Un Milosz Magin que certains connaissent encore comme pianiste, et qui eut quelque réputation dans les années 60-70 comme interprète de Chopin. Et voici que son activité de compositeur ressurgit grâce à Gidon Kremer et à Lucas Debargue, le jeune pianiste et le moins jeune violoniste complices et passionnés. Magin a bien de la chance!
Qui est Milosz Magin?
Sur les photos ce sont le grand-père gâteau et le petit-fils (un peu) plus turbulent. La complicité se lit entre le violoniste lituanien et le pianiste français mais lauréat russe (au concours Tchaikovsky de Moscou avant Alexandre Kantorow) Et c'est Milosz Magin qui bénéficie de cette entente. Quesaco Milosz Magin, penseront beaucoup? Un nom, qu'on liait au piano et à Chopin (quel Polonais ne lie-t-on pas à Chopin?) et désormais aussi un compositeur.
Quelques données, donc, sur cet homme, car le livret du Cd ne nous en livre guère: né à Lodz en 1929, diplômé, dans les années 50, du conservatoire de Varsovie en classe de piano et de composition tout en abordant aussi le violon, le violoncelle, la direction d'orchestre. Prix au concours Vianna da Motta (Lisbonne) et Long-Thibaud. Le voici à Paris où il enseigne dans les années 60-70 au conservatoire Rachmaninov et enregistre une intégrale Chopin pour Decca dont on parla en son temps. L'ombre de Rubinstein était sans doute trop grande pour les Polonais de ce temps-là. Il meurt en 1999.
Une découverte de Lucas Debargue
L'histoire -et l'histoire du Cd- c'est ensuite Lucas Debargue qui la porte. On connait un peu le garçon, doté d'un fort caractère, comprenez qu'on ne lui impose jamais ce qu'il ne veut pas et qu'il met un vrai acharnement à imposer ce en quoi il croit. Sa professeure de piano, qui avait bien connu Magin, lui fit jouer des pièces que celui-ci avait composées pour de jeunes pianistes (Miniatures polonaises, Carnaval des poupées) ainsi que des pages plus difficiles. Debargue tombe amoureux aussi de l'intérgale Chopin du maître (que, du coup, on aimerait bien réentendre!) et... devient grand. En 2017 il joue un bis de Magin à Paris, qui le fait renouer avec la famille. Hasard: au cours d'une tournée avec Gidon Kremer, celui-ci lui propose une "carte blanche" et Debargue décide de la consacrer à Milosz Magin. En voici le fruit, auquel Gidon Kremer et sa Kremerata Baltica se sont prêtés.
Un langage tonal
Ne cherchons pas (et cela explique sans doute aussi que nous ayons oublié le Magin compositeur) dans ces musiques écrites entre 1963 et 1985 le reflet des grands courants modernistes du temps. On n'est même pas (en tout cas dans ces oeuvres-là) dans les tonalités "mystiques" d'un Arvo Pärt ou de certains Penderecki mais dans une écriture le plus souvent tonale, sur un fond d'airs ou de rythmes folkloriques plus ou moins revendiqués. Les deux morceaux de bravoure étant le Concerto pour piano n° 3 de 1970 et le Concerto Rustico n° 1 pour violon, de 1975. S'y mêlent de courtes pièces, à commencer par un bel Andante pour violon et piano où Kremer épanouit une lente cantilène sur un motif de piano répété, à peine changeant, à la manière de la Sonate au Clair de Lune beeth contovénienne (mais on pense encore plus à Prokofiev) A la fin, un Stabat Mater (initialement intitulé Prière) pour cordes et timbales (Magin adore les timbales!) auquel il ne manque... que des voix.
Le 3e concerto pour piano, une belle réussite
Le plus beau morceau est sans conteste le Concerto n° 3 pour piano, cordes, timbales et percussion. Références là aussi (Bartok, Prokofiev, Martinu) mais au service d'une originalité d'inspiration, d'une poésie virtuose dans le mouvement initial à laquelle un Debargue éblouissant n'est pas étranger. L'Allegro qui sui, installe un dialogue entre le piano et les cordes où l'interprète dévale le clavier avant une section plus calme basée sur une jolie cellule mélodique. Le Presto reprend des motifs similaires avant un mouvement lent douloureux et plaintif qui nait aux cordes. Le final (5e mouvement) est une toccata motorique, haletante; et s'il est vrai qu'on pense aux compositeurs précités, l'inspiration de Magin donne à son concerto une vraie identité qui en fait la force.
Des réminiscences de contemporains soviétiques
C'est moins vrai pour le Concerto Rustico: la mélodie initiale est un peu légère, la deuxième mélodie, une danse paysanne, elle, trop épaisse et Kremer et son orchestre ont du mal à lui donner un charme rustique. Le mouvement lent démarre sur une nouvelle mélodie, nostalgique et... bien plus belle, que Kremer défend cette fois avec lyrisme; mais on pense inévitablement à une oeuvre plus lyrique encore, le Concerto pour violon de Khatchaturian. Et dans le dernier mouvement passe le souvenir d'un autre concerto moins connu, celui de Kabalevsky...
Bien sûr on n'accusera pas Magin de pastiche. Plutôt de réminiscences inconscientes, dues aussi à une formation qui se fit dans les années les plus conservatrices du communisme triomphant, qui a d'ailleurs emporté de manière injuste dans sa chute (sauf en Russie, en encore!) et Kabalevsky et Khatchaturian. On regrette aussi un peu que les 4 Vocalises, égrenées tout au long du Cd, composées pour voix et piano à l'usage de sa fille, aient été transcrites pour violon et piano par nos deux interprètes; mais il fallait bien donner du grain à moudre à Kremer. On regrette également l'absence d'oeuvres pour piano seul (à l'exception de la jolie Nostalgie du pays, le fameux bis de Debargue mais peut-être celui-ci se réserve-t-il pour un autre disque)
Des musiciens au service des autres
En lieu et place, ce Stabat Mater tout de lenteur et de recueillement se construit là aussi (autre réminiscence) sur le principe de la "spirale ascendante" de la Mort d'Isolde de Wagner. Mais de manière plus immobile, plus plaintive, sans le souffle wagnérien. Sans non plus cette faculté de saisir l'auditeur, sensible dans l'Adagio de Barber. Soudain, pourtant, un rythme obstiné des basses et des timbales dynamise la partition qui, enfin, nous porte vers le drame et sa contemplation, avant la retombée finale de l'espoir ou du tombeau.
Ainsi, sans nier que la découverte d'un Milosz Magin compositeur n'était en rien inutile ni qu'un Cd porté par de tels interprètes (même si l'on a connu Kremer plus à l'aise) aurait du mal à décevoir, c'est d'abord le statut de Lucas Debargue qui en fait le prix. Un Debargue assez porteur- bankable, ce vilain mot!- pour imposer, même si avec l'aide de Kremer, la redécouverte d'un musicien oublié dont il a capté en partie l'héritage. Bel hommage, un peu comme celui que Kremer a rendu sur plusieurs Cd à Weinberg, où la notoriété se met au service de moins chanceux (à condition, évidemment, qu'ils le méritent), et ce n'est pas si fréquent.
Milosz Magin: Andante pour violon et piano. 4 Vocalises pour violon et piano. Concerto n° 3 pour piano, cordes, timbales et percussion. Concerto Rustico n° 1 pour violon, cordes et timbales. Nostalgie du pays pour piano seul. Stabat Mater pour cordes et timbales. Lucas Debargue, piano. Gidon Kremer, violon. Kremerata Baltica, direction Gidon Kremer. Un Cd Sony Classical