Salaires, retraite : le jour où Macron a enterré les espoirs enseignants

@Eric Cabanis / AFP

Flash-back. Le premier coup de tonnerre est venu mi-juillet, quand JP Delevoye a rendu son rapport sur la réforme des retraites, où il apparaissait très nettement que les profs (et parmi eux les instits) allaient être les perdants parmi les perdants du nouveau système proposé (et ce de l'aveu même de Delevoye). On s’était alors raccroché aux déclarations du président Macron, qui avait anticipé le rapport en annonçant en mai « une revalorisation des enseignants » « en vue de la réforme des retraites ».

Le 26 août sur France 2, le président avait même présenté les professions « lésées » par la réforme à venir : « les enseignants, les aides-soignantes, les infirmières », et ajoutait : « Il n’y aura pas de réforme des retraites tant qu’on n’aura pas ensemble bâti une vraie transformation de ces professions ». On attendait quand même de voir. Le doute est né quand le ministre Blanquer a annoncé quelques jours plus tard à la France entière que les profs allaient être revalorisés de 300 €, en réalité 20 € nets mensuels qui ne couvriront pas l’inflation de l’année. Voyant le ministre agiter les 300 € sur toutes les chaines infos, on commençait à se dire qu’il n’y aurait pas grand-chose de plus.

Discours funèbre

Mais ce qu’a dit le président le 3 octobre, à Rodez, ressemble fort à un discours funèbre pour les profs. En 10 minutes pas toujours très claires, fréquemment contradictoires, parsemées de mauvaise foi (obstination du président quand il affirme que les enseignants touchent 1200 € de retraite, alors même que le rapporteur présent infirme le chiffre) et de grandes phrases creuses, le président Macron explique que non seulement il n’y a pas d’argent pour les profs, mais que le passage au nouveau système va leur demander bien davantage encore.

Extraits (discours intégral visible ici, partie sur les profs à partir de 3 h 12).

Si ce « pacte » n’est plus d’actualité, on comprend qu’on va changer le mode de calcul (plus sur les 6 derniers mois mais sur les 25 dernières années) mais qu’en échange on sera mieux payés avec une carrière moins « plate ». Et, légère inquiétude sur les vacances, si le président les cite ici, c’est qu’elles vont entrer dans le deal à un moment ou un autre.

Le président reconnait que les profs seront lésés avec cette réforme, très bien, annonce qu'on va devoir repenser le métier, bon d'accord. C’est à ce moment précis que, mine de rien, il va tranquillement poser une petite bombe.

Ça a le mérite d’être clair : il n’y a pas d’argent pour les profs. Curieusement, cela ne l’empêche pas juste après de lier la transformation du métier à une meilleure paie.

Ah, donc, on n’a pas d’argent, mais cet argent qu’on n’a pas, on le donnera aux profs si en échange ils travaillent plus (ben oui, tout le monde vous le dira, les profs, ça bosse pas assez). On repense bien sûr à l’annualisation du temps de service des enseignants que le Sénat et la Cour des comptes demandent depuis des années (on leur avait pourtant expliqué dans ce post qu’on travaille DEJA 1607 heures par an, au bas mot), vu qu’ils espèrent récupérer 20 000 postes ainsi.

Quant à la relation au travail, c’est un peu flou, franchement, on a du mal à voir, comme on a du mal à démêler les idées du passage suivant : pêle-mêle, il est question de travail hors temps scolaire (ben, c’est déjà presque la moitié de notre boulot, hein), des vacances des « par rapport aux autres » (entendez, ceux qui ne sont pas de gros privilégiés), de l’encadrement des jeunes et des directeurs (« c'est sous-valorisé, ça crée des situations de stress très dures » mais comme les autres ils devront travailler plus), de reconversion dans les bureaux passé un certain âge (« avoir un job au rectorat »), parce que « eh bien je suis désolé mais il se trouve que je connais bien votre métier, j'ai une grand-mère qui m'a élevée et qui y a passé sa vie et j’ai une épouse qui a fait votre métier » (et Le Pen avait un ami noir).

Pour la carrière plus intelligente je suis d’accord (faudra voir à me proposer autre chose qu’un job au rectorat, quand même), mais sans argent on voit mal comment « les retraités du système de demain se retrouvent au même niveau que les retraités du système d’aujourd’hui ». Les estimations de la perte sèche de pension, pour un prof, oscillent entre 275 € et 525 € nets par mois.

Donc, en résumé, « changer le travail pour permettre de passer au nouveau système de retraite » ressemblerait à peu près à ça :

  1. Il faut mieux payer les profs mais sans revalorisation, y a pas d’argent (c’est vos impôts).
  2. Il va falloir bosser plus (on change le temps de travail)…
  3. … y compris peut-être sur vos vacances (parce que par rapport aux autres…)
  4. Il faut changer la relation au travail : d’abord il faudra encadrer des jeunes, et à la fin un job au rectorat vous attend.
  5. Tout ceci pour une pension que tous les calculs amputent de plusieurs centaines d’euros par mois.

Stratégie

Malgré le flou et les contradictions du propos, on perçoit très bien la stratégie à l’œuvre derrière le discours.

D’abord, devant une assemblée de citoyens et les caméras, le président joue sur un populisme bien connu des enseignants (que la consultation des commentaires au bas de n’importe quel article du Figaro ou de BFM permet aisément de saisir) : les profs ne bossent pas tant que ça, ils sont toujours en vacances, leur retraite est une retraite dorée, et côté paie, franchement, ça va, de toute façon vous ne voudriez pas que vos impôts y passent, non plus ? (Tiens, le président a oublié de parler de la sécurité de l’emploi).

Par ailleurs, on peut lire un certain nombre de faits s’étant déroulés ces dernières semaines à l’aune de ce discours.

Avec la (pseudo) revalorisation de 300 €, début septembre, un geste substantiel a été fait, dans l’esprit de beaucoup de français. Dans la foulée, la dernière parution de l’OCDE s’était opportunément accompagnée de papiers expliquant que les profs français ne sont pas si à plaindre que ça.

De son côté, le ministre n’a pas chômé, cet été : d’une part le gouvernement a publié le 8 septembre un décret (présenté par le ministre) permettant d’imposer aux profs 5 jours de  formation pendant les vacances.

D’autre part, le ministre a demandé au Conseil constitutionnel de modifier un article du code de l’éducation (rendu le 11 juillet) de sorte que désormais, l’organisation des congés peut être modifiée par simple décret, sans nécessité de passer par la loi. On s’était interrogé, cet été, sur le sens de cette manœuvre (ce d’autant que venait d’être votée une loi qui aurait pu valider cette modification), on se demande maintenant si ce sont les congés des élèves qui sont dans le viseur, ou celui des enseignants.

Dans ce qui ressemble à une partie d’échec, le président a avancé ses pions silencieusement avant de mener une attaque frontale. Il attend sans doute maintenant de voir ce que va jouer son adversaire, c’est-à-dire la réaction du corps enseignant.

Responsables

Dans un contexte très morose, où l’école est touchée par les suicides et les burn out dans ses rangs, cette annonce d’E. Macron risque de porter un coup terrible au moral des profs, coup dont on mesure difficilement les conséquences. Car, si on fait le résumé de ce à quoi s’attaque le président, c’est ni plus ni moins : les vacances, vécues comme le dernier des privilèges, la retraite, vécue comme une compensation aux carrières peu intéressantes financièrement, le temps de travail, largement sous-estimé par l’administration. Le corps enseignant unanime réclamait de la reconnaissance et un peu d’argent supplémentaire, la réponse du président est cinglante.

L’autre conséquence majeure, à laquelle l’exécutif semble ne pas penser, est l’attractivité du métier : déjà actuellement sous-payé, en manque de reconnaissance, le métier, qui peine à trouver preneur, risque fort d’être déserté par les candidats dans les années à venir et d'être littéralement sinistré.

Mardi, le ministre, qui dit mener « une réflexion approfondie sur la rémunération des enseignants », recevait les syndicats pour entamer les discussions sur les retraites. Dans la droite ligne du discours présidentiel de Rodez, JM Blanquer a parlé de « droits et de devoirs », « d’obligations réglementaires », de « sujet vacances ».

La feuille de route est claire.

 

Nota : sur les 10 milliards impossibles à trouver (pour compenser le passage au nouveau système de retraite), l’économiste Thomas Porcher a un autre avis :

 

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