A la Folle Journée Schubert les artistes se succèdent. Dans le grand auditorium de Nantes le jeune Victor Julien-Laferrière complète son archet de violoncelliste par la baguette de chef d'orchestre. Suite de nos rencontres avec des musiciens qui nous parlent ainsi de "leur" Schubert.
Victor Julien-Laferrière n'a que 31 ans, et déjà une carrière bien remplie: d'abord comme un des plus brillants représentants de l'école française de violoncelle, aussi bien avec des partenaires prestigieux (les Capuçon; le pianiste Adam Laloum avec qui il formait le trio des Esprits, rejoints tous deux par la violoniste Mi-sa Yang) Mais aujourd'hui c'est une carrière de chef d'orchestre dans laquelle il se lance, fondant l'orchestre Consuelo au moment le plus ubuesque nous confie-t-il, c'est-à-dire quelques semaines avant le début de la crise sanitaire.
On l'a entendu dans le Grand Auditorium nantais, entouré de jeunes musiciens brillants et d'abord dans une superbe transcription pour violoncelle et orchestre à cordes de la Sonate Arpeggione. Rappelons que l'arpeggione était un gros truc entre violoncelle et contrebasse qui n'a eu aucun succès, sinon que Schubert fut le seul à écrire pour lui, en tout cas une oeuvre géniale qu'on joue aujourd'hui au violoncelle. Et voici cette belle transcription, dont on ignore les origines, où, sous l'archet de Julien-Laferrière, un archet chaud, pudique, d'une rare élégance, on entend soudain le seul concerto que Schubert aurait pu composer.
Cela au sein d'un programme Schubert que Julien-Laferrière va promener 12 fois à cette Folle Journée, et qui comprendra aussi, en lieu et place de l'Arpeggione, un choix de lieder avec orchestre ou l'ouverture d'un opéra oubliée, La harpe enchantée; mais une oeuvre ne changera pas, cette 5e symphonie, petit chef-d'oeuvre d'une insouciance à la Mendelssohn que l'orchestre Consuelo joue avec finesse, donnant cependant au dernier mouvement la fougue et la grandeur beethovénienne que Schubert y avait mis. Julien-Laferrière dirige cela avec souplesse, beau à voir mais, bien sûr, encore perfectible dans cet art de la direction qu'il veut absolument poursuivre (à 12 ans je cherchais déjà à diriger mes jeunes amis musiciens) même s'il n'est évidemment pas question pour moi d'abandonner la pratique du violoncelle.
L'orchestre Consuelo
Consuelo est un roman de George Sand qui m'avait fasciné quand je l'ai lu à 16 ou 17 ans. L'histoire-fleuve d'une cantatrice dans les années 1830-1840, celles des Malibran, Gritti, Pauline Viardot. Un des rares romans sur la musique, de celle qui, auprès de Chopin a été à bonne école!
Le monde de Schubert
Chaque compositeur est un monde pour moi, un monde sans limites. Pour Schubert je reprendrais volontiers ce qu'il aurait dit, mais c'est peut-être apocryphe : Quand j'essaie d'écrire de la musique joyeuse ça sonne triste, quand j'essaie d'écrire de la musique triste ça sonne joyeux. Que ça soit de lui ou pas, ça montre l'ambiguïté des sentiments qu'il essaie de nous procurer. En même temps j'envisage aussi son oeuvre comme un espace dont je ne connaitrai jamais peut-être tous les recoins... Il a tellement écrit. Rares sont les gens qui connaissent tout Schubert. Il y a encore beaucoup de découvertes à faire, le piano à 4 mains, les oeuvres pour violon et piano, les opéras évidemment, jamais joués, les messes.
La diversité de Schubert
Et aussi Schubert fait montre d'une diversité incroyable. On parle de lui comme l'homme des divines longueurs et en même temps comme celui des formes brèves. Les lieder, ce sont parfois de longues histoires, et parfois c'est de l'esquisse. A chaque fois j'essaie de découvrir de nouveaux pays, ou paysages, schubertiens, aujourd'hui c'est le répertoire symphonique...
Le pétillant et la profondeur
Là, demain, par exemple, on joue l'ouverture de La harpe magique. C'est le Schubert dramatique qu'on ne connait pas très bien; au départ ce fut un opéra, mais l'histoire était nulle et la presse de l'époque a été très mauvaise, soulignant tout de même la qualité de la musique de Herr Schubert. Maintenant c'est connu comme l'Ouverture de Rosamonde. C'est un Schubert presque offenbachien, entre Johann Strauss et Offenbach plutôt, avec un début à la Schubert, assez dramatique et tout à coup un allegro très léger, très amusant. L'ambiguïté de Schubert! On est en plein dedans.
Un compositeur fraternel
Pour moi Schubert, c'est quand même la fraternité aussi. Avec plusieurs aspects de la fraternité: bien sûr faire de la musique, composer pour un groupe d'amis, mais aussi, dans ce côté fraternel, le sentiment qu'il nous parle à nous directement. Il a aussi un rapport vrai à la musique populaire... Il peut utiliser les grandes formes classiques mais tout à coup ça part brusquement ailleurs et ça ne le gène pas; il ne cède jamais aux conventions du temps ou en tout cas il n'en est jamais prisonnier. Quand il écrit un allegro par exemple, c'est toujours complètement personnel, jamais semblable à ceux qu'on composait à son époque, qui correspondait à des canons précis.
Une adresse au monde? Ou à un cercle intime?
Dans les symphonies, on retrouve ça évidemment aussi chez Beethoven, on a le sentiment d'un concentré de leurs langages. Peut-être à cause des effectifs importants, ils priorisent les éléments qui leur semblent devoir toucher tout le monde. Ce n'est pas du tout la même écriture que dans les quatuors. Beethoven le faisait de manière encore plus évidente, comme s'il s'adressait à un peuple plus large encore que le public viennois; il avait en tout cas cette idée en tête. Schubert suit ce modèle. La fraternité, là, est plus au sens une fraternité des peuples.
Est-ce que Schubert s'adresse au monde (dans ses messes, ses opéras, il en a écrit si jeune)? Ou est-ce qu'il s'adresse à ses amis? Encore l'ambiguïté!
A la Folle Journée de Nantes Victor Julien-Laferrière violoncelliste et chef de l'orchestre Consuelo: de Schubert la 5e symphonie, Lieder avec orchestre, ouverture de La harpe enchantée, Sonate pour arpeggione et orchestre à cordes