Le quatuor Hanson joue Dvorak et Ligeti avec une remarquable énergie dans le cadre de la Biennale du quatuor à cordes

Le quatuor Hanson C) Bernard Martinez

La biennale du quatuor à cordes se tenait ces jours-ci à la Philharmonie de Paris. L'occasion pour nous d'aller écouter le brillant quatuor Hanson, dans un programme très original faisant la part belle à la musique contemporaine.

Le haut du panier des quatuors à cordes

C'est un jeune quatuor, même pas dix ans, mais déjà un des meilleurs qu'on ait, dans un pays, le nôtre, qui a vu se créer beaucoup d'ensembles depuis trente, ensembles souvent excellents qui nous ont installés à une place éminente dans une forme de hiérarchie mondiale. L'école française de quatuor, comme l'école française de violoncelle, a désormais sa place. La biennale, 10e du nom, qui se tenait à la Philharmonie (essentiellement l'ancienne Cité de la Musique, en-dehors du concert de clôture où les Ebène et les Belcea réunis jouaient les Octuors d'Enesco et de Mendelssohn)  accueillait entre autres les Modigliani, les Diotima, les Arod, aux côtés d'autres ensembles prestigieux, venus de Russie ou d'ailleurs, les Borodine, Oïstrakh, Hagen, Arditti, on en oublie...

Dvorak, un des très grands du quatuor à cordes

Le fil rouge était Dvorak. On n'ose dire "l'invité d'honneur" car dans ce cas on aurait entendu tout le corpus du compositeur tchèque. Ce n'a pas été le cas. Nous confirmant dans les réticences qui semblent toujours entourer Dvorak, qu'on nommerait immédiatement pour illustrer le fameux jeu "le compositeur qui ne vous paraît pas reconnu à sa juste valeur". L'ensemble des quatuors à cordes de Dvorak ( on met Haydn à part, qui a créé le genre et l'a servi encore davantage que ses successeurs) . est un des plus importants de toute l'histoire de la musique, avec ceux de Mozart (21 quatuors), Beethoven (16), Chostakovitch et Schubert (15). On ajoutera la Grande fugue à l'ensemble beethovénien. Dvorak, lui, se contente de 14, plus un cycle pour cette même formation, Les Cyprès. Et c'eût été l'occasion de se faire une idée plus claire de l'évolution d'un homme car, comme chez Schubert (on y reviendra à l'occasion de la Folle journée de Nantes qui commence bientôt), il y a la production de jeunesse et puis les hauts chefs-d'oeuvre de la fin -en général les numéros à deux chiffres...

Le quatuor: de gauche à droite Jules Dussop, Simon Dechambre, Gabrielle Lafait, Anton Hanson C) Bernard Martinez

En tout cas les Hanson nous ont proposé leur Dvorak, le 8e quatuor. Qu'on entend fort peu. Pendant très longtemps il fallait être tchèque pour affronter ces oeuvres, à l'exception des deux plus connus, le 12e (dit Américain) et le 14e. Les Hanson, en jouant ce 8e quatuor, s'en fichent, faisant confiance à la force de cette musique, à son expressivité, laissant les parfums idiomatiques irriguer les mouvements mais sans les accentuer, sans en faire une attraction pittoresque.

La cohésion dans l'individualité

De sorte qu'on entend de la musique pure. Mais avec une vraie couleur qui fait l'originalité profonde des Hanson. D'autres vont chercher l'homogénéité du son, une respiration commune. Pas eux: chacun est maître chez lui, le 1er violon (Anton Hanson) de ce qu'il fait, le violoncelliste (Simon Dechambre) encore plus, l'altiste (Gabrielle Lafait) un peu plus discrètement, comme Jules Dussop, le second violon. Et c'est dans cet individualisme que l'unité se fait, car il est contrebalancé par une écoute pas seulement auditive mais, si l'on peut dire, de regard. Ce principe fait merveille dans le répertoire contemporain, où l'âpreté est souvent de mise, il est plus surprenant dans Dvorak où l'on est encore dans un romantisme intime, fait de rêverie et de ces fameux rythmes pas si faciles à "capturer", de danses souvent à contretemps comme les fameuses "dumkys" ou ces valses à la Chopin qui ressemblent à des mazurkas.

Sofia Goubaidoulina en 2016 C) Matthias Hoenig/ DPA Picture Alliance via AFP)

C'est en même temps bourré d'inattendus: à l'intérieur d'un schéma classique (Dvorak a composé ce quatuor et l'a laissé reposer 12 ans avant de le réviser pour qu'il soit créé) -allegro, andante, scherzo, finale-, voici d'abord un mélange d'âpreté et de tendresse. Puis voici (andante) un thème doucement interrompu dans une tonalité elle-même incertaine, suspendue entre angoisse et mélancolie; voici des accélérations étranges, cette valse qui n'en est pas une. Il faut presque attendre le final pour retrouver ses marques mais après encore un début à l'alto dont les trois autres renforcent l'inquiétude. Mais enfin, c'est la danse, les rythmes de Bohème, ce mélange si typique de Dvorak, un tiers Brahms, un tiers Schubert et le reste de chez lui.

Etude de notes et confusion

On sera moins convaincu par le Quatuor n° 2 de Sofia Goubaidoulina. La compositrice russe, désormais nonagénaire, a écrit il y a 30 ans cette oeuvre brève comme une étude sur la production du son. Soit la note sol dans tous ses états, en vibrato, à l'octave (le registre des instruments le permet abondamment), sur la corde, avec effets de souffle, du piano au forte, avec une intensité croissante des croisements d'instruments. Pourquoi pas, et les Hanson s'y prêtent avec beaucoup de talent. La seconde partie, cependant, veut faire entendre d'autres sons, représentant des anges et des oiseaux. On l'avoue, on n'a guère été convaincu, on a même eu l'impression que ces anges et ces oiseaux-là y perdaient quelques plumes...

Ligeti dans le sillage de Bartok

Bien plus séduisant le 1er quatuor de György Ligeti. Sous-titré Métamorphoses nocturnes (à prendre au pied de la lettre ou symbole d'un pays, d'un bloc, qui sortaient de la nuit du stalinisme -on est en 1953-1954), il ne sera créé qu'après que Ligeti aura quitté la Hongrie et, lui aussi, révisé son oeuvre, pour l'entendre enfin en 1958, à Vienne.

György Ligeti en 2000 C) Damien Meyer, AFP

Tandis que je me détachais progressivement de Bartok, durant la première partie des années cinquante, je continuais à composer essentiellement sous son influence. C'est peu de le dire. La cellule musicale sur laquelle vont être bâties ces métamorphoses, en gammes ascendantes, exposée au 1er violon puis à l'alto, donne vraiment l'impression d'entendre les oeuvres de la fin de Bartok, le concerto pour violon n° 2 ou le Concerto pour alto. Mais le pur talent de Ligeti fait le reste: le thème n'a plus d'importance, la force, la rage, l'énergie, le mystère parfois, de l'inspiration nous conduisent au bout de 20 minutes de pur plaisir, en 12 sections, paraît-il, qu'on n'a pas toutes identifiées, un Vivace furieux avec une attaque vibrante de la note qui échappe à Bartok, un mouvement dansé, un fragment de thème par un alto enveloppé de brume, un Presto qui ressemble à... du Honegger, des trémolos qui amorce une valse lente, une valse qui devient stravinskienne avant un truc un peu jazz (du jazz à la hongroise), des trémolos subits, l'archet du violoncelle qui frappe le bois de l'instrument comme un rappel à une vie violente. La force des Hanson, pleins d'une âpre cohésion, est de jouer ce quatuor comme un classique.

En bis, répondant aux chaleureux applaudissements d'un amphithéâtre rempli, le "final" délicieux du Quatuor opus 50 n° 1 de Haydn. Ce Haydn qui les a fait connaître, si différent.

Quatuor Hanson: Dvorak (Quatuor n° 8) Goubaidoulina (Quatuor n° 2) Ligeti (Quatuor n° 1 "Métamorphoses nocturnes") Amphithéâtre de la Philharmonie 2 (ex-Cité de la Musique) le 19 janvier (dans le cadre de la 10e Biennale du quatuor à cordes qui s'est tenue à la Philharmonie de Paris du 10 au 23 janvier.