Durant les vacances de la Toussaint, après avoir bien bossé et préparé la période 2, je suis allé voir la fameuse consultation nationale sur les repères annuels des-nouveaux-programmes-qui-ne-sont-pas-des-nouveaux-programmes, consultation à laquelle me conviait par mail le ministère. Je n’ai pas été déçu.
Petit rappel : repères annuels de quoi, au juste ?
Pour les distraits, on rappelle que le ministre a fait publier au Journal Officiel des « ajustements et clarifications » concernant les programmes de 2016. C’était le 21 juillet dernier, et il fallait mettre en œuvre ces changements en français, en mathématiques et en Education morale et civique à la rentrée, dans nos classes. On se souvient que ces modifications avaient été faites à la va-vite (si vite que les ajustements concernant les programmes de sciences n’avaient pu être présentés à temps et furent reportés à la rentrée 2019), qu’elles étaient passées à la fois en catimini (au cœur des vacances d’été) et en force (opposition tranchée du Conseil supérieur de l’éducation, où une large partie des représentants de parents, d’étudiants et d’enseignants ont quitté la table lors de la présentation). [Pour se rafraichir la mémoire, on pourra relire ce précédent billet sur le sujet].
On se souvient aussi d’un certain désarroi lorsqu’il avait fallu revoir les programmations annuelles et préparer l’année à venir : les ajustements ne comportaient pas de repères par niveau, je ne savais pas trop par exemple si je devais prévoir de travailler dans mon CM2 sur le groupe nominal prépositionnel, l’impératif présent, ou si ces notions relevaient de la 6ème (dernière année du cycle 3 entamé en CM1, rappelons-le).
Maintenant que l’année est bien entamée, le ministère nous convie donc à donner notre avis sur les repères qu’il propose pour ces nouveaux programmes ajustements, repères qui ne seront valables que pour la prochaine rentrée (vous suivez ?).
Donc, je clique. Apparaissent par niveau de classe les textes concernant le français, les maths, l’EMC, avec les repères et les attendus de fin d’année, près d’une cinquantaine de pages en tout par niveau. Une fois bien lus ces textes, je clique sur « je participe à la consultation », et voici sur quoi je tombe.
Pour des lanternes
Ceci est une capture d’écran de la totalité de la consultation, il n’y a pas de deuxième page, juste ces quatre questions générales. Pas de question affinée, ciblée, détaillée et ajustée à chaque matière, chaque discipline, chaque niveau. Quatre questions vagues, très ouvertes, de celles dont on sait qu’elles engendrent les réponses les plus difficiles à synthétiser et à interpréter, les moins utilisables (je me demande illico comment le ministère va bien pouvoir traiter les réponses). On ne sait qui a pondu cette consultation au ministère, un stagiaire de 3ème peut-être, mais il y a de quoi susciter les railleries.
Autant dire que la consultation, telle qu’elle est présentée ici, parait n’avoir aucune réelle visée consultative. Elle semble avoir été réalisée à la va-comme-je-te-pousse, uniquement parce que la Loi oblige à consulter, juste pour pouvoir dire ensuite que la parole a été donnée aux principaux intéressés, dans un esprit d’ouverture et d’écoute, dans "l’école de la confiance", bien sûr. Alors que je m’étonne sur Twitter, un internaute explique que le ministère ne fait qu’appliquer, en bon élève de la start-up nation, des procédés typiques des RH du privé :
Voilà tout est dit, on est vraiment content qu’un tel management ruisselle jusque dans l’EN.
La consultation, poudre aux yeux historique à l’EN
Depuis que j’enseigne, on a été plusieurs fois consultés sur des questions programmatiques.
Je me rappelle très bien la consultation sur les programmes de 2008, c’était au mois de mars, on avait eu droit, dans toutes les écoles de France, à une demi-journée banalisée afin de discuter collectivement dans une sorte de Conseil des maitres extraordinaire, c’était un samedi matin, il y avait plusieurs feuilles d’un questionnaire à remplir ensemble, les discussions avaient été intéressantes, on avait débattu, rédigé notre synthèse, certains étaient allés à titre personnel s’exprimer en ligne. Deux mois de consultation qui s’étaient conclus en avril par la présentation des programmes définitifs par le ministre Xavier Darcos. On avait tendu l’oreille, les changements par rapport au projet étaient à la marge, on a vite eu le sentiment de n’avoir pas été vraiment entendus, que tout était joué à l’avance, d’ailleurs le délai entre la fin de la consultation et la présentation par le ministre avait été ridiculement court. Pendant ce temps, les éditeurs étaient déjà au travail (on était à moins de 5 mois de la rentrée), preuve qu’il n’y aurait pas de réelles modifications, preuve qu’on ne serait pas écoutés.
La consultation sur les programmes de 2016 avait commencé par la maternelle, avec une demi-journée banalisée à la rentrée 2014 qui avait fait débat, les maires de France étaient montés au créneau pour se plaindre que les parents allaient devoir s’occuper de leurs enfants, la ministre NVB avait défendu la demi-journée de consultation, nécessaire pour réfléchir collectivement.
Pour l’élémentaire et le collège, la consultation avait eu lieu en mai-juin 2015, sans demi-journée banalisée, chacun dans son coin, sur la base du volontariat, par voie numérique, avec un questionnaire mélangeant les questions ouvertes invitant aux propositions et les questions fermées visant « une mesure nuancée du niveau d’adhésion des personnels ». Le CSP avait eu tout l’été avant de rendre sa version définitive des programmes. Là encore, peu de choses avaient changé par rapport au projet. Pourtant la synthèse issue de la consultation était très intéressante : par son caractère méthodique d’une part, par la restitution qu’elle faisait des réserves des enseignants (sur la lisibilité, la longueur des programmes…) d'autre part. On pouvait aussi y lire que les programmes du collège suscitaient davantage de réticence chez les enseignants que ceux du premier degré, germe du futur rejet majoritaire de "Collège 2016".
Si l’avis des enseignants ne semble pas avoir réellement pris en compte à l’issue de la consultation, sous Darcos et NVB, au moins la forme avait été mise pour leur demander leur avis, et cela avait nécessairement entrainé une certaine réflexion chez eux. Avec Blanquer, on ne s’embarrasse plus de la forme. La simple page de questionnaire relève de la tartufferie, elle dit en creux « de toute façon on n’a pas prévu de vous écouter, alors on ne va pas se mentir, hein, on ne va pas perdre de temps à pondre une consultation qui ne servira à rien et à laquelle vous-même ne croyez pas franchement ». Le cynisme est total.
On notera au passage que tout le monde peut donner son avis, votre voisine de palier comprise. Qu’on demande à monsieur tout-le-monde de s’exprimer sur des programmes scolaires m’a toujours laissé perplexe : en quoi est-il qualifié pour juger de leur pertinence, à part dans les grandes lignes ? Mais qu’on lui donne la parole sur le bien-fondé des repères annuels, une question particulièrement technique que seuls les enseignants des niveaux concernés peuvent pleinement observer, voilà qui laisse sans voix.
Pour couronner le tout, c’est deux semaines seulement, et intégralement sur les vacances de la Toussaint, qu’a duré la consultation, sur des programmes eux-aussi validés durant des vacances, celles d’été. Avancer ses pions durant les vacances rend la discussion et la réflexion collective impossible et limite la participation, c'est donc la meilleure manière de court-circuiter les professionnels de l’éducation.
A marche forcée
Puisque la consultation n’a pas de sens, c’est ailleurs qu’il faut dire ce qui cloche, dans ces changements de programme. Par exemple dans ces articles détaillés, argumentés et circonstanciés sur le Café Pédagogique (particulièrement la tribune de Sylvie Plane, le papier de Rémi Brissiaud sur les maths et celui sur le français en cycle 2 de Johanna Cornou). Prenez le temps de les lire si ce n’est fait, y sont pointées les incohérences internes et externes, le décalage avec les recherches scientifiques nationales et internationales.
Il y a par ailleurs quelque chose de particulièrement frappant, dans ces repères : l’extrême rigidité qui sous-tend l’organisation des apprentissages. Non seulement la notion de cycle vole en éclat, il n’y a plus d’ « attendus de fin de cycle », mais désormais uniquement des « attendus de fin d’année », d’ailleurs l’entrée dans la consultation se fait d’emblée et seulement par niveau de classe, sans passerelle. Cette rigidité interdit de fait le travail concerté à l’intérieur d’un cycle en fonction des besoins des élèves, elle ne permet plus, par exemple, aux élèves qui ont du mal à entrer dans la lecture de poursuivre leur apprentissage en CE1 (on prédit un retour massif aux redoublements).
Mais l’encadrement strict de l’organisation des apprentissages va encore plus loin. A de multiples reprises, les repères annuels se muent en repères périodiques. Voici deux exemples, pris en maths en CE1 et en CM2.
Quiconque a enseigné sait à quel point tout ceci n’a pas de sens : d’un quartier à l’autre, d’une école à l’autre, d’une classe à l’autre (on n’ose même plus dire d’un maitre à l’autre, d’une méthode à l’autre, dans l’école de JM Blanquer il n’y a qu’une méthode, qu’une façon de faire, qu’un maitre unique dupliqué à l’infini et exécutant des consignes dictées par le ministère) et surtout d’un enfant à l’autre, les besoins varient et nécessitent une réponse adaptée, personnalisée. De tels repères, imposant de façon autoritaire une avancée jalonnée à l’extrême, font fi non seulement de la liberté pédagogique mais, ce qui est autrement plus grave, de la diversité des profils d’élèves présents dans les classes de ce pays. Tant mieux pour les élèves qui suivent, tant pis pour les autres. Marche ou crève.
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