémunération au mérite ne profite pas au système scolaire dans son ensemble et une telle mesure « témoignerait d’une méconnaissance profonde des logiques d’engagement propres aux agents de la fonction publique ».

Encore plus symptomatique est le retour du vieil adage sarkozyen « travailler plus pour gagner plus ». C’est le sens des contreparties (même si le mot est banni) demandées par le ministère pour le versement des 250 millions restant. Cette enveloppe serait dédiée aux profs qui accepteraient :

- de se former sur le temps de congés, ainsi qu’un décret pondu cet automne le permet : 120 € d’indemnité par jour, soit 600 € la semaine de formation pendant les vacances.

- d’effectuer de courts remplacements de collègues absents, dans le secondaire, ce qui peut susciter le scepticisme attendu que le volume d’heures supplémentaires déjà disponibles actuellement peine à trouver preneur. Les profs de primaire pourraient eux donner des "cours gratuits" (pour l’élève, s’entend) aux CM2 lors des vacances de printemps et d’été (il faudra bien expliquer en quoi cela diffère des stages de remise à niveau déjà existant).

On notera au passage que ces deux sujets (vacances et absentéisme supposé des profs…) ne peuvent que trouver l’assentiment du grand public, auquel on répète depuis des semaines que les profs seront grassement augmentés.

Avec l’entrée des contreparties dans la discussion sur la « revalorisation », cette dernière prend un nouveau tour. L’idée de revalorisation, même compensatoire, n’est plus d’actualité : une grosse partie de l’enveloppe prétendument accordée au titre de compensation à la baisse des retraites change là de destination, l’argent versé aux professeurs ne l’est plus qu’en contrepartie à de nouvelles missions, de nouvelles tâches. Cela s’appelle une rémunération, « prix d’un travail fourni, d’un service rendu ».

Alors que cet objectif de « redéfinition du métier », de « modernisation générale de nos ressources humaines » prend petit à petit le pas sur les autres considérations ministérielles, le ministre persiste à utiliser le terme de revalorisation. Dans la rude bataille que constituent les négociations en cours, celle de la sémantique a son importance, loin de n’être que symbolique.

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Illustration d'après "La trahison des images", de René Magritte, 1928-1929.